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Du 10 au 14 février 2015
Le chant de meu
Texte : Robin Aubert
Mise en scène : Benoît Desjardins
Avec Martin Dubreuil, Jean-René Moisan, avec les voix de Fred-Èric Salvail et Éloïse Boies

Cette pièce intimiste s’ouvre sur la vie d’Alain, un homme, fin de la trentaine, habitant un petit village. Au beau milieu de la nuit, il cogne à la porte de son chum Marco ; il vient pour se cacher. Le corps taché de sang, Alain raconte le début de sa soirée au bar à parier avec Boilard sur le gagnant du concours de panaches.

Bien sûr, il est question de chasse, de boucherie, des pick-ups, de l’automne et ses champs gris. Cette culture porte son lot de subtilités et de silences. Ce ne sont pas la chasse, le sang ou les coups de feu qui sont fondamentalement violents, mais plutôt les amitiés perdues, la trahison et le vide entre deux hommes « presque » frères qui tentent de se rapprocher.

Cette pièce, fidèle à l’univers de Robin Aubert, a été créée par le Noble Théâtre des trous de siffleux, une compagnie de recherche théâtrale en milieu rural. Basée à Mont-Laurier, cette compagnie puise son inspiration dans un univers forestier, routier et agricole et propose un théâtre marqué par la poésie et la recherche esthétique.


Scènographie et costumes : Silène Beauregard
Conception des éclairages : Émilie Gendron
Conception sonore : Sylvain Lafontaine
Arrangements sonores et régie : Maude St-Pierre

Une production Noble Théâtre des trous de siffleux


Premier Acte
870, de Salaberry
Billetterie : Réseau Billetech 418-694-9656
ou lepointdevente.com
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Dates antérieures (entre autres)

Du 12 au 30 novembre 2013, Prospero (Montréal)

 
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 Critique
Critique

par Francis Bernier


Crédit photo : Carl Perreault

Il aura fallu un peu plus d'un an avant que le premier texte de théâtre de Robin Aubert soit joué à Québec et l'attente en aura valu la peine. On connaissait déjà Aubert pour ses talents d'acteurs sur les planches comme devant la caméra et pour son travail de scénariste et de réalisateur pour Saints-Martyrs-des-Damnés et À l'origine d'un cri, deux films qui avaient été chaudement applaudis par ses pairs et le public. C'est au théâtre, grâce à Benoît Desjardins et Silène Beauregard, que l'ancien champion de la Course destination monde présente son nouveau texte. Bien que le transfert du septième art aux planches peut s'avérer parfois périlleux pour plusieurs auteurs, Aubert, lui, s'en sort de façon magistrale et présente un texte puissant empreint de la poésie sombre et sensible qui a fait sa renommée, dans un langage aux couleurs bien particulières qu'on a malheureusement rarement l'occasion de pouvoir entendre au théâtre.

C'est une histoire sur l'amitié que nous raconte Le chant de meu. Celle entre deux hommes qui verront leur complicité mise à l'épreuve suite à un triste événement. Marco et Alain sont les meilleurs amis du monde. Un soir où Alain a fait un peu trop la fête, consommant alcool et drogues en grande quantité, il rentre chez son ami Marco le visage et les mains ensanglantées, déroulant un discours décousu et hystérique. Marco finit par comprendre qu'après avoir voulu aller s'exercer au tir dans un champ voisin, complètement intoxiqué, il a tiré par mégarde sur Meu, la vache de celui qu'on surnomme « le vieux sénile ». Évidemment, le propriétaire de la vache s’est aperçu du drame, et Alain, paniqué, l’a tué. Marco, ne sachant quoi faire à la suite des révélations troublantes de son vieil ami, décide d'aller le dénoncer aux autorités. Ce geste est perçu comme une trahison par Alain et la camaraderie entre les deux hommes s'en trouve durement touchée.

La première partie de la pièce se concentre sur la reconstitution des événements de la soirée qui a mené au cauchemar ; la deuxième présente plutôt l'après-drame, le moment où Alain est confiné à sa cellule de prison, recevant de temps à autre la visite de son ancien ami.

Toute la puissance du texte de Robin Aubert repose dans les non-dits, dans des petits silences souvent très lourds de sens. Les dialogues – qui sont dans ce cas-ci la plupart du temps des monologues –  sont empreints d'une poésie à la fois rude et touchante. L'univers rural mis en scène n'a rien de stéréotypé et présente des personnages dotés d'une sensibilité insoupçonnée. On navigue ici dans un monde typiquement masculin, où la chasse et les concours du plus gros panache sont à l'honneur. Le tout est rendu à merveille par la mise en scène de Benoît Desjardins, minimaliste, mais ô combien efficace. Utilisant un décor composé uniquement d'une chaise et d'un mini réfrigérateur, il parvient à créer un imaginaire percutant qui repose en très grande partie, il faut le mentionner, sur le talent des interprètes et sur la chimie qui s'installe entre eux.  Martin Dubreuil est impressionnant dans son rôle d'Alain. Son entrée en scène, un monologue de près de vingt minutes dans lequel il raconte sa malheureuse aventure, capte l'attention du spectateur dès le début et le garde assis sur le bout de son siège jusqu'à la toute fin. Jean-René Moisan, un peu plus sobre dans son personnage de Marco, est tout aussi vibrant, offrant un jeu justement dosé et tout en subtilité.

