Dans la canicule de l’été 1976, deux frères dans la quarantaine continuent de vivre ensemble, à Paris. Leur vie est bien réglée jusqu’à ce que la jeune Nina surgisse dans leur routine. Du haut de ses vingt-quatre ans, la nouvelle venue pose un regard spontané sur tout et amène chacun à écouter ses désirs. Alors que l’ombre du chômage, la tentation du racisme et la souffrance au travail menacent la fratrie, l’émancipation de Nina leur fait découvrir l’ouverture à l’autre et l’allégresse de la danse pour contrer la tentation du repli sur soi.
Faisant délicatement souffler le vent frais des années 1970, cette « pièce de chambre » ciselée de Michel Vinaver met en scène la liberté d’éprouver comme dans un conte d’été de Rohmer. Entre bains improvisés, repas partagés et disputes, les personnages incarnés par Eric Bernier, Renaud Lacelle-Bourdon et Eugénie Anselin subliment les petites souffrances du quotidien en s’abandonnant aux tangos du duo Doble Filo. Avec cette petite forme théâtro-musicale, Les songes turbulents délaissent le temps d’un spectacle les dramaturgies volcaniques de Kane et Müller pour s’embarquer dans un voyage doux-amer.
La compagnie Les songes turbulents se conçoit comme un laboratoire d’échanges, ayant pour mission d’approcher la profondeur de ce qui fonde l’humain jusque dans ses pulsions fondamentales les plus enfouies. Elle développe un langage qui cherche moins à imiter le réel qu’à explorer l’étrangeté qui en constitue l’envers. Elle a produit ou coproduit Quartett de Müller en 2013, Combattimento (autour de la musique de Monteverdi) en tournée européenne de 2013 à 2015, 4.48 Psychose de Sarah Kane en 2016 et Toccate et fugue d’Étienne Lepage en 2017. Nina, c’est autre chose est sa première incursion dans un registre plus léger.
Texte Michel Vinaver
Mise en scène Florent Siaud
Avec Renaud Lacelle-Bourdon, Eric Bernier, Eugénie Anselin, Chloé Pfeiffer et Lysandre Donoso (toutes deux du duo Doble Filo, France)
Crédits supplémentaires et autres informations
Scénographie Philippe Miesch
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Éclairages Cédric Delorme-Bouchard
Vidéo David B. Ricard
Collaboratrice au mouvement Marilyn Daoust
Coiffures et maquillages Catherine Saint-Sever
Assistance à la mise en scène Valéry Drapeau, Pierre-Damien Traverso
Photo Julien Benhamou
Production Les songes turbulents
À l’occasion du 90e anniversaire de l’un des auteurs les plus importants de la dramaturgie contemporaine, La Chapelle présente Nina, c’est autre chose, une « pièce de chambre » de Michel Vinaver écrite en 1976 et mise en scène par Florent Siaud. Au cours des dernières années, le metteur en scène a abordé bon nombre de pièces éclatées parmi lesquelles 4.48 Psychose, Quartett et Illusions. C’est toutefois une tout autre facette de son travail qu’il présente au public avec cette pièce qui rassemble des comédiens et des concepteurs venus du Québec, de la France, de la Belgique et du Luxembourg.
Découpée en fragments comme le ferait le montage cinématographique, la pièce raconte la relation qu’entretiennent deux frères quadragénaires avec Nina, une jeune femme dans la vingtaine qui emménage avec eux. L’arrivée de cette femme émancipée dans le quotidien de Charles et Sébastien a l’effet d’une bombe sur leur vie bien rangée. L’influence du film Jules et Jim est manifeste, alors que les personnages s’approprient leur liberté pour subvertir les modèles sociaux.
La pièce mélange constamment la vie intime avec des considérations sociales et collectives. Vinaver joue à mélanger différents niveaux de réalité en construisant un texte polyphonique où le procédé du montage occupe une grande place. Au sein d’une même scène peuvent cohabitent des réflexions sur la complexité des relations amoureuses ainsi que d’autres sur la difficulté de s’épanouir professionnellement.
Le travail du corps dans la pièce donne une couleur particulière à une histoire plutôt banale. Les comédiens multiplient les pas de tango sur la musique du duo Doble Filo (Chloë Pfeiffer et Lysandre Donoso). D’abord cachés derrière un paravent ne laissant deviner que leur silhouette, puis installés à l’avant-scène, la pianiste et le bandonéoniste accompagnent les comédiens tout au long du spectacle. Joyeusement exécutées par les trois comédiens, les transitions dansées ajoutent un caractère festif au spectacle et offrent un contrepoint aux inquiétudes existentielles exprimées par les personnages. Le ludisme de la mise en scène transparaît également dans la fréquence des changements de costumes, qui fait que les personnages sont habillés différemment pour chacun des tableaux de la pièce, ainsi que dans la présence de nourriture sur scène lorsque les personnages se lancent des oranges, échappent des dattes sur le sol, ou mangent du bœuf aux épinards. Florent Siaud fait appel à des éclairages expressionnistes et à une mise en scène onirique, tout en campant le récit de Vinaver dans un décor, des accessoires et des costumes on ne peut plus réalistes. Ce décalage crée un effet très intéressant qui s’harmonise bien avec l’éclectisme du texte qui mélange poésie, slogans publicitaires et répliques banalement réalistes. Parmi les moments forts de la pièce, mentionnons celui où les trois personnages prennent un bain ensemble dans une baignoire sur pattes achetée par Nina. Une grande sensualité se dégage du mélange de lenteur et de pudeur de ce tableau.
Nina, c’est autre chose présente une belle facture visuelle et corporelle, ainsi qu’une distribution impeccable. Toutefois, la densité de la mise en scène et la candeur qui s’en dégage éclipsent à certains moments la critique sociale et politique de la société française des années 1970 que Vinaver formule dans sa pièce, ce qui pourrait en agacer certains.