Figure sulfureuse de la dramaturgie britannique, Sarah Kane signe avec 4.48 Psychose un chant du cygne d’une beauté aussi dangereuse que fascinante. Derrière les éclats poétiques d’un texte fragmentaire et novateur émerge la voix d’une femme qui veut regarder la mort en face pour rester intègre avec elle-même, sans se conformer à un discours dominant qui marginalise tout ce qui s’écarte de ses normes. Porteurs d’insoumission, ses mots révoltés laissent aussi percer un cri sublime et déchirant sur la dépendance amoureuse et le désir qui brûle. C’est ici la troublante Sophie Cadieux qui chemine au cœur de la « chaude obscurité » d’un paysage intérieur déchiré. Elle est mise en scène par Florent Siaud, qui aborde un autre texte phare du théâtre contemporain après Quartett de Heiner Müller et Illusions d’Ivan Viripaev.
« Spécialisée dans le théâtre comme dans l’opéra, la compagnie Les songes turbulents est un laboratoire d’échanges entre des artistes issus de différentes disciplines et nationalités. Elle approche la profondeur sans limite de ce qui fonde l’humain jusque dans ses pulsions les plus enfouies, pour faire de la scène un espace à la fois sensoriel et mental. Elle développe une esthétique onirique qui cherche moins à imiter le réel qu’à explorer l’étrangeté qui en constitue l’envers en interrogeant les mécanismes de notre perception quotidienne. Composée d’une équipe de concepteurs fidèles attachés à forger un langage commun d’un spectacle à un autre, la compagnie collabore avec des interprètes aux registres diversifiés et à la présence troublante. À la Chapelle, elle a présenté Quartett de Müller en 2013 (prix de la critique pour la meilleure interprétation féminine de la saison à Montréal). En Europe, elle tourne avec la fantasmagorie baroque Combattimento. »
SOPHIE CADIEUX
Seule en scène dans ce spectacle des songes turbulents, Sophie Cadieux est reconnue pour ses interprétations au théâtre, au cinéma et à la télévision. En résidence pendant trois ans à l’Espace GO, elle a joué dans les productions Blanche-Neige et la Belle au bois Dormant d’Elfriede Jelinek, La fureur de ce que je pense de Nelly Arcan et La Ville de Martin Crimp, tout en imaginant des déambulatoires et des installations in situ tout. Elle y a également mis en scène le texte de Guillaume Corbeil Tu iras la chercher. Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2001, elle s’est produite sous la direction de metteurs en scène comme Olivier Kemeid, Marie Brassard, Alexia Bürger, Gaétan Paré, Benoit Vermeulen, Sylvain Bélanger, Martine Beaulne, Alice Ronfard, Claude Poissant ou Serge Denoncourt. Maintes fois nominée pour les prix des Gémeaux, elle assure la co-direction artistique du Théâtre de la Banquette arrière.
FLORENT SIAUD
Ancien élève de la section théâtre de l’École normale supérieure de Lyon, agrégé de lettres et docteur en études théâtrales, Florent Siaud est dramaturge ou assistant à la mise en scène en France (TNP de Villeurbanne, Théâtre de la Ville à Paris, Théâtre des Champs Elysées, Opéra national de Paris, Opéra national de Lorraine, Opéra royal de Versailles etc.), en Autriche (Mozartwoche de Salzbourg, Theater an der Wien), en Allemagne (Bremen Musikfest), en Suède (Opéra royal de Drottningholm) et au Canada (Usine C, La Chapelle, Centre national des Arts d’Ottawa etc.). Directeur de la compagnie Les songes turbulents, il a mis en scène La Mort de Tintagiles de Maeterlinck (Théâtre Kantor de Lyon), Dido and Aeneas de Purcell (DHA, Alsace), l’opera buffa La Capricciosa Corretta (Conservatoire national supérieur de musique de Paris), Epic Falstaff de Fabien Waksman (Amphithéâtre de l’Opéra Bastille), Quartett de Heiner Müller (La Chapelle, prix de l’ACQT pour la meilleure interprétation féminine), Il Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi (Théâtre Roger Barat, Opéra d’Auvergne, Stadttheater de Sterzing, Théâtre de Rungis), Illusions de Viripaev (Théâtre Prospero), Le Ventre de Paris (Théâtre des Bouffes du Nord de Paris ; Piccolo Teatro de Milan).
GUILLAUME CORBEIL
Guillaume Corbeil présente en 2008 un recueil de nouvelles intitulé L’art de la fugue (éditions L’Instant Même), grâce auquel il est finaliste aux Prix du Gouverneur général et récipiendaire du prix Adrienne-Choquette. En 2009, il publie son premier roman, Pleurer comme dans les films, chez Leméac, puis en 2010, chez Libre Expression, il signe Brassard. Il termine, en 2011, sa formation en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada. Il écrit ensuite pour la scène les textes Le Mécanicien, Tu iras la chercher et Nous voir nous. Ce dernier est représenté en 2013 par le théâtre PàP sous le titre Cinq visages pour Camille Brunelle et présenté à l’Espace Go à Montréal, au théâtre de la Manufacture à Avignon et au Centre national des arts à Ottawa ; il s’est vu décerner le prix de la critique pour le meilleur texte, le prix Michel-Tremblay et le prix du public au festival Primeurs, à Saarbrücken, en Allemagne. En septembre 2014, il a été créé en allemand, au Theater der Jungen Welt, à Leipzig. En avril 2016, la dernière pièce de Guillaume Corbeil, Unité modèle, sera présentée au Centre du théâtre d’aujourd'hui, à Montréal.
