Le spectacle Les Laissés Pour Contes revient pour une quatrième année afin de continuer à offrir la tribune à des artistes n’ayant pas la parole d’emblée. C’est sur les planches du Théâtre La Chapelle, du 17 au 21 février 2016, que le spectacle se produira. Cette année encore, Les Laissés Pour Contes s’entourent d’une équipe d’artisans de talent. Pour une seconde année d’affilée, Patrick Renaud mettra en scène les textes de six auteurs, dont celui de Danielle Fichaud et Pierre Chamberland.
Coïncidences Productions
Coïncidences Productions a pour mission de favoriser la rencontre entre les artistes de la relève et les professionnels du milieu. Comment? En incluant au minimum un artiste de la relève dans chacune de ses productions. Comme le dit si bien la locution L’union fait la force, c’est en rassemblant et partageant nos idées que l’on engendre de puissantes créations, et chez Coïncidences Productions, c’est notre modus operandi, rien de moins!
Section vidéo
Directeur artistique Pierre Chamberland
Metteur en scène Patrick Renaud
Directrice de production Caroline Daigle
Scénographe Paule-Josée Meunier
Conceptrice costumes Magalie Dufresne
Concepteur éclairages Cédric Delorme Bouchard
Tarif régulier 28$
Coïncidences Productions / www.leslaissespourcontes.com
Après la convoitise et la peur, Les Laissés pour Contes reviennent avec une quatrième édition. Traitant des méfaits de l’ignorance, cette cuvée demeure probablement la plus achevée et la plus émouvante, par son aisance à creuser dans les zones obscures, sans aucune trace de sensationnalisme ou de vulgarité.
Après des excursions dans divers lieux de la métropole, c’est au tour du Théâtre La Chapelle d’accueillir le spectacle conçu à l’origine par Pierre Chamberland. Pour une deuxième fois, le metteur en scène Patrick Renaud orchestre une succession d’univers qui oscillent entre l’humour sarcastique (Conseil d’ami) et des revendications plus sociales (Le mal des transports). Pendant une heure et vingt minutes, la représentation se déroule allègrement sans temps mort. En raison certainement de la proximité de la scène et du public, les paroles deviennent plus incarnées, sans renier toutefois le travail des années précédentes.
Ces Laissés Pour Contes abordent donc différentes facettes de l’ignorance, parfois de manière surprenante. Les six récits fouillent dans le quotidien d’individus de générations distinctes, qui désirent presque tous s’affranchir de situations inacceptables. Par ailleurs, la maternité et la paternité occupent une place importante dans la plupart des histoires. Sur un plateau presque dépouillé (à l’exception d’un drap comme accessoire pour les trois derniers monologues), les mots souverains trouvent donc un écrin approprié.
L’instigateur du projet insiste depuis le début pour inclure un segment qui se démarque du conte traditionnel. C’est la forme du premier texte qui succède ainsi à la danse contemporaine, à la marionnette et à la musique comme élément de rupture. Interprété par son auteur, le texte Conseil d’ami d’Alexandre Dubois se décline en fragments reliant entre eux les autres récits de la soirée. Effectuant en parallèle le rôle de technicien, Dubois joue un acteur suffisant qui donne au téléphone des recommandations douteuses à une copine qui rêve de percer dans le milieu artistique. Les interventions cinglantes, où l’artiste lâche sans filtre les pires clichés sur la profession, apportent une certaine légèreté par rapport aux autres partitions plus sombres.
Par la suite, La part d’ombre du fondateur de l’événement, Pierre Chamberland, comporte des observations savoureuses sur les hauts et les bas de la vie de couple. Une hygiéniste dentaire (bien rendue par Brigitte Soucy) raconte ses onze années de fréquentation avec son conjoint, plus préoccupé par ses activités professionnelles que relationnelles. Elle désire fortement avoir un enfant que les circonstances remettent toujours à plus tard. De sa participation depuis le début, Chamberland livre cette année son texte le plus réussi, avec celui de la deuxième édition à l’hiver 2014.
L’homophobie teinte l’univers de Rose Nanane d’Alpha Gagné. Ce dernier incarne un homme de Sorel qui aime bien, lui aussi, faire ressortir des stéréotypes, cette fois-ci sur des résidents du Plateau Mont-Royal. À quelques jours de l’accouchement de son premier enfant, le protagoniste se remémore un souvenir d’adolescence. La bande de copains de son frère s’amusait à terroriser l’un de leurs camarades de classe, jugé trop efféminé et «pas assez viril pour être un vrai gars». L’intérêt pour ce témoignage sans la tentation moralisatrice réside en grande partie par le questionnement intérieur du personnage qui remonte à la surface de son intolérance inculquée en grande partie par son éducation et son milieu. Par contre, le dénouement expéditif déçoit légèrement.
Plus prévisible, La Grossesse de Jean-René Bérard comprend toutefois de beaux passages. Audrey Rancourt-Lessard donne vie aux différentes étapes autour de la grossesse d’une femme (pendant, lors de l’accouchement et les premières années de son Félix adoré). Sur une note amusante, elle revêt également les traits d’un agent d’assurance qui lui apporte davantage que la vente de milliers de dollars en épargne-études. L’utilisation du décor, constitué alors d’une toile sur laquelle nous voyons des dessins du profil de son «amant d’occasion» et différentes transformations physiques (dont un gros ventre) de cette mère parfois névrosée, alourdit l’action parfois très cocasse. Heureusement, le traitement ironique du quotidien est souvent juste, notamment grâce à une actrice allumée.
L’une des deux plus belles surprises de la pièce surgit dans J’aurais donc dû de Danielle Fichaud. Connue surtout pour son école professionnelle, celle-ci se révèle aussi une formidable artiste de scène. Elle se glisse dans la peau d’une mère profondément troublée par la violence conjugale subie par sa fille. Féministe, indépendantiste et défenderesse de la langue française, elle s’accuse elle-même de ne pas avoir transmis un héritage tangible de ses principaux combats à sa progéniture. La charge émotive de ce monologue sur le sens de la filiation donne des frissons. Avec une lueur d’espoir en conclusion, elle s’inscrit sans aucun doute parmi le meilleur du répertoire des créatrices engageantes.
Morceau de clôture, Le mal des transports de Juliana Léveillé-Trudelconstitue une autre dénonciation vibrante, inspirée par un réel incident. Un déficient intellectuel avait été attaqué au terminus d’autobus du métro Angrignon en plein jour, et ce, dans l’indifférence générale. Dans le rôle de la sœur de la victime, Jani Pronovost insuffle avec sensibilité toute cette rage et ce désarroi devant une injustice flagrante et injustifiable. Elle ose lancer certaines pointes dérangeantes contre notre individualisme forcené et notre désengagement. Face au sens de la collectivité, permettons-nous vraiment «aux courants néonazis» d’étendre leurs tentacules devant nos bras baissés? Avec les ombres des autres interprètes derrière la toile, il s’agit d’un féroce plaidoyer de conscientisation.
La quatrième mouture des Laissés pour contes n’est visuellement pas la plus spectaculaire, mais se distingue de ses prédécesseurs par la force de l’écriture conciliant l’intime et le politique, ainsi que l’individu au cœur de sa société.