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Du 8 au 25 octobre 2014, mardi et mercredi à 19 h, jeudi au samedi à 20 h, dimanche 19 octobre à 15 h
Effets secondaires
Texte Lucy Prebble
Traduction Maxime Allen
Mise en scène Michel Nadeau
Avec Véronika Makdissi-Warren, Sylvie De Morais, Jean-Sébastien Ouellette, Étienne Pilon

Au cours d'une étude clinique testant les effets d'un nouvel antidépresseur, Connie et Tristan, deux participants, développent une attirance l'un envers l'autre. Puis viennent les rêves étranges, l'emballement de leur libido, une envahissante sensation de fébrilité, des pensées sexuelles violentes... Entre la responsable de l'étude et son supérieur, le débat fait rage : cette attirance a-t-elle été causée par le médicament? Ou bien ces symptômes sont-ils des effets de l'amour naissant?

Toujours soucieux de faire découvrir des talents méconnus du théâtre contemporain, le Théâtre Niveau Parking propose, avec Effets secondaires, le texte primé de la jeune auteure anglaise Lucy Prebble. En cette époque où toute sensation désagréable est vue comme une maladie à traiter, les questions qu’il pose sont d’une pertinence dérangeante : notre pensée, nos sentiments et nos comportements ne sont ils que les effets des molécules chimiques circulant dans notre cerveau?

Avons-nous un libre arbitre ou sommes-nous menés par notre chimie cérébrale? Existe-t-il une frontière entre la psychologie et la biologie? Et, surtout, connait-on suffisamment le fonctionnement du cerveau pour prétendre le « guérir »?


Assistance à la mise en scène Amélie Bergeron
Conception Jean-François Labbé, Lionel Arnould, André Rioux, Sébastien Thériault
Direction artistique Michel Nadeau, Eudore Belzile


Production Théâtre des gens d'en bas et Théâtre Niveau Parking


Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : 418-529-2183

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Selon les statistiques du Ministère de la Santé et des Services sociaux, 20% de la population, soit une personne sur cinq, souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie. Les troubles mentaux viennent au second rang des causes de décès, juste après les maladies cardiovasculaires. Ces données sont alarmantes, quand on sait que le 2/3 des personnes touchées n’ira pas chercher d’aide, alors que si elle souffrait d’une tout autre maladie, elle visiterait le médecin sans tarder. Quelles sont les causes de la dépression? Peut-on dire que tout ce que nous vivons, nous ressentons, est uniquement chimique, donc curable ? Dans une société de plus en plus médicamentée, droguée, réussira-t-on à trouver la pilule du bonheur?

Constance, une jeune femme en couple, pragmatique, étudiante en psychologie, s’inscrit à des essais cliniques portant sur une nouvelle génération d’antidépresseurs basée sur la dopamine. Elle fait la rencontre de Tristan, un homme qui vit dans le présent, rêvant de son prochain voyage. Tout semble les séparer, jusqu’à ce que le confinement et les quelques échanges entre eux les rapprochent émotionnellement. Sous le joug d’une attirance physique absolument incontrôlable, déjouant la surveillance de l'établissement, ils succombent, malgré l’interdiction : mais est-ce que leurs sensations sont réelles ou sont-elles biaisées, voire créées de toute pièce par le médicament qu’ils testent? Comment faire la distinction entre l’amour réel et la dopamine qu’ils ingurgitent? Et surtout, comment réagir dans une situation pareille, alors que les repères s’effondrent?

Le Théâtre Niveau Parking, en collaboration avec le Théâtre des gens d’en bas, propose l’un des plus récents textes de la jeune dramaturge britannique Lucy Prebble, Effets secondaires (The Effect, en anglais, créé pour la première fois à Londres il y a à peine deux ans). Le récit de Prebble s’interroge avec pertinence, mais sans jamais donner de réponses précises, sur le domaine pharmaceutique, ses résultats souvent négatifs (cachés), sur la dépression, les inhibitions sociales et la compréhension très sommaire que nous avons du cerveau humain. L’auteure place le débat émotionnel au cœur de l’intense relation que vivent Constance et Tristan, qui peinent à comprendre et assimiler ce qu’ils ressentent, alors que le côté plus intellectuel ou psychologique s’articule autour des deux médecins, Toby et Lorna, qui supervisent les tests. Lorna, qui croit que la dépression est d’abord causée par des facteurs extérieurs, comparativement à Toby qui prône le débalancement chimique du cerveau – donc traitable par des médicaments –, apprendra d’ailleurs qu’elle est, elle aussi, en observation, ce qui déclenchera chez elle une grande colère, remettant en question la nature même de sa présence à la clinique. Les débats entre les différents partis deviennent, au fur et à mesure que la pièce avance, réellement fascinants ; on s’attache rapidement à ces quatre personnages d’une grande humanité.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

La mise en scène de Michel Nadeau, plutôt conventionnelle, rend ici service au texte et aux trames dramatiques parallèles. Étienne Pilon (volatile Tristan), Véronika Makdissi-Warren (forte mais blessée Lorna), Sylvie De Morais (bouleversée Constance) et Jean-Sébastien Ouellette (solide Toby) font preuve d’un jeu très équilibré et absolument maîtrisé, jouant avec finesse, intensité et humour. La « chimie » entre Pilon et De Morais est palpable, et l’on se délecte de leurs élans amoureux, jamais forcés ou « cheezy ». Le décor, rappelant peut-être davantage celui d’une station spatiale qu’une clinique privée, répondant d’ailleurs au nom de Raushen (possiblement dérivé du mot allemand rauschen, signifiant « rush ») est froid, ultramoderne et symétrique, octroyant une dimension encore plus importante aux drames terriblement humains qui se jouent entre ses murs.

Si les tout premiers échanges entre Constance et Lorna manquent légèrement du subtilité et de naturel – un défaut absolument mineur qui disparaît rapidement, laissant la place à un jeu totalement senti et juste de la part des quatre comédiens –  Effets secondaires s’avère une pièce solide qui, sans jamais tomber dans le pathos, pousse, avec intelligence et beaucoup de nuances, la réflexion sur la dépression et la médicamentation, mais, surtout, sur tous les types possibles de manipulation : chimique, amoureuse, psychologique, sociale, professionnelle et mercantile.

08-10-2014