Entre son travail d’informaticienne et ses cours de yoga, Julie, quarante-huit ans, mène une vie bien rangée. Elle s’alimente bio, fait de l’exercice et combat le stress à coup de tisanes et d’antioxydants. Un soir, en rentrant chez elle, elle trouve une corneille volant frénétiquement dans son loft. Au même moment, sa mère, une femme verbomotrice, impulsive et culpabilisante, débarque avec ses valises. Au fil des jours qui suivent, la mère s’installe et une série d’événements curieux se produisent. Julie, étouffée par cette femme exubérante et troublée par les cris incessants de la corneille, essaie tant bien que mal de réapprendre à respirer. Un texte à la fois drôle et profond qui expose une relation mère-fille où la dépendance et l’affranchissement se côtoient de près.
La création d’une oeuvre est toujours un moment privilégié. C’est pourquoi le Théâtre du Rideau Vert est fier de présenter, pour une première fois en ses murs, la nouvelle pièce de Lise Vaillancourt. À travers son travail, composé de romans et de textes de théâtre, cette auteure québécoise scrute le quotidien et pose un regard fantaisiste sur le réel. Elle crée des personnages typés et flirte avec le surréalisme.
La mise en scène de La corneille a été confiée à Geoffrey Gaquère dont le talent a été souligné pour son travail sur Toxique (ou L’incident dans l’autobus) au Théâtre d’Aujourd’hui en 2011. Avec son inventivité et son sens de l’esthétisme, il saura mettre en valeur le récit à la fois réaliste et onirique de Lise Vaillancourt. Il dirigera, entre autres, Monique Miller dans le rôle de la mère; un rôle exigeant, fait sur mesure pour cette grande comédienne.
Décors Jean Bard
Costumes Marc Senécal
Éclairages Erwann Bernard
Musique originale Jean Gaudreau
Accessoires Alain Jenkins
Coiffures et maquillages Angelo Barsetti
Visuel de l'affiche : TVA Studio
Photo : Julien Faugère
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
27 septembre 2012
Production Théâtre du Rideau Vert
par Olivier Dumas
Malgré une programmation très éclectique depuis le changement de garde à la direction artistique en 2005, le Théâtre du Rideau Vert n’a pas beaucoup sustenté le public amateur de créations québécoises. La vénérable institution de la rue Saint-Denis ne s’était pourtant pas beaucoup illustrée dans ses tentatives précédentes pour ajouter des pierres significatives à notre répertoire national, à l’exception de reprises de certaines productions marquantes de La Licorne. En effet, deux textes mineurs du corpus de Michel Tremblay (Bonbons assortis et Le paradis à la fin de vos jours) et une très légère comédie de Pier-Luc Lasalle (Construction) n’ont pas laissé de souvenirs mémorables dans un lieu qui a vu naître durant l’époque de la Révolution tranquille Les Belles-sœurs, La Sagouine, sans oublier les œuvres dramatiques des excellentes Marie-Claire Blais et Françoise Loranger. Heureusement, la nouvelle œuvre de Lise Vaillancourt, intitulée La corneille, remédie à la situation en déployant ses ailes entre enchantement et étrangeté.
Trois années après le remarquable Tout est encore possible au Théâtre d’Aujourd’hui par la Compagnie Les Deux Mondes, la dramaturge, également romancière, renoue avec l’écriture pour notre plus grand bonheur. À une trame réaliste sur les conflits permanents et sous-jacents entre une mère et sa fille, elle fusionne des éléments plus fantastiques avec habileté, sans pécher par excès de surenchère.
Durant les soixante-dix minutes de la représentation, l’histoire aborde la relation entre Julie, une informaticienne de 48 ans, adepte de yoga et de nourriture biologique, et sa mère vieillissante, qui débarque valise à la main dans son loft moderne aux couleurs grises, déprimantes et froides. Or, sa mère, bizarrement, ne cesse de disparaître et de réapparaitre, bouleversant l’existence réglée au quart de tour d’une femme en quête de paix intérieure.
La dimension surréaliste de la pièce se répercute principalement dans les cris d’une corneille qui s’est infiltrée, dès les premières minutes, dans l’appartement de Julie. Cet oiseau symbolique, emblème de la mort, a inspiré plusieurs chefs-d’œuvre, dont l’un des plus bouleversants lieder du Voyage d’hiver de Franz Schubert. Son ombre intrigante qui ponctue l’intrigue à plusieurs reprises peut ainsi s’imprégner du poème de Wilhelm Müller qui accompagne la mélodie du compositeur autrichien: «Avec moi, une corneille/ avait quitté la ville. Elle a sans cesse volé/ autour de ma tête. / Corneille, étrange animal, / ne veux-tu pas me quitter ?». Le dénouement du récit laisse planer un doute entre rêves et réalités, comme quoi nos certitudes demeurent aussi fragiles et futiles que du sable et du vent.
Seule petite déception, car aussi fort soit-il, le texte ne porte pas la même charge poétique que de précédentes réalisations inoubliables de Lise Vaillancourt. L’affaire Dumonchon, créée au début des années 2000,frappait au plexus par sa force de frappe chirurgicale, alors que Tout est encore possible se démarquait par sa langue infiniment poignante et évocatrice. La corneille demeure tout de même une œuvre riche de sens et de répliques percutantes. Elle s’inscrit parfaitement dans le parcours d’une auteure qui aime aborder autant les grandes épopées que les drames personnels. En circonscrivant principalement son histoire sur un tandem mère-fille (nous retrouvons quelques allusions à un frère jamais présent sur scène), elle dévoile certaines préoccupations plus féministes et plus intimistes qui ont marqué les écrits de cette figure dirigeante du Théâtre expérimental des femmes dans les années 1980. L’apport du personnage de la voisine lesbienne apporte une dimension aux apparences anecdotiques dans les premières scènes, mais prend une tournure plus intéressante dans les dernières minutes de la production.
La réussite d’une telle pièce repose en bonne partie sur de talentueuses actrices. Les interprétations de Monique Miller et d’Annick Bergeron sont sans failles. La première exprime une fois de plus son aisance à incarner des femmes aux caractères irascibles et bouillants, sans exclure une part de vulnérabilité. Sa partenaire de jeu brille une fois de plus en passant allègrement d’une femme en parfait contrôle à la tourmente qui jaillit au et à mesure que progresse les incertitudes de sa vie. Dans un rôle secondaire, Marie-Ève Trudel est également crédible à chacune de ses apparitions.
L’écriture de Lise Vaillancourt se révèle complexe par sa manière d’aborder différents styles littéraires. Cette architecture théâtrale s’accompagne de plusieurs degrés de compréhension. Sans un metteur en scène aguerri, le résultat pourrait décevoir. Geoffrey Gaquère a su récréer ici un climat plausible, captivant et sans temps mort, en liant judicieusement les répliques humoristiques, les tensions familiales et les sensations oniriques.
Par son retour salutaire à la création québécoise contemporaine, le Rideau Vert amorce en lion sa saison grâce à La corneille. Touchante sans tomber dans le mélo, tout en enchevêtrant l’angoisse et l’humour caustique, la plume de l’auteure dévoile singulièrement une sensibilité attachante.