(Very) Gently Crumbling est une étude. Un test d’endurance. Puisque la vie n’est au final qu’un certain procédé de détérioration. Un déclin ordinaire, en soi ni triste, ni heureux. Une simple occurrence. Où chaque impact laisse sa marque, son égratignure, sa déchirure. Chaque assaut, son émotion forte qui nous change à jamais. À travers ces traces qui s’accumulent au hasard, lancée avec urgence, une idée récurrente: la résistance. Rester debout. Exister. Nous tanguons, nous plions, nous perdons pied, nous nous déconstruisons, nous touchons le sol, sous l’usure assurée. Nous faisons face. Des forces nous rongent de l’extérieur et de façon plus menaçante encore, de l’intérieur. Contusion du cœur. Barrage qui cède dans le bas ventre. Craque, craque et craque encore. Et tous, nous nous retrouvons, après la course. Pour prendre un verre. Dans le tas de ce qu’il en reste.
Grand Poney est une bête insaisissable, digne et fantaisiste, qui soutient et réalise la vision de son directeur Jacques Poulin-Denis. Artisan des arts de la scène, Jacques est un compositeur, chorégraphe, metteur en scène et interprète qui entreprend depuis 2004 des projets qui brouillent les frontières entre les disciplines de la danse, de la musique et du théâtre. Il crée des œuvres humanistes et loufoques dont le propos déstabilise doucement le spectateur en déployant la puissante vulnérabilité des personnages auxquels il donne vie. Grand Poney est une compagnie d’art interdisciplinaire qui rassemble des artistes échangeurs d’idées pour façonner un mode de création hybride qui se réinvente indéfiniment. Son principal but est de lier l’évident et l’imaginaire et d’interroger son rapport à l’autre. Avec ses idées de grandeur qui le rendent téméraire, Grand Poney tente toujours de réaliser une pointe d’impossible.
Section vidéo
Lumières Alexandre Pilon-Guay.
Conseils chorégraphiques Jean-François Légaré.
Costumes et décors Veronica Classen
Photo Dominique T. Skoltz
par Pascale St-Onge
Lorsque l’humain s’écroule, que reste-t-il de lui ? Qu’est-ce qui habite ce corps qui, lui, est toujours là ? Le plus récent spectacle de Jacques Poulin-Denis est une merveilleuse énigme, un bel objet plastique, juste assez étrange.
Quatre femmes sont en scène dans un espace abstrait et fascinant à la fois : grande toile blanche, plante artificielle et coussins en forme de ballon de caoutchouc. Elles dansent et réagissent à une voix de synthèse (procédé très en vogue dans quelques spectacles cette saison) qui ordonne et suggère des états, des réflexions et des actions plus ou moins suivies par les danseuses. Le corps répond, mais l’humanité derrière semble s’effacer peu à peu. Certains réflexes demeurent, mais de plus en plus, le corps se transforme en instrument à la limite de la machine. La gestuelle le souligne par la décomposition du mouvement ; le corps devient robotique tout comme l’est cette voix de synthèse dont le discours frôle - ou assume même par moments – l’absurdité. À un certain point, même le corps ne semble plus répondre tout à fait. Comment rendre ces pulsions qui nous habitent quand tous nos moyens d’expression s’effondrent ? Voilà ce à quoi on assiste tout au long de (Very) Gently Crumbling.
Dans ces dernières œuvres, comme le mémorable spectacle La valeur des choses présenté également à La Chapelle l’an dernier, Poulin-Denis abordait la danse théâtre d’une façon singulière, tendre et brutale à la fois. Rien n’est habituellement propre dans son travail et c’est exactement pourquoi (Very) Gently Crumbling est si surprenant, car jamais on n’a connu un spectacle du jeune créateur aussi soigné plastiquement. À un certain point, pendant qu’on assiste à ce spectacle, on se demande même si l’œuvre est bel et bien celle de Poulin-Denis tant l’homme vient nous prouver toute sa surprenante polyvalence esthétique.
L’espace minimaliste profite grandement de la magnifique conception d’éclairages d’Alexandre Pilon-Guay ainsi que de l’univers sonore électronique créé par Poulin-Denis lui-même. Les textes mystérieux et insolites d’Étienne Lepage contribuent grandement à faire vivre le tout. En fin de compte, il s’agit d’une proposition organique, malgré la plasticité de l’ensemble et l’étude autour d’une certaine absence d’humanité. Les interprètes sont fascinantes et très rigoureuses, elles nous captivent du début à la fin.
Avec ce spectacle ludique, précis et insolite, Jacques Poulin-Denis nous prouve qu’il sait sans cesse se renouveler, pour notre plus grand plaisir. Une fois de plus, le jeune artiste interdisciplinaire, qu’on peut difficilement ignorer désormais, marque un bon coup et signe l’un des meilleurs spectacles de la saison de La Chapelle.