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Du 11 au 20 décembre 2015
Les contes à passer le temps
Hors-série
Textes Michel Nadeau, Noémie O’Farrell, Sophie Grenier-Héroux, Maxime Robin, Jean-Michel Girouard, Valérie Boutin, Sophie Thibeault
Mise en scène Maxime Robin
Avec Réjean Vallée, Noémie O’Farrell, Maxime Robin, Jean-Michel Girouard, Valérie Boutin, Sophie Thibeault

« On voulait raconter la ville, on voulait la projeter dans le temps. On voulait la cristalliser dans un passé, lointain ou proche, on voulait la découper au scalpel, la dépecer, l’analyser, chercher à la comprendre, pour ensuite mieux s’y perdre. C’est pour rendre hommage à Québec, qui nous a vus naître et grandir, c’est pour rendre hommage à cette ville qui porte notre histoire personnelle, parmi tant d’autres histoires plus vastes et plus importantes, que nous avons décidé d’entreprendre le projet des Contes à passer le temps…

Ils sont six à écrire ou à raconter Québec, des auteurs et des acteurs, des vieux et des jeunes, des gars et des filles, des timides et des téméraires. . tous, on a demandé d’être obsédés par le temps. Tous, ils ont cassé leur montre pour raconter une histoire. On leur a divisé Québec en cinq parts, comme un gâteau. Chacun d’eux a dévoré son quartier pour mieux le raconter. Ensemble, ils composent une fresque diversifiée et hétéroclite, quelque chose qui, pour nous, ressemble à Québec. Mais Québec vue de l’intérieur, dans son quotidien, sa petite histoire, ses petites histoires, dans la tradition du conte urbain.

Des contes qui sont racontés partout la veille du temps des fêtes, mais qui, étrangement, manquent au paysage théâtral de la Vieille Capitale. On pensait que pour une ville qui en avait tant à raconter, il fallait remédier à la situation.

Et c’est ce que nous avons fait. »


Section vidéo


Concepteurs Sophie Grenier-Héroux, Noémie O'Farrell et Maxime Robin

Au coût de 27 $ (courant), 21 $ (30 ans et – aînés) et 17 $ (groupe) taxes et frais de service inclus

11, 17 et 18 décembre 20h, 12 et 20 décembre 15h, 13 et 19 décembre 15h et 20h

Une production La Vierge folle


Premier Acte
870, de Salaberry
Billetterie : Réseau Billetech 418-694-9656
ou lepointdevente.com
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Critique

Crédit photo : Cath Langlois Photographe

La compagnie La Vierge Folle célèbre (déjà) le cinquième anniversaire de ses Contes à passer le temps, rendez-vous maintenant incontournable pour plusieurs amateurs de théâtre. Présentés au cœur de la magnifique, ancestrale et inspirante architecture de la Maison Chevalier, les six contes au programme se promènent dans le temps, les lieux et les émotions typiques du temps des Fêtes.

Cette année, la production sort des quartiers de la ville ; mis à part St-Sacrement et le Vieux qui se retrouvent au centre de deux récits, les autres courtes histoires nous sortent de la belle Capitale. On se dirige donc vers Val-Bélair la mal-aimée, Charlesbourg, Beaupré et Lévis, qui deviennent ainsi le théâtre de petites histoires.

Petites ? Non. Il n’y a pas de petites histoires, il n’y a que des grandes, comme le répète le premier personnage à entrer en scène entre les deux rangées de spectateurs bien tassés dans la salle voûtée de la maison historique. Imaginée par Sophie Grenier-Héroux et Maxime Robin, la dame, interprétée par Véronique Aubut, est journaliste de profession ; devenue cynique à cause de son travail, elle nous confie pourtant sa rencontre, grâce à des témoignages et à ses recherches, avec un géant, un être plus grand que nature, soit Édouard Beaupré, décédé de la tuberculose à l’âge de 23 ans. Le genre d’homme qui marque l’histoire avant et après sa mort ; trimbalé ici et là comme attraction dans un cirque de type vaudeville, battu par Louis Cyr en combat organisé, puis embaumé et montré comme une vulgaire bête au Musée Éden de Montréal, il se retrouve nu et exposé au laboratoire d’anatomie de l’Université de Montréal durant près de 85 ans. « Le monde est fou »… Après la chasse-galerie et la Corriveau, c’est au tour du Géant Beaupré d’être l’invité d’honneur des Contes à passer le temps.

« Levez la main les célibataires ce soir » : une secrétaire juridique d’un cabinet d’avocat, seule dans la vie, mais bien dans sa peau, avoue que le temps des Fêtes est dur pour les célibataires de ce monde. Pour faire taire la famille, les oncles et les tantes durant le Réveillon, elle tente de trouver quelqu’un en ligne, quitte à laisser le pauvre bougre le 3 janvier. S’ensuit une rencontre au Tim Horton sur Pie-XI, une ride en motoneige improvisée et une hallucination lors d’un moment de bonheur inattendu qui lui fera prendre conscience de la rancoeur qu’elle traine contre son père, un militaire décédé en Bosnie. L’humour est au rendez-vous, tout comme l’émotion,
grâce au jeu - et au petit accent savoureux – de Valérie Boutin, qui signe aussi le conte.


