Oeuvre aussi dure que nécessaire, Faire des enfants est une pièce d'une douloureuse beauté. Traitant du refus d'aimer et d'être aimé, ce premier texte de l'auteur Éric Noël, impudique sans être bêtement provocateur, surprendra et ébranlera par la pertinence et la justesse de son propos. La qualité, la finesse et la poésie de l'écriture de Noël lui ont d'ailleurs valu le Prix Gratien-Gélinas, décerné par le Centre des auteurs dramatiques à un auteur de la relève.
Assistance à la mise en scène, assistance au son et régie Olivier Gaudet-Savard
Scénographie Mylène Chabrol
Costumes Linda Brunelle
Éclairages Claude Cournoyer
Conception sonore Gaëtan Paré
Maquillages et coiffures Suzanne Trépanier
Une production du Théâtre de Quat'Sous
par Olivier Dumas
Récipiendaire du Prix Gratien Gélinas 2010 remis par le Centre des auteurs dramatiques au meilleur texte de la relève, Faire des enfants d’Éric Noël avait fortement impressionné lors de sa première lecture publique. C’était donc avec beaucoup d’espoir et d’anticipation qu’était attendu son baptême théâtral sur les planches du Théâtre de Quat’Sous. Même si la première œuvre originale du diplômé en Écriture dramatique de l’École nationale de théâtral ne demeure pas aussi exceptionnelle que certains l’ont laissé croire, elle comprend des moments d’une intensité dramatique mémorable.
À entendre la parole du dramaturge, le spectateur éprouve l’étrange sensation de se retrouver à la fois dans un univers familier et inédit. Car Faire des enfants rappelle une autre œuvre marquante sur l’homosexualité masculine du théâtre québécois des années 1980, Being at home with Claude de René-Daniel Dubois. Nous retrouvons chez Éric Noël, comme chez son prédécesseur, la course effrénée d’un homme où le cul sert d’exutoire dans une quête tortueuse entre la vie, les pulsions charnelles et la mort. Là où il se démarque des autres récits gais, c’est dans cette transgression d’une certaine psychologie pour justifier la différence sexuelle qui devient ici moins analytique.
L’histoire de Faire des enfants s’articule autour de Philippe, un jeune homme de 24 ans consumé par la prostitution, le sexe au sauna et la drogue. Le protagoniste refuse l’amour et fuit toute forme d’attachement à l’exception de celui qui le relie à sa meilleure amie. Mais une tragédie inévitable se produit, qui entraîne un profond bouleversement pour sa famille résidente de la banlieue tranquille de L’Assomption,
MonTheatre.qc.ca a parlé en termes élogieux du jeune metteur en scène Gaétan Paré entre autres pour une production antérieure, Le moche, présentée à l’Espace 4001 en 2010. L’homme de théâtre démontre encore ici une grande maitrise dans la direction d’acteurs et dans la succession de tableaux qui alternent entre les extravagances d’une sexualité débridée et un certain dépouillement pour illustrer les révélations plus intimes.
Durant la première moitié de la production théâtrale de 80 minutes, les scènes ne sont malheureusement pas toutes de la même veine dramatique. L’échange entre Philippe et un client épris d’affection pour lui comprend des répliques fortes sur la peur de la vérité. Alors que la scène précédente, soit celle d’un inconnu qui lui propose un trip à trois et de l’ecstasy, plus faible, demeure trop expéditive pour créer l’effet érotique sans doute espéré. Un peu plus loin dans le récit, la confrontation entre Philippe et sa copine ne crée malheureusement pas beaucoup d’étincelles. Par contre, la dernière demi-heure frappe les esprits par la puissance de son verbe qui fouille dans la profondeur des abîmes. À ce moment, ce sont les figures féminines de la mère et de la sœur qui émergent par un désespoir des plus troublants. La plume du dramaturge démontre un sens profond du tragique qui laisse présager d’autres réussites du genre. Et cette justesse dans le ton, qui se démarque également par un vocabulaire sexuellement très explicite, ne tombe jamais dans le voyeurisme ou la vulgarité facile.
Des tourments de Philippe, Dany Boudreault en a exploré toute la rage, la fébrilité érotique et la douleur. Hélène Mercier incarne magistralement le rôle d’une mère bouleversante par la dureté des épreuves de la vie. Rachel Graton frappe également par la puissance qu’elle confère à celui de la sœur, tout comme la retenue du père que Daniel Gadouas rend avec sensibilité. Les autres comédiens s’acquittent bien de leurs tâches malgré leur présence plus sporadique de faire-valoir.
Par sa vision très actuelle des rapports humains et sa poésie frémissante, la pièce Faire des enfants d’Éric Noël demeure l’une de ces œuvres qui laissera des traces longtemps après avoir quitté le Théâtre de Quat’Sous.