Devant vous, les interprètes s’avancent sur la corde raide du dialogue. Exercice périlleux, car un excès de logique peut survenir à tout moment! Nous sommes ici dans Les Diablogues de Roland Dubillard, où le diable n’est jamais très loin, prêt à pervertir le sens et la raison. Ainsi, une simple conversation sur les sujets les plus banals (la musique, la médecine, la pluie ou encore les compte-gouttes) peut chavirer dans l’engrenage implacable de l’argumentation. Dans chaque court dialogue, les personnages posent avec humour un regard d’une simplicité désarmante sur l’étrangeté de notre monde.
Auteur et comédien français, Roland Dubillard a connu le succès au théâtre avec ses courtes pièces, mais c’est la radio qui a permis à son œuvre de connaître une immense popularité. En 1976, il publie ses sketches sous le titre Les Diablogues. Ils sont depuis régulièrement repris et lui ont valu un Molière en 2011. Son œuvre s’apparente à celle de Raymond Queneau, car ils prenaient tous deux un grand plaisir à ces jeux ingénieux de vocabulaire. Le metteur en scène Denis Marleau dirigera une distribution d’anciens complices et de nouveaux comparses incluant Sylvie Léonard, Carl Béchard, Bernard Meney, Bruno Marcil, Olivier Morin et Isabeau Blanche.
Assistance à la mise en scène Martin Émond
Décors et accessoires Stéphane Longpré
Costumes Linda Brunelle
Éclairages Marc Parent
Musique Jérôme Minière
Vidéo Stéphanie Jasmin
Staging Vidéo Pierre Laniel
Coiffures et maquillages Angelo Barsetti
Photo de l’affiche : Jean-François Bérubé
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
7 avril
Production Rideau Vert, en coproduction avec UBU Compagnie de création
Les Diablogues, c’est d’abord un délice de texte, initialement écrit comme des sketchs destinés à être lus à la radio. On peut s’en délecter les yeux fermés. On se laisse bercer par ces mots pleins de poésie et d’imagination, qui vont souvent vers l’absurde. Une poésie qui se mêle à une logique rigoureuse et pratique : chaque dialogue est construit autour d’une problématique, analysée comme un syllogisme - ce qui mène de nouveau à l’absurde.
Il y a des parfums des contemporains de Dubillard dans ces textes, comme Raymond Queneau ou Boris Vian. Chaque conversation est très rythmée, tout en jeux de mots, assonances et onomatopées, et les échanges sont vifs et musicaux. Un ping-pong verbal où les mots rebondissent et s’entrechoquent, des dialogues comiques qui poussent la logique dans ses retranchements et amènent des questionnements dans le banal du quotidien.
La mise en scène joue aussi sur un aspect très théâtral, où la chorégraphie des mouvements est symétrique et soigneusement agencée. Le décor est minimaliste, mais très intéressant dans sa conception : un simple élément de mobilier, table, chaise ou paravent, place le lieu, la pièce de la maison, qui se poursuit sur une photo projetée sur écran. Chaque image a été travaillée, faussant les perspectives
tout en créant de l’espace.
On voit la patte de Denis Marleau dans ce jeu autour de l’installation vidéo. Et aussi et surtout dans le choix du texte ; le langage, c’est le dada de Marleau. La compagnie de création UBU s’est d’ailleurs frottée à ses débuts à des pièces du même répertoire de l’absurde et de la mécanique du langage, notamment Oulipo Show et Ubu Cycle, puis des textes de Queneau et Beckett.
Et tout nous plonge directement dans un Paris dans années 50. Des balcons en fer forgé, donnant sur le ciel de toits d’ardoises, aux costumes composés de tweed, chapeaux de feutre et robes Courrèges. Carl Béchard va même jusqu’à pousser un accent titi parisien assez réussi… L’ensemble est fidèle à Roland Dubillard, le plus français des auteurs français.
Le sextuplé de comédiens (Carl Béchard, Sylvie Léonard, Isabeau Blanche, Bruno Marcil, Bernard Meney et Olivier Morin) enchaînent les saynètes par duo et portent à merveille ce texte par une élocution théâtrale et articulée. Sous la houlette de Denis Marleau, c’est un bel hommage qu’ils rendent à l’auteur bardé de tous les prix de théâtre rendus dans l’Hexagone. Une heure vingt qui passe à toute vitesse, au fil des dialogues diaboliques et extralogiques.