Quelques interprètes entrent sur scène - le chœur. Un ultime interprète les rejoint - le coryphée. Le chœur s’installe derrière des micros, le coryphée derrière une partition musicale. Une symphonie vocale se bâtit lentement à partir du récit narratif dirigé par le coryphée - nous avons peu à peu un orchestre. Nous aurons une histoire - celle de Caligula, empereur romain, obsédé par son destin de mortel, fou de lucidité, de liberté, d’absolu, fidèle à sa révolte mais infidèle aux Hommes.
Caligula est notre coryphée, notre chef d’orchestre. Son chœur, ce sont des souvenirs qu’il évoque, ce sont ces quelques personnes qui l’ont aimé et qu’il a rejetées.
Ce spectacle, c’est une représentation de l’âme de Caligula. C’est « le récit d’un suicide supérieur ».
Ce spectacle, c’est encore le texte d’Albert Camus, mais revisité, remixé.
Terre des Hommes
Terre des Hommes a été fondée par Marc Beaupré, François Blouin et Guillaume Tellier. La compagnie a présenté son tout premier spectacle, Le silence de la mer, de Vercors, le 26 février 2008 à La Chapelle à Montréal. Parallèlement à Caligula (Remix), la compagnie Terre des Hommes travaille à Dom Juan (uncensored) à partir des différentes interprétations du mythe de Don Juan et à l’Iliade (showdown), une adaptation libre de l’Iliade d’Homère.
Section vidéo
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Scénographie et éclairage Francesco Di Blouini
Conception sonore Louis Dufort
Une présentation de La Chapelle
Une production Terre des Hommes
dans le cadre du Festival Montréal en lumière
Dates antérieures (entre autres)
29 avril au 15 mai 2010, La Chapelle
par Aurélie Olivier
C’est un spectacle assez remarquable que ce Caligula (remix), version revisitée par le metteur en scène Marc Beaupré de la pièce d’Albert Camus, Caligula. La relecture de Beaupré porte en effet une empreinte, traduit une véritable appropriation de la pièce au point d’en fait un objet tout à fait nouveau et ô combien intéressant.
C’est que le metteur en scène a décidé de raconter l’histoire de l’empereur despotique par le biais d’un chœur narrateur plutôt qu’à travers des dialogues, et n’a conservé qu’une petite partie du texte original, y ajoutant même des extraits d’autres textes. Voici donc les comédiens assis derrière des micros posés sur une immense table en bois brut, et dirigés comme des choristes par un chef d’orchestre. Certains des narrateurs seront toutefois amenés à quitter ce rôle pour endosser des personnages dans quelques scènes essentielles. Quant au chef d’orchestre, il n’est autre que Caligula lui-même. Caligula le tyran, celui qui exécute ses sujets sans sourciller, à la poursuite d’une folle quête de liberté, celui qui dispose d’un pouvoir quasi absolu sur son peuple, celui-là même donne le droit de silence et de parole à ceux qui racontent son histoire. Cela n’est-il pas follement ironique?!
C’est Emmanuel Schwartz qui incarne l’empereur romain, qui, à la mort de sa sœur et amante Drusilla, prend soudain conscience de l’absurdité de la condition humaine. « Le monde tel qu’il est fait n’est pas supportable », dit-il; puis, plus tard : « Les hommes meurent et ne sont pas heureux. » Dès lors, il n’aura de cesse d’affirmer sa propre liberté par la négation de toutes formes de valeurs et l’utilisation de son pouvoir à des fins meurtrière. Un rôle d’envergure que le comédien incarne avec beaucoup de conviction et de talent, d’autant qu’en plus d’être chef d’orchestre, il est aussi régisseur! Marc Beaupré a en effet pris le parti d’effectuer un mixage sonore en direct des voix des comédiens. Debout derrière sa console, tournant le dos au public, Schwartz enregistre les mots, les souffles, les halètements, les cris et les restitue, modifiés et mélangés. La variété des sons produits est étonnante et crée des lieux, des ambiances, sans que l’on n’ait jamais le sentiment d’un procédé répétitif. Toute la mise en scène met l’accent sur le côté absurde de la quête d’absolu que Caligula défend pourtant au nom de la logique. Dangereux, fou peut-être, Caligula est aussi profondément humain, lui qui lutte contre son sentiment d’impuissance en exerçant du pouvoir sur les autres. Il porte en lui une révolte que l’on retrouve dans toute l’œuvre de Camus comme réponse à l’absurdité du monde.
Dès le début du spectacle, cela saute à la figure : il y a là une somme de travail considérable. Tout a manifestement été soigneusement pensé et organisé par le metteur en scène et les comédiens (Michel Mongeau, Ève Landry, David Giguère, Iannicko N'Doua Légaré, Mathieu Gosselin, Alexis Lefebvre, Guillaume Tellier, Emmanuelle Orange-Parent) se sont approprié sa vision. Ils passent ainsi avec aisance de la narration, distanciée, à un jeu plus incarné et répondent aux commandes de Schwartz avec précision. Un engagement dont on ne peut qu’être reconnaissants : ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de voir un spectacle aussi original et porteur d’une vision aussi personnelle et affirmée.