Le chant de meu est un huis clos intense qui remet en question les enjeux et les limites de l'amitié. Un texte brut et authentique mené par des comédiens en pleine maîtrise de leur art.

13-02-2015



par David Lefebvre (2013)


Crédit photo : Silène Beauregard

Le Noble Théâtre des trous de siffleux est plutôt méconnu au cœur de la métropole. C’est que la compagnie, qui célèbre pourtant sa douzième année et autant de créations, sévit plus au nord, dans la belle région des Laurentides, terre natale de ses fondateurs Benoît Desjardins et Silène Beauregard, tous deux diplômés de l’École nationale de théâtre. La compagnie est en quelque sorte leur terrain de jeu, à l’intérieur duquel ils expérimentent, recherchent, s’amusent, dans un cadre plus forestier et agricole qu’urbain ou même banlieusard.

Sa plus récente création ne fait pas exception à la règle. Le chant de meu parle d’un homme, Alain, de son buck qu’il a manqué, de panaches qu’on compare, d’une nuit terrible de poudre et de bières, de pick-up, de carabine, de vieille vache dans un champ qui devient une cible de pratique et de son propriétaire qui arrive sur le fait. Elle parle d’une vie qui part à bout portant, d’une fuite ensanglantée, d’un arrêt chez le meilleur chum, Marco. Elle parle du pire qui est pire encore que ce qu’on peut imaginer ; celui de la macabre scène, certes, que Marco ne peut s’empêcher d’aller visiter, mais surtout de la trahison, de la dénonciation aux autorités et de la perte d’une amitié presque fraternelle.

Avec Le chant de meu, Robin Aubert signe un tout premier texte pour la scène, celle-là pourtant qui l’a fait connaître à un certain public dans les années 90, bien avant La course destination monde et ses courts et longs métrages. On reconnaît aisément sa plume, sa prose violente, rude, presque crade, mais aussi nostalgique, bourrée de références culturelles et d’innombrables images, comme s’il voulait peindre mille tableaux à chaque phrase prononcée. Il explore encore une fois la masculinité dans toute sa rusticité, celle chez qui les malaises et les silences remplacent bien des phrases, celle chez qui l’émotion sincère se terre trop profondément sous les stupidités et les clichés pour connaître le soleil d’automne.


Crédit photo : Silène Beauregard

La pièce est constituée de quelques longs monologues, souvent sous le ton de la confidence, rappelant vaguement la dramaturgie irlandaise, comme celle de Mark O’Rowe, et de rares scènes en duo. Si la mise en scène de Benoit Desjardins laisse totalement la place aux mots d’Aubert, elle manque parfois d’impact, surtout dans la direction d’acteur, même si certains moments solos proposent quelques instants tout aussi tragiques qu’inspirés. Martin Dubreuil, qui apparait pour la première fois sur les planches en vingt ans, ayant surtout fait carrière au petit et grand écran, en impose pourtant dans la peau d’Alain, d’abord torturé, saoul d’alcool et d’adrénaline, puis rêveur, dans sa cellule, à imaginer candidement une meilleure vie s’il avait pu abattre ce fameux chevreuil, un échec de gars de campagne qui a mené à cette soirée au bar et à ce drame « accidentel ». Hubert Proulx, lors de la première, a semblé plus nerveux que son comparse, manquant d’aplomb à quelques reprises. Sa présence sur scène, surtout lors du premier monologue, est mal dirigée, le laissant en plan à côté de son ami, ouvrant bouteille et cannette, sans questionner, sans argumenter. Par contre, on le sent déjà plus solide alors qu'il narre sa visite des lieux du crime, ainsi que celle de la prison où son ami d’enfance est incarcéré. Les rares dialogues entre les deux hommes manquent encore quelque peu de finition, surtout lors des moments de silence et de malaise, pour réellement sentir tout le gouffre qui se cache derrière les futilités, les souvenirs et les banales histoires que les deux hommes s’échangent, sans pour autant être dénué d'intérêt et même d'humour. Des détails qui sauront se régler sans l'ombre d'un doute après quelques représentations.

À la scénographie et aux éclairages, Silène Beauregard et Émilie Gendron créent un univers intimiste et sombre qui rejoint à merveille celui de Robin Aubert. Une chaise, un mini frigo, des vêtements éparpillés, une rangée de maïs séché délimitant l’espace de jeu ainsi que les couleurs blanc et rouge des projecteurs suffisent aux comédiens pour évoquer l’appartement, le champ, la taule, et tout ce qui a pu s’y passer. L’utilisation de la lumière du petit réfrigérateur pour imiter les phares d’une voiture qui s'amène s’avère plutôt bien trouvée ; l’un des seuls moments plus fantaisistes de la soirée.

Le chant de meu est une pièce imparfaite, certes, mais propose une écriture brute, rurale, ainsi qu’une rencontre singulière avec deux hommes sans fard et sans raffinement mondain. On y explore la nostalgie d’une jeunesse sans inquiétude, de la perte d’innocence et de l’amitié masculine qui se brise et échoue, mais en restant, malheureusement, toujours à la surface des choses.

13-11-2013