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Du 13 janvier au 7 février 2015
SoeursSoeurs
Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Avec Annick Bergeron

Le cycle Domestique : voici le nouvel objet de travail de Wajdi Mouawad. Entamé avec Seuls, symbole du fils, cette pièce ouvre la voie à un second solo, Sœurs, lui-même suivi de Frères, puis de Père et Mère qui prendront à leur tour la forme de solos ou de duos. Plusieurs points de vue pour témoigner de la diversité des vécus des membres de la famille.

La langue maternelle et l’identité profonde qu’elle offre à chacun, la blessure et l’humiliation de ne pas pouvoir librement la parler, sont les points de départ de la rencontre et des échanges, dans une chambre d’hôtel, entre une jeune femme et une agente d’assurance.


Dramaturgie Charlotte Farcet
Assistance à la mise en scène Alain Roy
Scénographie Emmanuel Clolus
Éclairages Eric Champoux
Conception et réalisation vidéo Dominique Daviet, Wajdi Mouawad
Ccostumes Emmanuelle Thomas
Direction musicale Christelle Franca
Composition David Drury
Réalisation sonore Michel Maurer
Maquillages Angelo Barsetti

extraits vidéo disponibles sur Vimeo

Durée 2h10

mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
le dimanche 18 janvier à 15 h

Rencontre avec l’équipe à l’issue de la représentation du 20 janvier

Un spectacle d’Au Carré de l’Hypoténuse-France, Abé Carré Cé Carré-Québec, compagnies de création, en coproduction avec le Grand T, théâtre Loire-Atlantique (Nantes), le Théâtre national de Chaillot (Paris), le Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan, Le Quartz, scène nationale de Brest avec le soutien de l’Athanor et de la Ville de Guérande. Wajdi Mouawad est artiste associé au Grand T


Centre du Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900 - billetterie.theatredaujourdhui.qc.ca

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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge

SŒURS, de Wajdi Mouawad : escroquerie


Crédit photo : Pascal Gely

Depuis le scandale démesuré autour de son spectacle du cycle des Femmes présenté au TNM, les occasions de voir Wajdi Mouawad en sol québécois ont été assez rares. Sorti de son exil volontaire en France, il marque son retour chez nous avec Sœurs, faisant suite à son solo mémorable Seuls, présenté il y a quelques années au Théâtre d’Aujourd’hui. Seulement, en sortant de la salle, il est pertinent de se demander si cet opus était réellement nécessaire.

Sœurs devient donc le deuxième opus de ce que Mouawad appelle « le cycle Domestique », qui tourne autour des différents membres d’une famille (la figure du fils se retrouve dans Seuls).Geneviève Bergeron, une médiatrice culturelle de passage à Ottawa est prise au piège par une tempête et doit passer la nuit dans une chambre d’hôtel dite « interactive », mais où l’option française est en panne, causant maints maux et emportements à la femme d’origine franco-manitobaine. Cette crise la mènera à la rencontre d’une femme libanaise, directement inspirée de la sœur de l’auteur, inspectrice en sinistres.

Traitant cette fois de la question de l’exil et de la langue maternelle, le spectacle est porté par la comédienne Annick Bergeron, se glissant sous la peau des deux personnages moteurs de la pièce, mais aussi sous celles d’autres figurants. Peu de choses à dire contre la performance de longue haleine de la comédienne, elle rend justice à chacun des personnages qu’elle doit interpréter et semble infatigable ; une inspiration pour toutes les comédiennes d’ici et d’ailleurs. Mais une bonne comédienne, même à la hauteur du talent d’Annick Bergeron, n’est pas suffisante pour sauver un spectacle comme celui-ci.

Wajdi Mouawad nous sort son manège que nous connaissons désormais trop bien, avec ses procédés textuels et de mise en scène. Par exemple, l’une des scènes centrales du spectacle – où Geneviève Bergeron saccage sa chambre d’hôtel – rappelle sans le moindre doute une scène de Seuls où Mouawad détruisait le décor en le recouvrant de peinture avec un sens du rituel apparent. Par contre, ici, le geste destructeur semble vidé de sens et sans aucune charge émotive et le rappel au premier opus du « cycle Domestique » semble n’être que plagiat et manque d’innovation, ce que Mouawad ne peut se permettre.

Dans un décor morne et fade, à l’image de cette chambre aseptisée, quelques morceaux modulables servent de surface de projection à des séquences vidéo, agaçantes la majeure partie du temps, ou encore à quelques citations poétiques qui collent très mal au récit.

Je me dois d’être sincère : le public semble conquis, mais soyons honnêtes, le créateur ne fait que nous démontrer à quel point il ne parvient aucunement à se renouveler ou même à dire quoi que ce soit de nouveau sur ce monde qui l’entoure. Il utilise les mêmes thématiques, tentant de l’aborder différemment avec un personnage d’une autre culture, mais l’emportement de celle-ci face à l’impossibilité d’utiliser sa langue maternelle dans sa chambre interactive semble grossier et quelque peu ridicule (même si, dans un sens, cette apparition d’humour dans une pièce de Mouawad permet de désamorcer la lourdeur du propos et du traitement de ses thèmes et n’est pas de refus.). En portant bien attention, l’ensemble du spectacle nous laisse sur une impression d’un déjà-vu désagréable et ennuyant.

Pourtant, l’humiliation et l’assimilation à une autre culture sont des thèmes riches qui pourraient être explorés infiniment, mais le tout résulte en un malaise énorme, presque innommable, qu’on pourrait attribuer au rapport qu’a Wajdi Mouawad avec le Québec. Le spectacle s’ouvre sur la comédienne chantant Je ne suis qu’une chanson, par-dessus la voix de Ginette Reno. Pratiquement intégralement. Comme le symbole de l’assimilation parfaite à la culture québécoise de cette femme franco-canadienne. Car une fois de plus, le Québec, dans le récit de Mouawad, est représenté comme une terre d’accueil où les personnages se sentent aux prises d’un malaise identitaire profond suite à un exil de quelconque ordre. Mais dans Sœurs, ce Québec semble bien pauvre. Quelques sacres, un « icitte » bien folklorisé et détonnant du niveau de langage général de la pièce et… Ginette Reno. Voilà ce à quoi se résume l’assimilation de ces deux femmes ; une vision réductrice agaçante. Et comment parler d’assimilation au Canada, chez les communautés francophones hors Québec et les autochtones, sans faire une seule fois allusion à l’assimilation qu’a subie et que subit présentement cette terre d’accueil si centrale dans l’œuvre de Mouawad ? C’est un choix, mais un choix étrange qui a son lot de conséquences. Ses deux personnages en exil ont pris de nouvelles racines sur un territoire (le Québec) que le spectacle exprime et exploite fort mal et duquel il semble totalement déconnecté.

Certes, l’objectif était sans doute de nous mettre face à notre rapport avec les communautés que nous accueillons, à leur relation avec leur terre d’accueil et leurs origines, mais il y a tant de maladresses que nous ne recevons rien. Sinon, le public ne réagirait aucunement de la même façon, il ne serait pas aussi transporté par cet humour à la mécanique apparente. Comme quoi que de porter le nom de Wajdi Mouawad n’est pas suffisant pour toujours faire un bon spectacle et parler pertinemment de médiation culturelle.

27-01-2015