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Une bête sur la lune
Du 27 février au 24 mars 2018

Milwaukee, 1921. Aram Tomasian a fui le génocide arménien où tous les membres de sa famille ont été assassinés. Il fait venir une jeune réfugiée, Seta, pour la marier. Orphelin, il lui faut poursuivre sa lignée familiale en terre d’Amérique. Mais la vie, parfois, prend un autre chemin…

Jouée partout à travers le monde, lauréate de cinq Molières lors de sa création en France, cette pièce nous parle de l’exil et de tous ces réfugiés pris entre les douleurs du passé et l’avenir à construire.


Texte Richard Kalinoski
Traduction Daniel Loayza
Adaptation et mise en scène Amélie Bergeron
Interprétation Mustapha Aramis, Ariane Bellavance-Fafard, Jack Robitaille et Rosalie Daoust


Crédits supplémentaires et autres informations

Assistance à la mise en scène  : Laurence Croteau Langevin
Décor : Véronique Bertrand
Costumes : Julie Morel
Éclairage : Keven Dubois
Musique : Pascal Robitaille

Mardi au samedi 19h30, sauf deux dernier samedis 16h

6 mars - mardi-rencontre

TARIFS
Régulier : 38 $
60 ans et plus* : 33 $
30 ans et moins* : 28 $

* Une pièce d’identité sera demandée lors de l’achat et/ou lors de l’entrée en salle.
Les tarifs incluent les frais de service et les taxes.
Possibilité de changer de date jusqu’à 24h d’avis à la billetterie. Des frais de 3 $ par billet s’appliquent.
Aucun remboursement sur les billets.

Une production de La Bordée


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Critique disponible
            
Critique





Crédit photos : Nicola-Frank Vachon

Fin du 19e siècle. Une coutume dictait aux Turcs de sortir à l’extérieur, les nuits d’éclipse de Lune, pour tirer du fusil et du canon sur la « bête » qui cachait l’astre de la nuit. Mais un jour, ces mêmes Turcs, de confession arabe, se tournèrent contre les infidèles arméniens, chrétiens, et les massacrèrent, littéralement. Pères, mères, enfants seront assassinés, crucifiés, décapités. Par miracle, certains en réchapperont, quelques-uns atteindront les États-Unis. C’est la trame première de l’histoire de Une bête sur la lune, une pièce sur l’exil, la résilience, le deuil et la transmission écrite en 1995 par l’Américain Richard Kalinoski, inspiré par l’histoire de la famille de sa femme. La pièce a remporté un immense succès en France à la fin des années 90, grâce à une brillante mise en scène d’Irina Brook, gagnant au passage 5 Molières ; le comédien Simon Abkarian (Ararat, Casino Royale) et Corinne Jaber y étaient d’ailleurs fantastiques.

Aram Tomassian, un Arménien photographe installé depuis quelques années à Milwaukee, réussit à faire venir de l’autre côté de l’océan une orpheline, aussi Arménienne, pour un mariage arrangé. Mais celle qu’il avait choisie, par correspondance, est morte, et c’est une autre, Seta, qu’on lui envoie. Âgée d’à peine 15 ans, elle doit vite apprendre sa place aux côtés de ce mari austère qui ne vit que par les versets de la Bible. Il n’a qu’une seule ambition, reformer la famille qu’il a perdue en transformant Seta à mère porteuse. Mais la jeune fille semble stérile, et un fossé s’ouvre entre les deux êtres qui souffrent douloureusement. Les années passent, et la solitude pèse sur Seta, qui commence à accueillir chez elle des enfants qui trainent dans les rues. Aram tombera ainsi sur le petit Vincent : sa présence finira par faire éclater Aram qui confiera, pour la première fois, le sort de sa famille à sa femme, créant une brèche qui, enfin, jette un pont frêle entre le mari et la femme.

Une bête sur la lune est ainsi l’histoire de deux êtres qui tentent tant bien que mal de s’apprivoiser, chacun à leur manière, mais non sans heurts. Cette douleur qu’ils couvent tous les deux ne les unit pourtant pas ; la jeune femme réussit à verbaliser les blessures profondes qui l’habitent alors que lui, torturé entre un passé qu’il fait taire et l’impossibilité de plus en plus probante de fonder une famille pour regarnir la photo familiale aux têtes découpées, dernière image d’un souvenir broyé, sombre dans une tristesse amère. Pourtant, la vie continue…

Amélie Bergeron signe une mise en scène sobre, classique, qui sied à ce texte, sans pour autant profiter des quelques éclairs d’humour qui l’habitent. Mustapha Aramis (Jeux de cartes : Cœur ; Épicerie) incarne un jeune Aram qui semble tiraillé entre une bonté qui sommeille en lui et un code traditionnel qu’il doit respecter à tout prix. Maladroit dans cette relation de couple forcée, son personnage ne laisse que peu de place à Seta, la forçant au lit pour engendrer une progéniture coûte que coûte, lui demandant de se taire et d’obéir. Pourtant, on arrive difficilement à le détester, sans pour autant l’apprécier. La sympathie envers Aram arrive ainsi très tardivement. Ariane Bellavance-Fafard (Froid, Beu-Bye 2017), grâce à sa voix toute juvénile, rend plutôt bien Seta, surtout au cours de la première partie. Si la comédienne reste crédible tout au long du spectacle, la Seta adulte gardera toujours une partie très enfantine qui empêche le personnage de prendre une réelle maturité, et devenir femme. C’est à Rosalie Daoust, finissante du Conservatoire, que la production a proposé le rôle de Vincent, le garçon de 12 ans qui rôde dans les rues du quartier. Pour bien faire sentir les origines du personnage, la comédienne use d’un langage beaucoup plus relâché que ses collègues, détonnant parfois un peu trop ; pourtant, elle s’en tire relativement bien, surtout lors de certaines scènes émotives un peu plus ardues, qui auraient peut-être pu donner du fil à retordre à un jeune adolescent. Omniscient, le narrateur, incarné avec prestance et sagesse par Jack Robitaille, brode avec douceur le fil de cette histoire.

Véronique Bertrand a su confectionner un décor aussi magnifique que réaliste pour accueillir tous ces personnages. Des décombres jonchent de petites zones à cour et à jardin pour rappeler le pays d’origine. Au centre, corridor, petite salle à manger, murs en verre poli et travaillé pour entrevoir les comédiens se déplacer créent un superbe appartement. Une galerie surplombe la scénographie, malheureusement sous-utilisée ; Jack Robitaille y montera qu’à deux ou trois reprises. Julie Morel habille avec goût et précision les trois protagonistes, alors que Keven Dubois signe une enveloppante conception d’éclairage. Les airs arméniens, concoctés par Pascal Robitaille, viennent accentuer à certains moments précis le drame et la mélancolie du texte de Kalinoski.

S’il manque peut-être au couple qui occupe la scène ce lien ténu qui saura finalement, avec subtilité, faire naître un amour véritable, Aramis et Bellavance-Fafard arrivent à incarner avec une certaine force et beaucoup de dignité ces immigrés survivants d’un génocide. Gar or chugar (il y avait et il n’y avait pas), une expression arménienne entendue à quelques reprises durant la représentation, prend tout son sens dans ce récit intime, profond, aux puissants échos contemporains.

02-03-2018


 
La Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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