Quatre individus se sont accrochés chacun une enceinte sur le corps, par laquelle sortent des voix de GPS (générées par un logiciel text-to-speech), monocordes et déshumanisées, qui jouent de façon naïve la Genèse de l’humanité. Un décalage inquiétant et sans doute comique s’installe entre la neutralité froide des voix virtuelles et ces quatre corps tout à fait organiques, de sorte qu’on ne sait plus vraiment qui pilote qui. Ces quatre personnes ne prétendent pas raconter une Genèse véridique : ils prétendent jouer, ou plutôt, se faire faire jouer, une Genèse dont ils ont besoin, désespérément. Ainsi ils portent leurs propres noms et prénoms dans le mélodrame. Car petit à petit, c’est bien un mélodrame qui se déroule. Ces créatures originelles inachevées, porteuses de failles, inventées comme pour légitimer uniquement l’existence de quatre personnes débordantes d’un romantisme primaire, vivent des déchirements à n’en plus finir.
La Clinic Orgasm Society aborde la scène de façon délibérément brute, décomplexée, expérimentale, populaire et festive. Elle crée et explore des univers ludiques et apparemment bordéliques, plein d’imperfections, de ratés, de scories et d’accidents, qui sont en fait réglés avec la précision d’un mécanisme d’horlogerie. La Clinic Orgasm Society ne se considère pas comme une compagnie théâtrale, mais plutôt comme un lieu virtuel d’expérimentation, un laboratoire dont les chercheurs tentent de donner vie à des actes scéniques conçus comme des créatures monstrueuses et délibérément mal recousues, de pousser plus avant l’hybridation entre la performance, le théâtre et le bricolage technologique.
Section vidéo
Création sonore Aurélien Chouzenoux.
Lumières Manu Yasse.
Conseil artistique Fabrice Gorgerat.
Création « machine » Yoris Van Den Houte, Anne Mortiaux.
Costumes Martha Mo
Dramaturgie Marc Klugkist.
Construction Alice Dussart.
Photo Clinic Orgasm Society
Une présentation La Chapelle.
Une coproduction Clinic Orgasm Society; Manège.Mons / Centre Dramatique (Mons); Maison de la culture De Tournai ; Le Grand Bleu / ENPDA Région Nord Pas-De-Calais (Lille), avec le soutien du Théâtre Varia / Centre dramatique de la Communauté Française Wallonie-Bruxelles; L’l – Lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création ; Théâtre Arsenic, Centre d’art scénique contemporain à Lausanne ; Service des Arts de la scène du Ministère de la Culture de la Communauté Française – Service du Théâtre et Wallonie-Bruxelles International et de l’Agence Wallonie-Bruxelles Théâtre/Danse
par Pascale St-Onge
Le récit fondateur de l'Ancien Testament demeure certainement une source infinie de création tant il peut être exploré à nouveau et renouvelé à chaque fois. Le Clinic Orgasm Society a clôturé la courte programmation du Focus Wallonie-Bruxelles à la Chapelle avec DTC (On est bien), un spectacle bricolé (littéralement) autour de la Genèse.
Dans cet Eden, Dieu bricole des prototypes de l’humain. D’abord une bête effrayante qui évoluera pour devenir un homme dans lequel le grand créateur met tous ses espoirs. Il crée aussi une femme défectueuse qui sera vite jetée, avant d’arriver à l’exploit, la beauté, la perfection avec une deuxième femme. Une fois qu’Adam et Ève sont créés, le père se fait bien clair, il est temps de procréer des enfants tout aussi parfaits. Même s’ils sont voués à un bonheur tout aussi parfait qu’eux, rien ne va plus, car cet homme aime cette femme défectueuse qui a été expulsée du paradis et se refuse à remplir son rôle de procréateur.
Ce qui frappe d’abord, en entrant dans la salle, c’est l’espace dans lequel les quatre acteurs évoluent : une grande structure de bois inachevée occupe une bonne partie de la scène, véritable métaphore de la création de Dieu et qui se transforme, plus le spectacle avance et avec l’apport des comédiens, en chaîne de réaction géante. De plus, probablement le point le plus intéressant de l’ensemble de la proposition, les voix des comédiens sont remplacées par celle d’un système d’appel automatisé ; chacun porte un haut-parleur sur lui qui transmet sa nouvelle voix. Ainsi, l’Eden devient un monde fabriqué de toutes pièces, mais où le bonheur qu’on nous avait promis n’est qu’une arnaque, une fonction défectueuse au milieu du paradis. Les émotions réelles sont impossibles, leurs voix étant monocordes et sans aucune variation entre la colère ou le désespoir.
La proposition est claire, tout y est. Pourtant, il y manque quelque chose pour être complètement emporté par le spectacle ; cette grande tragédie ne nous touche qu’à moitié. Peut-être est-ce le trop-plein d’information, trop de choses différentes qui se déroulent sur scène à la fois ? On comprend tout de DTC (On est bien), sauf peut-être le titre, mais, comme pour les personnages eux-mêmes, quelque chose nous empêche de nous rattacher à notre sensibilité et ainsi d’apprécier totalement le spectacle.