Solange et Claire, deux soeurs, sont au service d'une riche bourgeoise. À travers un simulacre de leur cru, elles mettent en scène le meurtre de Madame pendant l'absence de cette dernière. Une sonnerie les interrompt; il faut tout ranger, Madame va revenir, vite! Les bonnes ont comploté une fausse dénonciation pour faire emprisonner l'amant de Madame, mais Madame repart aussitôt revenue, après un coup de fil qui lui annonce que son amant est libéré, et surtout, avant que Claire et Solange réussissent à mettre leur plan à exécution. Dépitées, les bonnes reprennent leur jeu dangereux qui connaît une issue fatale.
Si Les bonnes parle des relations de pouvoir et des classes sociales, la pièce permet aussi le jeu dans le jeu, le théâtre dans le théâtre, une situation riche pour les créateurs, tout autant que pour les interprètes. La direction artistique du Théâtre du Rideau Vert est fière de présenter à son public cette pièce de Jean Genet, reconnu comme un dramaturge hors du commun. Cette oeuvre magistrale est un morceau théâtral de choix qui mettra en évidence trois formidables actrices : Markita Boies, Louise Turcot et Lise Roy, qu'on a vue en 2008 dans Marie Stuart au Théâtre du Rideau Vert. La mise en scène sera assurée par Marc Béland, un artiste polyvalent, intègre et créatif, lauréat de nombreux prix, qu'on a vu comme comédien au théâtre, à la télévision et au cinéma. Après Le Fou de Dieu pour le Théâtre Il va sans dire et Hamlet au Théâtre du Nouveau Monde, il signera sa première mise en scène au Théâtre du Rideau Vert.
Assistance mise en scène : Emanuelle Kirouac-Sanche
Décors Charlotte Rouleau
Costumes Geneviève Lizotte
Éclairages Anne-Marie Rodrigue-Lecours
Musique originale Nancy Thobin
Accessoires Éliane Fayard
Une production du Théâtre du Rideau Vert
par Olivier Dumas
Malgré les changements radicaux de nos sociétés du dernier demi-siècle, les écritures fortes ne se démodent pas. Par son oeuvre plurielle, sensible et audacieuse, l’écrivain français Jean Genet conserve son aura de soufre jamais démentie par la patine du temps qui passe. Parmi ses nombreux textes laissés à la postérité, Les Bonnes constitue l’un de ses morceaux les plus connus. Et c’est un réel bonheur de voir ou revoir ce classique de la dramaturgie internationale ces jours-ci au Rideau Vert.
L’auteur s’est inspiré d’un fait divers sur les deux domestiques Christine et Léa Papin qui ont assassiné leur maîtresse et sa fille. Dans la pièce, deux sœurs, Claire et Solange, sont femmes de chambre depuis plusieurs années pour Madame, une riche aristocrate. Durant les sorties nocturnes de celle-ci, elles se commettent dans des jeux sadiques dans lesquels l’une d’elles incarne leur patronne en revêtant robes, bijoux et accessoires. Leur haine intériorisée et latente se manifeste dans un rituel où les frontières entre le réel et le fantasme se brouillent de plus en plus: l’assassinat subtil de Madame par son employée trop longtemps fidèle et dévouée. La même trame se reproduit continuellement jusqu’au dérapage final.
Parmi les réalisations scéniques de l’auteur de Notre-Dame-des-fleurs, la pièce Les bonnes demeure sans contredit la plus accessible, la plus simple dans sa forme littéraire et la plus souvent montée. Au Québec, des metteurs en scène, dont René Richard Cyr et Jacques Rossi, s’y sont attaqués. Le texte en lui-même contient une grande force poétique qui transcende les lectures sociopolitiques de l’époque de sa création. Car nous assistons à une sorte de messe noire malgré les apparences rassurantes d’un théâtre intimiste et psychologique. La réalité du propos s’accompagne d’une forme de critique sociale sur nos incapacités à assumer parfaitement notre destin et à couper les chaînes nous reliant à des bourreaux. La langue de Genet puise également autant dans l’essence charnelle que l’implacable dureté des mots.
Parmi les innombrables lectures métaphoriques possibles de l’œuvre, le metteur en scène Marc Béland a préféré une approche réaliste. Ce travail plus traditionnel, au premier niveau du texte, demeure toutefois d’une extrême précision, où chacune des répliques atteint son plein potentiel dramatique dans un parfait décor de chambre bourgeoise. On reconnaît son aisance à créer une atmosphère, comme en témoignait son travail remarqué l’an dernier dans le corpus shakespearien, une version revampée d’Hamlet, bien que sa signature soit ici plus classique, plus statique et moins audacieuse. Le magnifique choix musical, dont des pièces de Schubert, enveloppe parfaitement ce lieu de tensions sous-jacentes derrière le vernis des apparences qui craquèle tout au long des 90 minutes de la représentation.
De cette partition complexe, les trois comédiennes sont remarquables de présence et de profondeur. La Madame de Louise Turcot irradie dès son entrée en scène comme l’astre lumineux qui écrase tout sur son passage. Ses deux domestiques portent tout le drame d’une vie d’abnégation sur leurs épaules. La Solange de Lise Roy dévoile toute la figure brisée de cette femme assujettie, alors que Markita Boies se révèle une grande tragédienne au port altier malgré sa condition de sujet. La complicité entre les interprètes demeure toujours prenante, dynamique et sentie.
Pour le metteur en scène français Jacques Vincey qui a travaillé précédemment sur ce quasi-chef-d’œuvre dans son pays, les figures outrancières du théâtre de Genet nous parlent intimement de notre plus secrète humanité. Sous ses apparences plus sages peut-être, la production des Bonnes au Théâtre du Rideau Vert confirme tout de même cette pensée avec son impeccable trio d’actrices et son remarquable texte, toujours aussi enivrant et sulfureux.