Normand vit dans un petit appartement situé dans un quartier défavorisé de la métropole. Entre les histoires de sa soeur Nancy, les soirées en compagnie de sa vieille voisine Tony et les appels téléphoniques de Batman, son mystérieux ami, il attend avec impatience les visites de François, parrain pour un organisme d’aide aux démunis. Ce dernier, témoin d’une misère plus grande qu’il n’avait pu se l’imaginer, tente tant bien que mal d’adoucir l’existence de ces êtres sans ressources. Bouleversé par leur solitude, il sera vite confronté à ses propres limites. Portrait saisissant de la pauvreté qui sévit dans notre propre ville, ce texte questionne notre capacité d’empathie et notre impuissance à améliorer le sort d’autrui.
D’abord auteur de théâtre, Serge Boucher a remporté en 1995 le Prix Gratien-Gélinas de la relève en écriture dramatique pour sa pièce Motel Hélène. Par ses textes percutants, souvent qualifiés d’hyperréalisme théâtral, il cherche à provoquer et à déstabiliser les spectateurs. Depuis quelques années, il écrit également pour la télévision, comme en témoignent les séries à succès Aveux et Apparences.
Avec Norm, dont la création au Théâtre d’Aujourd’hui en 2004 avait suscité beaucoup d’intérêt, sera à nouveau mise en scène par René Richard Cyr et réunira des membres de l’équipe de création et des nouveaux venus. Benoît McGinnis, qui avait livré une performance bouleversante avec son interprétation de Normand, reprendra son rôle. Construite en 25 tableaux qui défilent comme une suite d’instantanés, la pièce adopte une approche sans concession.
Décors Réal Benoît
Costumes Cynthia St-Gelais
Éclairages Étienne Boucher
Musique originale Alain Dauphinais
Accessoires Normand Blais
Coiffures et maquillages Angelo Barsetti
* veuillez notre que le Théâtre du Rideau Vert a fait appel à Robert Bellefeuille afin de poursuivre le travail de René Richard Cyr, qui a dû cesser ses activités professionnelles jusqu’à la mi-mars 2013 en raison d’une intervention chirurgicale.
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
28 mars 2013
par Olivier Dumas
L’an dernier, le sollicité comédien Benoit McGinnis a cogné à la porte de Denise Filiatrault pour qu’elle accepte de remonter au Rideau Vert la pièce coup-de-poing Avec Norm,qui avait en partie lancé sa carrière fulgurante en 2004 au Théâtre d’Aujourd’hui. Près de dix ans après la création de l’œuvre de Serge Boucher, les réactions sont toujours aussi enthousiastes.
À la fin de la représentation de samedi dernier, le public a réservé aux artistes de la production une ovation nourrie. Celle-ci fut pleinement méritée, car le texte demeure certainement l’un des plus forts et des plus saisissants de l’auteur qui a su attirer un auditoire nombreux et fidèle avec ses séries télévisées plébiscitées Aveux et Apparences.
Pendant une heure et demie sans temps mort, l’histoire scrute la petite vie et la petite misère de Normand, un déficient intellectuel de 29 ans sur l’aide social. Le personnage vit dans un appartement d’un quartier défavorisé de Montréal avec sa sœur Nancy, une ex-danseuse consommatrice de drogues dures qui se retrouve enceinte d’un mec violent. Normand se lie d’amitié avec sa voisine Tony, une autre paumée qui attend pour sa part son chèque de pension du gouvernement. Un enseignant, surnommé le parrain, tente de venir en aide à Normand, mais sans trop y parvenir.
Parmi le répertoire de Serge Boucher, la pièce Avec Norm se démarque particulièrement par sa dimension glauque, où toute lueur d’espoir se retrouve anéantie comme une peau de chagrin. Contrairement à d’autres réalisations de l’auteur, comme Les bonbons qui sauvent la vie ou Excuse-moi, la trame dramatique ne laisse ici aucun recul ou distance par rapport à l’action présentée sous nos yeux. Comme des voyeurs consentants, on se retrouve la face collée devant les réalités les plus sordides et les plus sombres, dignes des plus croustillantes pages des tabloïds. La maladie mentale côtoie la pauvreté matérielle et intellectuelle, sans oublier la violence conjugale, la consommation de pornographie, le décrochage scolaire et un profiteur surnommé Batman (jamais présent sur scène) qui abuse de la vulnérabilité et de l’innocence de Normand.
Pour tenter de s’évader momentanément de leur présent sans issue, de leur passé vaseux et de leur avenir figé, les personnages se réfugient dans les reliques d’une culture populaire figée dans le temps, comme les reprises à outrance des Pierrafeu, le tandem Batman et Robin, la mélodie accrocheuse All That She Wants du groupe à la popularité éphémère Ace of Base ou la colorée Jojo Savard qui promet le bonheur au bout des doigts et le paradis à la fin de vos jours à 4.99$ la minute. Comme le chantait Cat Stevens, «it’s a wild world». Le miroir tendu par le dramaturge s’apparente à la définition du théâtre in-yer-face où la cruauté sévit en déchiquetant toute velléité humaniste ou toute volonté d’affranchissement sur son passage.
Certains spectateurs aiment comparer la langue de l’auteur à celle du prolifique Michel Tremblay. Pourtant, les répliques de Boucher ne baignent jamais dans le lyrisme ou la grandeur de la tragédie pour supporter les souffrances du quotidien. L’écriture d’Avec Norm demeure donc au premier degré, sans désir de transition allégorique.
Constituée d’une multitude de saynètes, la structure du récit en flashes accentue cette atmosphère d’étouffement et de condensé de toutes les épreuves du monde. La mise en scène hyperréaliste de René Richard Cyr et de Robert Bellefeuille transpose parfaitement le fléau de cette communauté sans échappatoire vers l’extérieur, métaphore d’une prison autant physique que psychique pour ses antihéros. La succession de séquences, avec ses transitions abruptes, évite heureusement la tentation larmoyante malgré la dimension fortement misérabiliste du sujet. Seule petite déception, elle empêche parfois une introspection dans l’exposition des situations et dans les caractères de ses personnages, qui sans être caricaturaux, représentent des archétypes souvent présents dans ce type d’univers.
Dans ce quatuor d’interprètes, la prestation de Muriel Dutil se révèle brillante. En parfaite équilibriste, la comédienne chevronnée réussit à donner une certaine dignité émouvante à cette femme vulgaire, meurtrie par les saloperies endurées tout au long de son existence. Reprenant le même rôle une décennie plus tard, Benoit McGinnis livre une autre composition sentie et incarnée cette saison, après un Roi se meurt très réussi au Théâtre du Nouveau Monde. Sandrine Bisson dévoile également de forts moments d’intensité en sœur poquée et dépendante affective, victime de toutes les déchéances envisageables. En «travailleur social» qui veut amener le protagoniste à se sortir de sa condition pathétique, Éric Bernier n’a pas encore trouvé la note juste pour rendre aussi intéressantes les nuances de son personnage empathique aux intentions pas toujours nettes.
Malgré certains progrès, les problèmes vécus par les sociétés québécoises et étrangères englouties dans le capitalisme ne changent pas vraiment. Pourtant, le théâtre permet de donner une voix à ces marginaux et ces exclus trop souvent confinés dans le désert de leur solitude. Une production comme Avec Norm traduit parfaitement ce mal de vivre qui laissera peu d’individus insensibles.