Une famille émigrée de Cuba travaille en Floride dans une manufacture où les torcedores roulent les cigares à la main, perpétuant ainsi le savoir-faire de leur terre natale. Ils vivent dans le tourbillon du rêve américain, juste avant la grande dépression de 1929. Arrive Juan Julian, le nouveau « lecteur » qui bouleverse la vie de la petite communauté en lisant Anna Karénine, de Léon Tolstoï, poursuivant ainsi une tradition cubaine qui, tout en tenant l'esprit des travailleurs en éveil, les fait rêver pendant qu'ils accomplissent des tâches répétitives. Les mots de l'auteur russe enflammeront l'imagination de Marela, raviveront la passion de Palomo pour Conchita et rapprocheront à nouveau Santiago et Ofelia. Anna sous les tropiques parle du pouvoir de la littérature sur l'esprit et l'âme.
L'auteur d'Anna sous les tropiques, Nilo Cruz, est né à Cuba. Il s'installe à Miami avec sa famille en 1970 et termine ses études en 1994. Il est le premier auteur latino-américain honoré par le prestigieux prix Pulitzer, qu'il a obtenu en 2003 pour Anna sous les tropiques, avant même que la pièce ne soit produite à New York. Pour cette importante production, Jean Leclerc signera sa première mise en scène au Théâtre du Rideau Vert. Acteur d'expérience ayant aussi fait carrière aux États-Unis, il a joué au théâtre, au cinéma et à la télévision dans des émissions comme All My Children et Law & Order. Il dirigera une distribution omposée de comédiens réputés comme Normand Carrière, Jean-François Casabonne, Carole Chatel, Patrice Coquereau, Benoit Gouin, Germain Houde, Geneviève Rochette et Geneviève Schmidt. Pièce empreinte d'un charme nostalgique et romanesque, Anna sous les tropiques vous fera découvrir un théâtre latino-américain plein de passion et d'exotisme.
Assistance à la mise en scène Geneviève Lagacé
Décors Pierre-Étienne Locas
Costumes Judy Jonker
Éclairages Martin Sirois
Musique Paul Baillargeon
Accessoires Alain Jenkins
Maquillages Jacques-Lee Pelletier
Du mardi au vendredi à 20 h
Le samedi à 16 h et 20 h 30
Production Théâtre du Rideau Vert
par Olivier Dumas
Au dévoilement de l’actuelle saison du Théâtre du Rideau Vert, plusieurs ont probablement entendu pour la première fois le nom de l’auteur cubano-étatsunien Nilo Cruz. Récipiendaire d’un prix Pulitzer pour la version originale d’Anna sous les tropiques (Anna in the Tropics, en anglais), son œuvre n’a jamais été montée ici. Malgré un texte parfois trop verbeux, le résultat se révèle à la hauteur des attentes.
D’abord traduit dans la langue de Molière sous le titre Un cigare dans la bouche de Tolstoï, le texte a bénéficié d’une seconde traduction, québécoise cette fois-ci, par Maryse Warda. Ce choix judicieux permet à la production du Rideau Vert de se dégager en partie du vocabulaire ampoulé de l’adaptation outre-Atlantique.
L’intrigue s’articule autour d’une famille cubaine exilée qui travaille dur dans une fabrique de cigares au début des années 1920 sous de chaudes températures. Elle s’amorce par l’arrivée d’un nouveau lecteur, Juan Julian (Benoît Gouin) qui, tradition oblige, viendra leur faire la lecture pendant les longues heures de roulement de feuilles de tabac. Comme initiation, Juan Julian s’attaque à Anna Karénine de Léon Tolstoï, considéré comme un chef d’œuvre des lettres russes. La littérature permet aux ouvriers d’élever leurs esprits, de prendre contact avec les œuvres marquantes du répertoire mondial et de s’échapper mentalement au tracas du quotidien.
Avec une grande habileté, Nilo Cruz crée d’intéressants rapprochements entre les passions des personnages de sa pièce et ceux du livre de Tolstoï, ce qui entraîne dans les deux cas un dénouement tragique. L’ombre du krach boursier de 1929 se dissimule en arrière-plan dans une société bientôt prise entre tradition et modernité. L’auteur nous livre un beau témoignage sur l’importance de l’histoire, de ses racines et de la perpétuité de l’art comme une rédemption contre les tragédies humaines. L’influence tchékhovienne demeure présente par moment (entre autres par le rêve de la jeune fille Marela de visiter Moscou ou un souvenir heureux de l’enfance de la mère lorsqu’elle voulut être l’effigie d’une marque de cigare), bien que l’écriture de Cruz n’atteigne pas encore la profondeur psychologique ou la musique intérieure de l’auteur des Trois sœurs. Il faut, par contre, s’acclimater à une écriture très littéraire qui peut devenir lourde à quelques reprises, car quelques répliques manquent de force théâtrale.
Les comédiens demeurent toujours d’une grande justesse. En figure maternelle, Carole Châtel insuffle toute la sensualité et la prestance d’une femme de tête et de cœur. Inoubliable dans Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges, Geneviève Schmidt allie à un comique naturel la fragilité d’une romantique qui verra s’envoler en fumée ses dernières illusions. Le soir de la première médiatique, il manquait encore de chaleur et d’érotisme entre Geneviève Rochette et Benoit Gouin pour nous faire croire à la passion dévorante vécue par le lecteur et une femme mal-mariée.
La mise en scène de Jean Leclerc transpose bien l’atmosphère chaude d’une période prospère de la Floride soutenue par une direction d’acteurs qui dévoile les contrastes des personnages. Les scènes s’enchaînent sans temps mort. Après un Scaramouche très apprécie par montheatre.qc.ca au Théâtre Denise-Pelletier en 2006, voici un autre bon coup d’un artiste reconnu surtout pour sa participation au soap All my children.
Entre les bonheurs et la chute fatale d’une famille victime de l’industrialisation et du capitalisme, Anna sous les tropiques se révèle une production touchante avec son parfum d’exotisme et de littérature.