Alors qu'on entend au loin la rumeur d’une révolution qui se prépare, le printemps s’installe sur la campagne russe. Les cerisiers sont en fleurs sur la propriété de Lioubov qui revient sur sa terre natale, après cinq ans d’exil à Paris. En compagnie de sa fille, de son frère, de quelques parents et amis et des domestiques qui prennent soin de la demeure familiale depuis toujours, elle se remémore tous les beaux moments vécus sur la cerisaie, la plus belle et la plus grande de toute la Russie. Elle s’accroche au passé et refuse obstinément de faire face à l’inévitable : elle est ruinée et doit vendre le domaine à l'encan.
Dernière pièce écrite par Tchekhov, cette œuvre majeure est à la fois portrait d'une société en changement et métaphore du temps qui file et nous échappe.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène Maria Monakhova
Décors Alexandre Marine
Costumes Jessica Poirier-Chang
Éclairages Martin Sirois
Musique Originale Dmitri Marine
Accessoires Alain Jenkins
Maquillages Suzanne Trépanier
Visuel de l'affiche Les Évadés
Photo Alain Desjean
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
jeudi 3 octobre 2013
Production Théâtre du Rideau Vert
par Sara Fauteux
Tchekhov reprochait à Stanislavski de faire une lecture dramatique de ses textes. Il les intitulait comédies et le metteur en scène en faisait des drames sentimentaux. Comique ou dramatique? Réalisme ou symbolisme? Depuis le début du 20e siècle, tous les metteurs en scène qui se frottent à Tchekhov doivent prendre position.
Après Visconti et Barrault, Krejca, Strehler, Langhoff ou encore Brook, Alexandre Marine a fait des choix. Fidèle à son style, que l’on a découvert grâce, entre autres, à Marie Stuart, Vassa et Un Tramway nommé désir, il crée ici et là dans sa Cerisaie des chorégraphies symbolistes pour son imposante distribution. Le spectacle s’ouvre et se termine notamment sur des tableaux absolument remarquables et extrêmement puissants.
Sylvie Drapeau, actrice fétiche du metteur en scène russe, incarne élégamment Lioubov Andreevna, la maîtresse de maison frivole, nostalgique, sensuelle, « dépravée », même, aux dires de son frère. Entre ses cerisiers, ses enfants et ses domestiques retrouvés après cinq ans d’exil à Paris, Lioubov passe de l’euphorie à la désolation. Elle est hantée par le souvenir de son amant délaissé à Paris, que Marine fait apparaitre ici sous les traits du comédien Danny Gilmore. Le metteur en scène utilise très habilement cette présence fantomatique de l’amant : Gilmore incarnera également le mendiant rencontré par les maîtres dans les jardins, qui semble hypnotiser Lioubov et à qui elle cède ses dernières pièces d’or.
Dans la mythologie de la pièce, la représentation de la cerisaie est une autre question délicate que chaque metteur en scène doit résoudre. Faut-il mettre des arbres sur scène? La beauté, qui constitue un thème central dans la pièce et dont les cerisiers en fleurs sont le symbole ultime, est-elle évoquée avec davantage de puissance par la représentation ou l’imagination? Marine, qui signe aussi la scénographie du spectacle, opte pour un grand panneau de branches et de fleurs en fond de scène sur lequel des jeux de lumière créent de magnifiques images. À l’avant-plan, on retrouve un deuxième panneau sur lequel s’imposent une immense tour Eiffel et un « je t’aime » griffonné sur un papier peint usé. A-t-on voulu condenser ici ce que l’on ne pouvait intégrer ailleurs, soit une allusion inutile à l’exil parisien avec la tour Eiffel, une esthétique moderne avec un semblant de graffiti et le domaine qui tombe en ruine? Ce manque de subtilité est un peu décevant.
La Cerisaie de Marine donne davantage dans la comédie que dans le drame, sans occulter les sentiments. Mais la ligne entre comédie et farce est bien mince et malheureusement, même avec cette distribution dont le jeu est unanimement solide, entre les costumes extravagants, les grimaces, les ballons rouge cerise et les jeux de séduction, on frôle par moments la bouffonnerie. La nostalgie légendaire des anciens maîtres manque de délicatesse et les personnages sombrent trop souvent dans la caricature, y perdant de leur complexité.
De cette œuvre ultime, œuvre testamentaire du grand auteur russe, Marine a fait une lecture cohérente. Seulement, peu importe si l’on opte pour la comédie ou le drame, pour un jeu tout à fait réaliste ou que l’on tente quelques envolées symbolistes, l’univers tchékhovien trouve invariablement toute sa puissance dans sa finesse et sa grande humanité. Cette puissance, trouvant un écho plutôt limité dans cette production du Rideau Vert, fait en sorte que cette offrande s’avère, certes, honnête, sans être un grand spectacle.