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Du 8 au 26 septembre 2015, mardi et mercredi 19h, jeudi et vendredi 20h, samedi 16h - Théâtre Périscope
10 décembre 2015, 20h - L'Anglicane
VinciVinci
Texte et idée originale Robert Lepage
Adaptation et mise en scène Pierre Philippe Guay et Frédéric Dubois
Avec Pierre Philippe Guay et Olivier Normand

Novembre 1986, Robert Lepage présente sa pièce VINCI au Périscope.
Septembre 2015, VINCI devient la première relecture d'un texte de Lepage.

Telle une fresque dont on ne voit que les détails sans ne jamais en voir l’ensemble, le spectateur est placé devant l’interrogation suivante : suis-je à ce point fragile que si je regarde le prisme de mon identité d'une autre façon, tout m'échappe?

Mars 2015, le Périscope a trente ans.

Philippe est photographe. Sa dernière exposition est un fiasco. Et son ami, son mentor, celui qui dans sa vie lui servait de miroir, de double, est mort. Malgré plusieurs séances chez le psy, rien ne va plus, rien ne se place. Il décide donc de partir en Europe.

De Londres à Florence, sa route croisera celle de Léonard de Vinci. L’artiste de la Renaissance et son œuvre viendront tranquillement éclairer son parcours, son voyage. Tout convergera vers Vinci, la ville natale de Léonard, et c’est là que peut-être Philippe trouvera réponse à ses errances. Une seule question alors : si je saute, vais-je tomber ou m’envoler?


Section vidéo


Décor Marie-Renée Bourget Harvey
Costumes Virginie Leclerc
Éclairages Caroline Ross
Musique Pascal Robitaille

TOURNÉE 2015

Production Théâtre Périscope


Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : 418-529-2183

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Critique

« La différence entre l’art et la mort n’est qu’une question de vitesse »


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Pour souligner son 30e anniversaire, le Périscope, dont la mission principale est la diffusion de créations, s’offre le cadeau de monter et de produire, pour la première fois de son histoire, une pièce de théâtre. Le choix du texte se devait d'être symbolique : c’est Vinci, l’une des premières œuvres du talentueux homme de théâtre québécois Robert Lepage, qui gagne la mise. Le choix est judicieux : rappelons que la pièce avait ouvert la toute première saison du Périscope, il y a 30 ans, appelé à l’époque l’Implanthéâtre, et parce que le texte n’avait jamais été remonté depuis. D’ailleurs, fait à noter, c’est la première fois au Québec, voire en Occident, qu’un texte de Lepage est créé par un autre metteur en scène. Que de premières !

Jeune photographe, Philippe est assailli par le doute, après avoir essuyé de vives critiques à propos de sa plus récente exposition, regroupant des clichés froids et impersonnels de salles de bain. Mais ce qui le bouscule profondément, c’est le suicide de son ami cinéaste, Marc, parti sans prévenir. Ébranlé, il part vers l’Europe pour se changer les idées. Son chemin le mènera vers Londres, Paris, Cannes et Vinci, en Toscane.

Philippe rencontrera sur son chemin quelques personnages stéréotypés, que Lepage affectionne particulièrement mettre en scène, dont un guide british tout aussi débordant d’énergie que classique et un exubérant travesti travaillant au Musée du Louvre, appréciant se voir en peinture, spécialement sous les traits de la Mona Lisa. Olivier Normand porte à bout de bras le texte et incarne avec brio ces trois différents personnages. Lors de rares moments, il manque à Philippe cette sensation de douleur intense qu’il devrait ressentir envers la disparition de Marc ; voilà l’un des seuls aspects de son jeu qui pourrait être critiqué. Pierre Philippe Guay, en guide toscan aveugle, impressionne (malgré quelques accros fort pardonnables lors de la première), par ses longues tirades en italien, surtitrées. Même si sa présence est bienvenue et appréciée, les interactions peu nombreuses entre Philippe et lui, entre autres, font tout de même croire que le spectacle aurait pu s’avérer être un solo des plus puissants, proposant tous les personnages comme une diffraction, ou des fragments de Philippe. Pierre Philippe Guay offrira par contre l’un des moments les plus lepagiens du spectacle, alors qu’il décrit les nombreuses constructions architecturales de l’homme grâce à la bande métallique et flexible d’un ruban à mesurer, accroché juste sous la ceinture – phallique à souhait.

Vinci aborde deux grands thèmes. D’un côté, le deuil et la fuite : on assiste plus ou moins aux effets que ces deux grandes et éprouvantes émotions peuvent avoir sur le corps et l’esprit. Le message que Philippe laisse sur le répondeur de Marc, une hallucination diurne, est un excellent exemple. Puis, de l’autre, une réflexion sur l’art (toujours présente dans les créations de Lepage, encore aujourd’hui), sur son côté paradoxal, contradictoire ; Frédéric Dubois s’en inspirera beaucoup pour la création de Vinci.

D'ailleurs, l’une des plus grandes contradictions nous est amenée par la scénographie (une conception de Marie-Renée Bourget Harvey) : quatre corridors parallèles, débouchant tous sur les coulisses, séparés par des murs vitrés. Que l’on ne s’y trompe pas : la scéno est absolument superbe. Mais si les possibilités esthétiques et symboliques sont nombreuses – le reflet triplé de Philippe, entre autres, grâce aux murs transparents placés l’un derrière l’autre et aux minutieux éclairages de Caroline Ross, crée un effet absolument magnifique – sa conception, qui met littéralement les interprètes sous verre, va à l’encontre d’un des passages marquants du texte (ou vient alors le corroborer?), où le personnage du travesti, à un moment, s’insurge, et avec raison, de la décision de mettre derrière une vitre les chefs-d’œuvre picturaux du Louvre. Un mur entre l’Art et son spectateur qu’on dénonce et qu’on utilise tout à la fois.


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Dans ce contexte scénographique plutôt froid, le metteur en scène Frédéric Dubois place Philippe hors de sa zone habituelle, hors de son cadre photographique : même quand on visite St-Germain-des-Prés, la Piazza del Duomo ou le Castello dei Conti Guidi, aucune image n’est projetée, aucune couleur n’apparait, créant lentement un effet de décalage ou d’épuration chez le spectateur et chez Philippe. Il est plutôt déstabilisant d’aborder l’art visuel, son côté conflictuel et moteur, sans aucun appui – justement – visuel. Peut-être veut-on démontrer que l’art peut tout de même s’apprécier malgré ce handicap, à l’instar de ce guide italien aveugle qui décrit sans problème les tonalités du marbre qui l’entourent. Néanmoins, l’absence d’artifice permet de se concentrer sur le jeu et la présence des acteurs en scène.

Il est bon de pouvoir (re)voir et apprécier ce texte de Lepage 30 ans après sa création. Vinci, aux nombreuses réflexions plutôt inspirantes, recèle encore, malheureusement, quelques trous narratifs, de questions sans réponse, malgré l’adaptation de Dubois : pourquoi Léonard de Vinci prend-il autant d’importance dans la quête de Philippe ? Pourquoi ce dernier est-il si marqué par la mort d’un ami qu’il ne voyait que rarement ? Marc et son suicide sont-ils alors des projections d’une partie de Philippe avec laquelle il tente de faire la paix ? Plusieurs interrogations subsistent après la pièce, minant légèrement notre plaisir et notre envie de plonger avec Philippe au cœur de sa tourmente – et de sa victoire, à venir. Veni, vidi...

La pièce partira en tournée au Québec jusqu’en décembre 2015.

09-09-2015