New York, fin des années 50. Alors qu’il est au sommet de sa réussite, le peintre expressionniste Mark Rothko décroche un contrat extrêmement lucratif pour réaliser de grandes peintures murales pour le chic restaurant de l’hôtel Four Seasons. Pour l’aider dans cette entreprise colossale, il embauche un jeune apprenti qui vient tous les jours préparer ses toiles, appliquer les couches de fond, nettoyer ses pinceaux. Ce dernier, mû par l’idéalisme de ses 20 ans, mettra rapidement le maître face à ses propres contradictions. S’engage alors, dans l’atelier de l’artiste, une joute oratoire musclée dans laquelle les protagonistes se questionnent, se confient, mais surtout, se confrontent.
Un huis clos captivant, où les réflexions sur l’art se mêlent aux expériences vécues par les personnages et où toutes les certitudes sont remises en question. La pièce Red (titre original) de l’auteur et scénariste américain John Logan a été créée à Londres en 2009 et reprise sur Broadway l’année suivante. Gagnante de six Tony Awards (dont celui de la meilleure pièce de théâtre en 2010), elle sera jouée pour la première fois en français à Montréal. C’est Maryse Warda, lauréate d’un Prix littéraire du Gouverneur général en 2011, qui fera la traduction de ce texte rythmé et intelligent.
Assistance à la mise en scène Suzanne Crocker
Décors Guillaume Lord
Costumes François Barbeau
Éclairages Étienne Boucher
Accessoires Julie Measdroch
Visuel de l'affiche Les Évadés
Photo Alain Desjean
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
27 mars 2014
Une production du Théâtre du Rideau Vert
par Geneviève Germain
Est-ce que l’art est un produit de consommation? Est-ce que tous les artistes devraient mourir de faim? À peine un an après avoir été présentée dans sa version originale au Centre Segal, la pièce Rouge, ou Red, prend d’assaut les planches du Rideau Vert pour la toute première fois en français à Montréal. Cette pièce créée à Londres, puis sur Broadway, est détentrice d’un record de six Tony Awards. L’habile texte de John Logan (scénariste des films Gladiator et The Aviator) saura sans doute charmer tout amateur d’art puisqu’il nous fait découvrir l’univers particulier de Mark Rothko et surtout les réflexions de cet artiste-peintre de style impressionniste abstrait.
Inspirée d’un fait vécu, Rouge nous convie dans le studio new-yorkais de Rothko à la fin des années 1950, alors qu’il engage un jeune apprenti pour l’aider à compléter une série de toiles dédiées au luxueux restaurant Four SeasonsduSeagram Building. Cette commande fort lucrative (plus de 35 000$ à l’époque) pousse l’artiste à remettre en question la place de l’art, et aussi de son art, dans la société. Le récit de la pièce s’inspire d’ailleurs d’entrevues et d’écrits de Rothko où il tente de se positionner par rapport à d’autres grands artistes, comme Picasso avant lui, ou encore Pollock après lui. Alors qu’il rappelle à son apprenti que lui et ses amis peintres ont dû «piétiner à mort» le cubisme pour faire place à l’impressionnisme abstrait, il critique du même coup l’émergent mouvement Pop Art qui cherche maintenant à faire sa place aux dépens de son style de prédilection. Rothko appréhende avec anxiété toute sortie de ses toiles dans le monde extérieur et met en doute l’appréciation de ses œuvres par des gens qui trouvent ses toiles jolies, alors que lui veut transmettre des émotions et dit ne pas être là pour faire de belles images. D’ailleurs, l’art devrait-il être populaire?
Dans ce huis clos où les propos de Rothko critiquent, affirment et questionnent, ceux de l’apprenti finiront par se durcir pour mieux répondre au maître. La mise en scène de Serge Denoncourt vient justement appuyer les propos qui sont avancés par les personnages, lesquels se toisent du regard lors de leurs confrontations et s’adressent au public lors de leurs réflexions. La projection sur canevas de certaines toiles évoquées par le personnage de Rothko est intéressante, tout comme le décor superbement détaillé qui rappelle tout d’un studio d’artiste. Germain Houde livre une performance juste, quoique toute en retenue, contrastant avec ses propos. On aurait imaginé son personnage plus colérique et encore plus irascible, tout comme on aurait souhaité un peu plus de révolte de la part de son apprenti, campé par Mikhaïl Ahooja.
Le texte de John Logan réussit habilement à nous faire entrevoir ce qui peut habiter un artiste lors d’un processus de création. On retiendra surtout de cette pièce toute la remise en question d’un artiste qui arrive à vivre de son art et qui semble en éprouver une certaine crainte : celle que son art ne soit pas apprécié à son juste titre, parce qu’il est mal placé, mal éclairé, ou adressé au mauvais public. Alors que la suite de l’histoire nous apprend que Rothko a finalement choisi de faire don de sa série d’œuvres au Tate Museum plutôt que de la vendre au Four Seasons, elle pose également la question du rôle de l’artiste dans la préservation et le bon usage de ses œuvres.
Rouge réussit à exploiter un angle original pour nous faire découvrir un grand artiste alors qu’il était au sommet de son art, et ce, pour notre plus grand plaisir.