Les songes trubulents
Active aussi bien au théâtre qu’à l’opéra, la compagnie Les songes turbulents est un laboratoire d’échanges entre des artistes issus de différentes disciplines et de plusieurs nationalités. Elle approche la profondeur sans limite de ce qui fonde l’humain jusque dans ses pulsions les plus enfouies, pour faire de la scène un espace à la fois sensoriel et mental. Explorant la frontière de la conscience et de l’inconscient, elle développe une esthétique onirique qui cherche moins à imiter le réel qu’à en explorer l’étrangeté. Composée d’une équipe de concepteurs fidèles attachés à forger un langage commun, la compagnie collabore avec des interprètes aux registres diversifiés et à la présence troublante. À la Chapelle, elle a présenté Quartett de Heiner Müller en 2013 (prix de la critique pour la meilleure interprétation féminine de la saison à Montréal). En Europe, elle tourne avec la fantasmagorie baroque Combattimento, construite autour du Combat de Tancrède et Clorinde de Claudio Monteverdi. Elle fêtera ses cinq ans en 2017.
Section vidéo
Scénographie et costumes Romain Fabre
Lumières Nicolas Descôteaux
Vidéo David B. Ricard
Conception sonore Julien Éclancher
Photo David B. Ricard
Sur place
Tarif régulier 29$
Tarif réduit 25$*
Abonnement de saison 300$
Forfait tout cru 96$
5 spectacles pour 100$
4 x 4 : voyez un spectacle entre amis 88$
3 spectacles et + 22$/billet
* 30 ans et moins + artistes membres d'une association professionnelle, sous présentation d'une carte valide.
En ligne
Tarif régulier 32,50$
Tarif réduit 28,50$*
Abonnement de saison 303,50$
Forfait 5 spectacles non-disponible en ligne
3 spectacles et + 25,50$/billet
* 30 ans et moins + artistes membres d'une association professionnelle, sous présentation d'une carte valide.
EN MARGE du spectacle 4.48 Psychose, Sophie Cadieux et Florent Siaud offriront un atelier aux professionnels des arts de la scène le lundi 1er février 2016. Détails et inscriptions : lachapelle.org
Une production Les songes turbulents, créée en résidence à l’Espace Marie Chouinard et à La Chapelle Scènes Contemporaines. L’Arche est agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com
« Écrire pour pouvoir mourir / Mourir pour pouvoir écrire » (Maurice Blanchot)
Face à son incapacité à vivre, une jeune femme psychotique prévoit se suicider à 4 h 48 précises. Voilà en quoi consiste la dernière pièce de l’auteure britannique Sarah Kane, grande représentante du théâtre in yer face. Dans un monologue dialogique extrêmement lucide, la femme raconte sa désillusion et son refus d’accepter la vie telle qu’elle est. Elle exprime son désir de vivre, même si paradoxalement le prix qu’elle doit payer doit être de mourir pour se sentir vivante.
C’est par l’écriture que Sarah Kane cherche à faire barrage au suicide. C’est aussi dans la littérature qu’elle a trouvé le lieu de réalisation de son impossible vision du monde, qu’elle explore par le prisme de sa propre fiction. Bien qu’elle ait choisi de s’exprimer par la forme théâtrale, l’auteure supprime de sa pièce toute théâtralité pour faire ressortir plutôt la musicalité de la langue. La traduction de Guillaume Corbeil rend d’ailleurs très bien les ruptures de ton de cette écriture elliptique et déconstruite. Alors que la traduction française des éditions de l’Arche ajoutait une dimension mystique au texte de Kane, celle de Corbeil rend davantage justice aux dialogues crus qui se rapprochent parfois du slang.
Malgré les nombreux silences qui ponctuent la pièce, le texte de Kane fait ressortir une surcharge d’informations et de réflexions qui recrée le rythme effréné de la folie. La conception sonore de Julien Éclancher prolonge aussi cet éclatement de la langue. À l’éclectisme que constitue le mélange de la chanson Help des Beatles, la musique classique de Verdi et le techno, Éclancher ajoute des bruits parasites qui agissent comme une pulsation qui guide le texte et qui empêche le parfait silence d’envahir la salle. Lorsque le rideau tombe et que la pièce se termine, la lourdeur du silence se fait sentir doublement.
4.48 Psychose a souvent été qualifié par la critique de lettre d’adieu et de chant du cygne de l’auteure. Écrite peu de temps avant son suicide, la pièce a une valeur testamentaire qui a été grandement exploitée par les metteurs en scène qui s’y sont attaqués. Toutefois, le metteur en scène Florent Siaud a choisi de poser un regard neuf sur le texte pour en faire ressortir l’humour et l’intelligence du personnage, notamment en faisant appel à la lumineuse actrice Sophie Cadieux. Incarnant tour à tour la patiente et le médecin, voire parfois d’autres personnages que l’on devine, la comédienne rend visible la détresse du personnage, mais aussi sa résistance et sa volonté d’atteindre l’idéal auquel elle aspire. Grâce à un travail sur le corps, Sophie Cadieux rend visible la dimension pulsionnelle et irrémédiable de ce désir de mourir. En ce sens, son incursion dans l’univers de Nelly Arcan (La fureur de ce que je pense, 2014) l’a sans doute bien préparé à l’incarnation de femmes qui semblent prisonnières de leur corps.
Malgré une utilisation de la vidéo parfois discutable et qui déconcentre du propos, la mise en scène de Florent Siaud arrive à rendre l’essence du texte de Sarah Kane et son paradoxe central : la femme a besoin d’être vue pour exister, mais ce regard de l’autre constitue précisément la cause de son mal de vivre.