Nous sommes dans une ville de la banlieue parisienne sous l’Occupation. Alors que sept amis sont réunis afin de célébrer l’anniversaire de Sophie, la femme de Victor, la fête est abruptement interrompue par des coups de feu dans la rue : deux soldats allemands sont abattus. Le commandant Kaubach fait irruption dans l’appartement et exige deux otages, qu’il amènera avec lui pour suppléer aux résistants en fuite. Les convives disposent de deux heures pour les choisir parmi eux... S’engage alors un affrontement sournois entre les convives où la vie et les choix de chacun seront jugés implacablement par les autres, plaçant le spectateur au centre du dilemme qui déchire les personnages. En effet, comment choisir ceux qui seront tués? La pièce montre une réalité sombre où les zones grises apparaissent et les repères moraux disparaissent. Trahison, lâcheté, marchandage, séduction, c’est l’instinct de survie qui mène le débat et les masques de la civilisation glissent devant ces gens ordinaires qui tentent de se sortir de ce piège cruel.
Le Repas des fauves était à l’origine une nouvelle de l’auteur arménien Vahé Katcha que celui-ci a d’abord adapté au théâtre, puis au cinéma pour le film réalisé en 1964 par Christian-Jaque avec Francis Blanche, Claude Rich et Dominique Paturel. En 2010, le metteur en scène Julien Sibre l’adapte à son tour pour la scène. La pièce obtient un énorme succès qui dépasse les 600 représentations, en plus d’être récompensée de trois Molières (dont celui de la meilleure adaptation). Denise Filiatrault, séduite par cette intrigue passionnante, mettra en scène cette histoire entourée par un groupe de huit brillants comédiens.
Assistance à la mise en scène Marie-Hélène Dufort
Scénographie Jean Bard
Costumes Suzanne Harel
Éclairages Claude Accolas
Accessoires Alain Jenkins
Photo de l’affiche : Jean-François Bérubé
Mardis et mercredis 19h30, jeudis et vendredis 20h, samedi 16h et 20h30, dimanche 24 mai 15h
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
21 mai 15h
Production Rideau Vert
par Olivier Dumas
Comme dessert d’une saison couronnée de succès auprès du public et de la critique, le Théâtre du Rideau Vert monte Le Repas des fauves, une œuvre divertissante qui s’inscrit parfaitement dans sa mission de faire à la fois rire et réfléchir.
Le texte écrit en 1960 par l’auteur français d’origine arménienne Vahé Katcha (présenté depuis quelques années devant des salles conquises en Europe en plus d’avoir été transposé au grand écran) ne constitue pourtant pas la plus grande réalisation artistique traitant de l’Occupation française des troupes allemandes à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. L’atmosphère s’apparente souvent au théâtre de boulevard ; par contre, les situations et personnages sont assez finement esquissés pour nous permettre d’adhérer à leurs joies et leurs drames. Sous la gouverne de Denise Filiatrault, réputée pour son sens du punch et de l’efficacité théâtrale, les rires fusent à d’innombrables reprises durant les 90 minutes bien menées de la représentation sans entracte. Les projections vidéo en noir et blanc nous ramènent avec un soupçon de nostalgie à l’époque de l’histoire avec quelques extraits d’airs connus dont l’intemporel Que reste-t-il de nos amours ? de Charles Trenet.
À Paris en 1942, sept amis, soit cinq hommes et deux femmes, se réunissent pour célébrer l’anniversaire de la séduisante Sophie. Nous rencontrons en plus d’elle et de son mari libraire, un médecin, un ancien combattant désormais aveugle, une veuve de guerre, un philosophe et un homme d’affaires. Quelques pas de danse en tandem et une photographie de groupe illustrent un sentiment de fraternité. Entre deux éclats de rire, au même moment à l’extérieur, un attentat tue deux soldats allemands devant les fenêtres de l’immeuble. Par soif de vengeance et par désir de mettre la main au collet du meurtrier, le Commandant Kaubach surgit et exige que deux des invités soient pris en otage à la fin du repas, choisis par les convives. La belle harmonie éclate en morceaux, alors que chacun désire sauver sa peau plutôt que de se retrouver sous les balles de l’ennemi. La métaphore des fauves du titre prend ici tout son sens.
Dans le salon bourgeois, les ruses se succèdent (dont une tentative pour déclencher un incendie susceptible d’alerter des secouristes) pour empêcher un dénouement fatidique. Dès son entrée en scène, le tortionnaire joue par ses sorties et ses retours au jeu du chat et de la souris avec ses victimes. Durant ses éclipses, l’action devient parfois confuse. L’urgence ressentie généralement dans une telle situation ne se traduit pas toujours sur la scène dans une tension aussi prenante, car la mort rôde sans cesse comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des individus. À trop vouloir miser sur une cadence rythmée au détriment de la douleur vécue, les dilemmes et dimensions sombres des protagonistes perdent par moment de leur clarté. Fort heureusement, nous nous attachons suffisamment à leur drame pour que l’intérêt ne fléchisse pas avant la scène finale.
Les acteurs et actrices s’en tirent généralement bien dans des partitions parfois caricaturales, mais bien souvent remuantes. Le Commandant de Frédéric Desager témoigne merveilleusement de toute la bêtise, le grotesque et la violence intimidante dont sont capables des individus en position de pouvoir autoritaire. Patrice Coquereau et Marc Béland se démarquent par des compositions plus comiques, alors que Sophie Faucher confirme encore une fois son sens aiguisé des rôles tragiques. Benoit McGinnis apporte une dimension touchante à son personnage de non-voyant rusé. Par contre, le couple composé de Marie-Pier Labrecque et François-Xavier Dufour gagnerait à dégager une énergie plus affirmée face à des partenaires plus solides qu’eux.
L’homme de théâtre français Didier Caron qui a programmé une autre production du Repas des fauves dans son pays disait «qu’on flirte avec la mort, mais c’est une pièce qui fait du bien». Le même sentiment s’en dégage de ce côté-ci de l’Atlantique à la sortie du Rideau Vert devant cette matière théâtrale sur la résilience, le sang-froid et la bravoure humaine à préserver devant les potentiels carnages d’un monde encore trop souvent détraqué.