Deux femmes se questionnent sur l’obsession du regard de l’autre, l’industrie de la beauté, la culture pop, la religion et le système politique. Travail du corps, danse, jeu théâtral, musique et projections vidéo se côtoient dans un univers féminin qui basculera dans des zones inattendues.
Bye Bye Princesse s’intéresse à la recherche et à la création, plus particulièrement dans une perspective féministe, fondée par trois finissants de l’École nationale de théâtre du Canada : Marie-Pier Labrecque (interprétation 2011), Mylène Mackay (interprétation 2011) et Thomas Payette (production 2013). Les fondateurs de la compagnie voient les arts vivants comme une possibilité d’engagement social et de prise de parole. Bye Bye Princesse ne vise pas à propager une morale castratrice et préconçue, mais plutôt à susciter la réflexion.
Si tu réussis à paraître devant les autres ce que tu souhaiterais être, c’est tout ce que peuvent exiger de toi les juges de ce monde.
— Hannah Arendt
Conception visuelle Thomas Payette et Gonzalo Soldi
Musique Pierre-Philippe Côté
Scénographie Odile Gamache
Photo Julie Artacho
par Geneviève Germain
La jeune compagnie Bye Bye Princesse avait frappé un grand coup l’an passé avec la pièce féministe et engagée Elles XXx, d’abord présentée au théâtre La Chapelle puis reprise au Zoofest. C’est maintenant une deuxième prise de parole toujours résolument féministe que nous offre la compagnie avec Je te vois me regarder. Alors qu’Elles XXx s’intéressait principalement à la commercialisation du corps de la femme, cette nouvelle proposition s’attarde davantage à l’obsession du corps en fonction du regard de l’autre. La distinction est tout de même mince entre les deux pièces et l’on peut se demander si Je te vois me regarder n’est pas tout simplement un prolongement de l’autre pièce présentée l’an dernier. Il n’en demeure pas moins que les interprètes Mylène Mackay et Victoria Diamond incarnent avec fougue et audace une suite de personnages qui forcent la réflexion.
Dans Je te vois me regarder, tout est mis en œuvre pour illustrer ce regard omniprésent qui est braqué sur la femme. Lors de l’enchaînement de courtes scènes, les interprètes sont filmées à répétition, dans des angles pas toujours flatteurs, et les images sont projetées sur des écrans en demi-cercle autour d’elles. Dans un premier monologue, Mylène Mackay multiplie les poses en s’adressant à un homme que l’on ne voit pas, se caressant les cheveux, se déhanchant, forçant ses ricanements. Elle accepte de se faire traiter de salope et semble flattée d’être « fucking bandante ». Ce désir de plaire à tout prix est à nouveau illustré lors d’une deuxième scène où Victoria Diamond se traîne par terre à la demande d’une réalisatrice porno qui veut qu’elle joue la femme qui a soif de sperme. Les mots sont crus et les images provoquent sans concession pour alimenter la réflexion proposée.
La présentation offre également des moments plus drôles, comme lorsque Mylène Mackay incarne une femme en corset et talons, aux mouvements saccadés, qui donne des cours de gymnastique faciale pour ralentir le vieillissement du visage. Les noms des étirements proposés, comme «La vache est dans le pré » et « La baleine niaiseuse », ont de quoi faire rire, tout comme les mimiques que ces noms imposent. D’autres scènes soulèvent des questions plus sensibles, comme lorsque Victoria Diamond joue une femme qui compte maladivement ses calories, au point de ne plus être qu’un tas d’os qui se dépose sur une chaise. Le tout est entrecoupé de scènes de transition où les deux interprètes se transforment en ménagères qui frottent vigoureusement les planchers et les murs.
La mise en scène d’Alice Ronfard et Benoit Rioux exploite tout l’espace possible et la chorégraphie de Manon Oligny mise sur l’énergie des interprètes, écartant la délicatesse pour mettre de l’avant une colère contenue ou un besoin d’exutoire. La pièce questionne pourquoi une femme voudrait tout faire comme un homme, remet en question l’industrie de la beauté et déplore la critique continuelle des femmes. Même si quelques sujets sont déjà connus, donc moins percutants, il n’en demeure pas moins que certaines questions sont soulevées de façon très originale.
Avec Je te vois me regarder, Bye Bye Princesse offre une prise de position sans compromis, en continuité avec leur première pièce, et réussit à soulever quelques bonnes pistes de réflexion sur le féminisme, tel que vécu de nos jours.