Crédit photo : Cath Langlois Photographe

Ces deux histoires donneront le ton au spectacle, ou du moins dévoileront ses thèmes récurrents : faire la paix (avec son passé, avec les gens qui nous ont blessés), l’espoir et la nécessité d’humaniser, de retrouver le respect et l’amour envers l’autre. Et quoi de mieux qu’un conventum du Collège de Lévis pour mieux illustrer le tout ? Un jeune homme, croyant s’en être tiré, est invité aux retrouvailles de son école. Maintenant paysagiste, il craint cette rencontre avec les autres étudiants de sa cohorte, qui seront devenus pour la plupart des « professionnels ». Mais au milieu de tout ce monde, il y aura la belle Laurie, enceinte, certes, mais qui fait toujours battre son coeur. Saura-t-il trouver le courage d’affronter ses peurs et enfin tourner ce chapitre de sa vie ? Jean-Michel Girouard s’investit totalement et nous faire croire, tout en nous touchant et en nous faisant rire, à ce jeune homme nerveux et un peu naïf.

Une mère de famille est appelée en audition pour donner sa version des faits à propos d’un feu déclenché lors d’une altercation entre elle et une autre participante de la crèche vivante dans une église de Charlesbourg. Frustration et ressentiment, mais aussi beauté du monde se retrouvent au coeur de ce monologue à l’humour assumé, signé par Jean-Michel Girouard et livré sans faille par une Sophie Thibeault littéralement en feu, qui pousse même quelques blagues en rapport aux spectateurs dans la salle - dont un certain Robert Lepage, qui assistait à la première.


Crédit photo : Cath Langlois Photographe

Avant et durant l’entracte, les spectateurs peuvent se désaltérer et manger quelques desserts salés ou sucrés - tous plus succulents les uns que les autres - au petit bar improvisé aux allures de magasin général. Les gâteaux et autres scones sont d’ailleurs fournis par La folle fourchette, les comédiens et… leurs mamans.

Si la première partie s’avère relativement homogène, la deuxième, plus hétéroclite, est légèrement moins accrocheuse. On se retrouve d’abord dans Beaupré, où trois jeunes, gelés jusqu’aux oreilles, vont piller le cuivre d’un vieux couvent de « rédemptoristines », laissé à l’abandon. La jeune femme, anxieuse, interprétée par une Noémie O’Farrell à cran, se voit contrainte de suivre son copain dans ce lieu un peu glauque. Alors qu’elle décroche un téléphone pour entendre une possible tonalité, c’est la voix d’une autre femme d’une autre époque, qui se fait entendre, prenant des nouvelles de sa famille habitant l’île d’Orléans. Maintenant dévouée à Dieu, elle s’ennuie éperdument de la nature et de ses proches. Noémie O’Farrell réussit à jouer distinctement les deux femmes, qui, pourtant, se ressemblent davantage qu’il n’y paraît. Malheureusement, la finale du conte (de Michel Nadeau), sans la dévoiler, tourne court et déçoit par sa trop grande ouverture. Puis, on tombe dans un récit purement humoristique, alors que Réjean Vallée, affublé d’une tuque, d’un foulard, d’un petit manteau, de lunettes en fond de bouteille, d’un pantalon court et de bas longs, nous entraîne dans sa famille où l’on écoute religieusement depuis 1970 le disque de Noël de Ginette Reno autour du sapin, et ce, en silence. Et si l’oncle chauffeur d’autobus s’aventure à chanter quelques notes de Promenade en traîneau, il se fait rapidement ramener à l’ordre, sous les rires nourris des spectateurs. C’est alors qu’il apprend que la grande Ginette chantera à la messe de minuit dans une paroisse voisine : pourra-t-il y assister ? Et si oui, osera-t-il l’inconcevable, soit convaincre de gré ou de force la chanteuse à venir pousser la note près du sapin familial ? Absurde à souhait, écrit par Sophie Thibeault, le conte interprété par Vallée est simplement jouissif.

Alors qu’il se dévêt et se revêt à la vue de tous, sous les mains habiles des autres comédiens, Réjean Vallée, avec une aisance étonnante, change totalement de registre, passant du livreur de journaux et fan fini de Ginette Reno au professeur d’université obsédé par la science, prêt à disséquer un géant Beaupré qu’on vient de retrouver dans une grange de Montréal. Son équipe, réticente, demande un sursis au professeur en cette veille de Noël, au nom de l’âme de cet homme considéré comme une simple curiosité. À la manière du Conte de Noël de Dickens, des fantômes viennent assaillir l’homme de science : les enfants qui ont découvert le cadavre, Florence et Camille Courval, les soeurs héritières du Musée Éden, Louis Cyr (Maxime Robin), assis dos à une meute de journalistes, qui regrette amèrement le combat qu’il a mené contre Beaupré et, finalement, la journaliste… Tous viennent redonner une certaine humanité à cette carcasse de huit pieds, bouclant merveilleusement la boucle de ces contes à se perdre dans le temps, avec un plaisir sincère et qui fait du bien.

12-12-2015