Vigile (ou Le veilleur) Traduction Maryse Warda
Mise en scène de Martin Faucher
Avec Éric Bernier et Kim Yaroshevskaya
Dans la chambre d'une maison banale, Kemp, un employé de banque terne et sans envergure, attend que meure sa tante, une vieille femme alitée et silencieuse. En espérant son décès, qu'il tente parfois de hâter de façon absurde ou loufoque, il essaie de tuer le temps en parlant, s'adressant à la fois à la vieille femme et, de plus en plus, à lui-même. Alors que Kemp pensait que son séjour serait bref, le temps passe et la vieille ne meurt pas. Comédie noire à l'humour grinçant et incisif oscillant entre férocité et tendresse, Vigile (ou Le veilleur) parle à la fois de la solitude, de la mort et de la beauté de la vie.
Joué pour la première fois au Québec en français, l'auteur Morris Panych est souvent décrit, avec raison, comme l'homme de théâtre le plus prolifique du Canada anglais. Il a écrit plus de vingt pièces à ce jour, sans parler de son travail de comédien, de metteur en scène et de réalisateur télé. Il a obtenu le Prix du Gouverneur général à deux reprises, en 1995 et en 2004. Son écriture, à la fois novatrice et accessible, utilise la comédie pour parler d'enjeux humains et sociaux. La mise en scène de Vigile (ou Le veilleur) a été confiée à Martin Faucher, qui, avec la sensibilité qu'on lui connaît, saura valoriser l'humour noir de ce théâtre d'acteurs, exigeant des comédiens un alliage de virtuosité et de très grande justesse émotive. Acteur polyvalent qu'on a vu à la télévision dans les séries Tout sur moi et Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Éric Bernier interprétera le personnage de Kemp. Kim Yaroshevskaya (l'inoubliable Fanfreluche), interprète de la tante Grace, personnage à la présence saisissante, sera sur scène en permanence. Vigile (ou Le veilleur) présente une situation dramatique inusitée et décrit avec une ironie mordante la réalité de solitudes que de nombreux spectateurs reconnaîtront.
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Décors Jonas Bouchard
Éclairages Marc Parent
Visuel de l'affiche : Bruno Petrozza
Du mardi au vendredi à 20 h
Le samedi à 16 h et 20 h 30
Coproduction du Théâtre du Rideau Vert et du Centre Segal des arts de la scène
par Olivier Dumas
Crédit photo : François Laplante Delagrave
Très sollicité au Canada et connu sur les scènes anglaises de Montréal, Morris Panych n’avait encore vu une de ses œuvres jouées en français dans la métropole québécoise. C’est maintenant chose faite avec Vigile (ou le veilleur), dans une traduction efficace de Maryse Warda. Grâce à une mise en scène d’une grande précision de Martin Faucher, exécutée par un habile duo d’acteurs, la nouvelle production du Rideau Vert nous fait passer un très agréable moment.
D’une durée de 90 minutes sans temps mort, la pièce reprend un canevas mille fois exécuté auparavant, mais rendu ici avec une maîtrise appréciable de la psychologie des personnages. Un homme reçoit une missive d’une tante mourante l’exhortant de venir à son chevet. Il prend congé de son travail peu stimulant pour apporter une présence à sa dernière parente qu’il n’a pas vue depuis plusieurs décennies. Rejeté par sa famille et privé tout autant d’amitiés sincères que de relations charnelles, il exprime à haute voix ses réflexions dépouillées de toute rectitude sociale. Quasi muette, cette vieille tante ne lui facilite pas la tâche. Or peu à peu, leurs deux solitudes se rapprochent dans ce théâtre intimiste.
Malgré sa facture plutôt prévisible, l’histoire de Vigile a la particularité, surtout durant la première demi-heure, de se rapprocher de la comédie de situation, par de courtes vignettes accentuées par des jeux d’éclairage et un effet musical répétitif. L’effet finit par agacer légèrement. Il faut donc un certain temps avant d’apprécier pleinement le presque soliloque d’Éric Bernier qui peu à peu s’éloigne de l’humour grinçant pour aborder des aspects plus mélodramatiques, parfois convenus, dévoilant la profondeur d’un être esseulé par la vie.
Dans une critique parue dans le New York Times en 2009 sur une production états-unienne de Vigile ou le veilleur, le journaliste Charles Isherwood se demandait lequel des deux comédiens avait le rôle le plus complexe à rendre. La même question se pose également dans son adaptation québécoise, car les deux protagonistes s’opposent autant dans leurs personnalités, la longueur de leurs répliques que dans leurs prestations physiques. L’homme refoulé compense ses carences affectives par une logorrhée verbale qui ne s’arrête que très rarement. Alors que sa vieille tante est presque confinée au lit où chacun de ses mouvements est exécuté avec une précision redoutable.
En homosexuel accoutré comme dans les années 1970, Éric Bernier s’impose par ses intonations cocasses. Un tel numéro d’acteur est prodigieux. Par contre, le soir de la première médiatique, l’équilibre périlleux entre l’humour caustique et la tragédie sous-jacente d’un individu inapte aux relations interpersonnelles manquait encore de nuances. Certaines des transitions gagneraient à mieux marier les différents genres.
Toujours présente sur le plateau, la trop rare Kim Yaroshevskaya ne parle qu’à quelques reprises durant toute la représentation. Mais l’actrice originaire de Moscou, connue pour ses nombreux rôles dans des productions destinées au jeune public, s’impose par ses expressions faciales et son corps qui traduit dans ses moindres membres toute une gamme d’émotion, de présence et d’intensité.
La rencontre entre le duo antagoniste bénéficie d’une mise en scène brillante de Martin Faucher, surprenante même lorsque le récit fréquente les lieux communs. Contrairement à son décevant travail récemment sur Musique pour Rainer Maria Rilke, il sait rendre ici la justesse dans le ton et dans le corps de ses interprètes. Sa capacité à tirer le meilleur du duo d’acteurs se révèle frappante, entre autres dans la virtuosité du jeu d’Éric Bernier et dans la présence soutenue de Kim Yaroshevskaya. À ce niveau de réussite, on se rappellera l’intensité d’Une musique inquiétante, autre production aux allures plutôt traditionnelles et à deux personnages qu’il avait dirigée sur la même scène.
Comme baptême dans la langue de Molière au Québec, le dramaturge canadien Morris Panych ne pouvait trouver un meilleur écrin. Avec le jeu inspiré d’Éric Bernier et de Kim Yaroshevskaya, le Vigile (ou le veilleur), orchestré par Martin Faucher, s’inscrit dans le meilleur du théâtre populaire, simple et chaleureux qu’affectionne le Rideau Vert