Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 18 au 29 novembre 2014
Un certain nombre
Texte Caryl Churchill
Traduction Maxime Allen
Mise en scène Michel Nadeau
Avec Jean-Michel Déry et Jack Robitaille

Persuadé d’avoir gâché pour toujours sa relation avec son fils, un père veut tout recommencer depuis le début. Il décide de donner son enfant en adoption et, utilisant des échantillons de son sang, le fait cloner pour avoir un fils tout neuf, un canevas vierge sur lequel tracer une relation parfaite. Trente-cinq ans plus tard, le père est confronté à ses décisions passées…

À la fois thriller psychologique et pièce d’anticipation scientifique, Un certain nombre pousse à réfléchir sur le concept même d’identité : notre personnalité est-elle composée de la somme aléatoire de nos expériences ou bien est-elle déterminée dès la naissance par notre patrimoine génétique ? Plus encore, la pièce est une fenêtre ouverte sur le sujet délicat des relations père-fils et pose une question existentielle troublante : s’il était possible de recommencer une relation à zéro, pourrait-on vraiment faire mieux ou serions-nous condamnés à reproduire les mêmes erreurs? 


Assistance à la mise en scène : Caroline B. Boudreau
Distribution : Jean-Michel Déry et Jack Robitaille
Décor, costumes et éclairages : Karine Mecteau-Bouchard

Production Théâtre Niveau Parking


Studio Marc Doré du Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : 418-529-2183

Facebook Twitter
 
______________________________________
 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Renaud Philippe

Depuis sa création au milieu des années 80, Théâtre Niveau Parking a offert au public québécois une myriade de pièces inspirées, qui ont su plaire tant au public qu’à la critique. Les années 2000 ont d’ailleurs ont vu naître de brillants projets : qu’il s’agisse de Iphigénie ou le péché des dieux, Lentement la beauté, On achève bien les chevaux, Elvire Jouvet 40 ou même de Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa, la théâtrographie du TNP, il faut l'avouer, n'est pas banale.

Depuis quelque temps, le directeur artistique Michel Nadeau tente un retour à la simplicité et ravive son désir d’exploration : cartes blanches au Cercle et petites formes jouées durant quelques jours seulement en sont d’excellents exemples. Son plus récent projet, la pièce Un certain nombre de l'auteure Caryn Churchill, présenté dans la petite salle Marc-Doré du Périscope, fait partie de cette dernière catégorie : petite distribution, courte pièce (moins de 55 minutes), décor (presque) minimaliste, salle intime.

Caryl Churchill est une prolifique auteure britannique, connue ce côté-ci de l’Atlantique essentiellement grâce à sa pièce Top Girls. Ses textes, souvent primés, explorent principalement les thèmes du féminisme, de l’abus de pouvoir et de la sexualité. Un certain nombre (titre original A Number), écrite et créée à Londres en 2002, colle alors à l’actualité du début de ce siècle : les débats font rage à la télé et dans les journaux à propos du sens moral et éthique du clonage humain, après ceux, réussis, d’une chèvre et d’un chaton.  

Thriller dramatique intime et futuriste, Un certain nombre s’interroge sur la notion d’identité et sur la quête du bonheur individuelle au détriment des autres, peu importe les conséquences. Après le suicide de sa femme, un homme décide de faire cloner son fils pour retrouver l’enfant qu’il était avant les événements tragiques, le façonner à l’image exacte de ses désirs : « Tu es exactement la personne que je voulais » lui avouera-t-il. La découverte d’autres « répliques » par le fils, incluant « l’original », causera une réaction en chaine émotionnelle et violente. Comment réagir quand notre unicité est morcelée? Qui devenons-nous à la découverte d’autres personnes identiques à soi? Pouvons-nous être réellement uniques ou sommes-nous qu'un numéro? Avons-nous droit, malgré tout, au bonheur? Le clonage devient presque un prétexte pour l'étude des thèmes de l'identité et de l'unicité en ces temps modernes où tout est possible pour qui en possède le pouvoir.

Dans sa forme, la pièce est une tragédie, avec un héros (le père, qui a causé du tort) et un personnage qui cherche à se venger (le fils légitime). Elle s’avère généralement tangible, tout en étant parsemée de multiples zones grises et de non-dits qui échappent au public, volontairement. Par exemple, on ne sait pas pourquoi les clones sont si différents les uns des autres,  on ne connait pas le sort exact du premier fils cloné, on ne connait pas les motifs et l’histoire du clonage, dont celle du docteur qui aurait volé les échantillons pour créer d’autres « fils ». Pour saisir ce qui se passe, le public doit donc tenter de relier les événements du passé et du présent grâce aux bribes d’informations captées lors des conversations des protagonistes. La langue de Churchill, plutôt bien traduite par Maxime Allen, passe de la discussion conventionnelle à des phrases incomplètes, abrégées. Le rythme se voit ainsi hachuré ; le ton devient alors sombre ou nerveux, précipité. Par contre, dans sa réflexion philosophique, la pièce fait du sur-place à certains moments, tournant légèrement en rond.


Crédit photo : Renaud Philippe

À la mise en scène, Michel Nadeau donne toute la place voulue au texte et au jeu des comédiens. Jack Robitaille, en père indigne, passe par une gamme complète d’émotions, de l’amour à la colère, de l’avarice au désespoir. S’il interprète le personnage avec aplomb et un certain réalisme, ses changements d’humeur sont peut-être un peu trop rapides pour bien sentir tous les sentiments qui parcourent et habitent le personnage. On reste ainsi un peu à la surface, surtout en première partie, alors que des silences ou davantage de temps entre les répliques provoqueraient une plus grande tension entre le père et le fils. Jean-Michel Déry dévoile tout son talent en incarnant les trois fils de manière passablement différente. Les signes distinctifs sont bien présents : agressivité, soumission, douceur, altruisme. Impossible de mélanger les trois hommes.

Le décor se veut très simple, constitué uniquement d'une table, de deux chaises et d'un fauteuil. Tout autour d’eux sont suspendus vestons, manteaux et chandails, des représentations métaphoriques des autres clones. Les transitions aux éclairages plus lourds et stylisés rendent le récit encore plus tragique.

Présentée pour la première fois en version française, la pièce Un certain nombre, aux interprètes solides et à la maîtrise du suspense presque atteinte, s’avère un terrain de jeu plutôt intéressant pour l’équipe du Théâtre Niveau Parking. Malgré tout, il manque malheureusmeent au projet cette petite étincelle qui nous permettrait de parler de totale réussite.

18-11-2014