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Du 31 janvier au 4 mars 2017
La cantatrice chauve suivi de La leçon
Textes Eugène Ionesco
Mise en scène Normand Chouinard
Avec Sylvie Drapeau, Dorothée Berryman, Carl Béchard, Luc Bourgeois, Rosine Chouinard-Chauveau, Rémy Girard, Danièle Lorain

Dans leur salon anglais, M. Smith fume sa pipe anglaise et Mme Smith raccommode ses chaussettes anglaises. Tout est rempli d’un calme anglais. Mais les apparences sont trompeuses…

Leurs invités, M. Martin et Mme Martin, pourtant mariés depuis des années, ne se reconnaissent plus. Tout est sens dessus dessous! Les deux couples rivalisent d’imagination pour se raconter des anecdotes de plus en plus folles. Et voilà que le capitaine des pompiers débarque et cherche des feux à éteindre! La soirée devient alors un joyeux crescendo absurde! Un même humour insensé s’agite dans La leçon où un vieux professeur inquiétant affronte une jeune élève insolente qui veut se présenter au concours du doctorat total. Le cours débute de manière encourageante avec les additions, mais plus la leçon avance, plus la communication se brouille entre le maître et son élève.

Eugène Ionesco est un auteur important du théâtre de l’absurde et ses pièces La cantatrice chauve et La leçon sont des œuvres phares de son répertoire. Depuis leur création dans les années 50, les pièces ont remporté un immense succès et sont jouées sans interruption depuis plus de cinquante ans au Théâtre de la Huchette à Paris. Pour ce spectacle au Théâtre du Rideau Vert, Normand Chouinard s’est entouré d’une solide distribution qui manie le répertoire comique avec aisance et vivacité pour nous offrir une soirée divertissante.


Assistance à la mise en scène Geneviève Lagacé
Accessoires Normand Blais
Costumes Suzanne Harel
Décors Jean Bard
Éclairages Claude Accolas
Maquillage Jacques-Lee Pelletier
Musique Yves Morin
Perruques et coiffures Rachel Tremblay
Photo de l’affiche : Jean-François Bérubé

Une production Rideau Vert


Rideau Vert
4664, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-844-1793

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Critique

«Et la cantatrice chauve? Elle se peigne toujours du même côté.» Ces deux répliques emblématiques de la plus célèbre réalisation d’Eugène Ionesco ont marqué les esprits. Telle une tradition qui perdure, La Cantatrice chauve est jumelée avec La Leçon du même auteur ces jours-ci au Théâtre du Rideau Vert. Si la mise en scène de Normand Chouinard permet à La Cantatrice de garder une certaine folie, elle ne laisse pourtant pas une trace significative dans la seconde.




La cantatrice chauve - crédit photos : François Laplante Delagrave

Pendant deux bonnes heures entrecoupées d’un entracte, les deux classiques créés à Paris au début des années 1950 explorent les méandres de l’incommunicabilité. Au fil des décennies, différentes versions des deux œuvres scéniques ont vu le jour sur les scènes québécoises dont au moins une il y a une vingtaine d’années sous la gouverne de Daniel Roussel, avec, entre autres, Normand Chouinard, Carl Béchard (aussi présent ici), Markita Boies et Hélène Loiselle.

La Cantatrice s’amorce sur de magnifiques éclairages de Claude Accolas. Nous nous retrouvons dans le salon d’un couple de la bourgeoisie londonienne. Il est neuf heures. Monsieur Smith (Carl Béchard) lit son journal, où d’une page à l’autre se succèdent les péripéties d’un homme tombé dans un ravin. Son épouse, Madame Smith (Dorothée Berryman), se concentre sur sa pelote de laine verte. En attendant leurs invités, Monsieur et Madame Martin (Luc Bourgeois et Sylvie Drapeau), ils se relancent autour des membres d’une même famille qui s’appellent tous et toutes Bobby Watson. Leurs amis arrivent après un long retard. Se succèdent des phrases d’un vide de sens abyssal. Une insolite bonne, Mary (Danièle Lorrain), arrive et repart tout au long de l’intrigue (ou plutôt, dans ce cas, de son absence). Par la suite apparaît le capitaine des pompiers (Rémy Girard) qui se désole des incendies de plus en plus rares, et qui se demande s’il ne pourrait pas en éteindre un, ne serait-ce qu’un feu de cheminée.

Comme dans La Cantatrice, la tragédie du langage (l’arme la plus utile pour l’écrivain à tout rapport de domination) imprègne grandement une Leçon beaucoup plus sombre. Un professeur âgé reçoit chez lui une jeune étudiante. L’emballement du début cède le pas à des cours aux intentions de plus en plus tordues, une situation sujette à l’assouvissement des passions sexuelles et meurtrières du «maître».

Tout au long de la première pièce, le jeu dynamique de la distribution confère un intérêt soutenu jusqu’à la fin. Malgré ces innombrables possibilités de lecture, La Cantate reste toujours un défi casse-gueule : autant dans l’action que dans la psyché des individus, rien ne se passe ou n’évolue. Béchard et Berryman se révèlent d’une drôlerie surprenante, surtout le premier par la souplesse de son jeu corporel (entre autres lors de l’anecdote autour d’un serpent). L’autre tandem, constitué de Bourgeois et Drapeau, impressionne tout autant. Reconnue récemment surtout pour ses prestations plus dramatiques (entre autres dans la trilogie de Jennifer Tremblant et sous les traits d’une magnifique Reine Élizabeth dans le Richard III monté par Brigitte Haentjens), la prolifique actrice impose ici, autant dans le timbre de sa voix très expressive que dans son attitude volontairement désinvolte, un sens indéniable de la comédie. Danièle Lorrain insuffle un brin de malice à sa servante aussi charmante que mystérieuse, tout comme Rémy Girard en pompier (qui s’éclipse pour éteindre un incendie «prévu dans trois quarts d’heure et seize minutes exactement») dans ce répertoire exigeant. Aussi à l’aise pour monter du vaudeville (L’Hôtel du libre-échange de Georges Feydeau) que de naviguer dans des eaux plus absurdes (Ubu Roi d’Alfred Jarry), Normand Chouinard dirige ici avec aisance, et avec une approche somme toute classique, l’univers aussi fou qu’impitoyable de l’un des dramaturges majeurs du 20e siècle.

Par contre, l’orchestration réussie de la partition de La Cantatrice ne se répercute pas avec autant de bonheur dans La Leçon. Le duel espéré entre un pédagogue despote et son étudiante à l’apparence ingénue ne provoque que très peu d’étincelles. La jeune Rosine Chouinard-Chauveau peine à s’imposer en jeune fille parfois railleuse, mais surtout soumise face à un dictateur aux pulsions destructrices. De plus, sa voix ne projette pas assez dans la salle. Ces faiblesses empêchent de rendre captivante une histoire qui s’amuse à pervertir l’érudition (dont la déclinaison d’improbables exercices de calculs mentaux) en une arme exploitant les êtres plus vulnérables. Le résultat déçoit grandement, d’autant plus que le propos expose avec une grande acuité les côtés sombres de l’éducation. Rémy Girard semble tout de même assez à l’aise en enseignant prisonnier de ses idéologies indéfendables. Dans la peau d’une servante plus en retrait, Danièle Lorrain demeure touchante par sa lassitude manifeste devant ces abus de pouvoir qui se répètent à l’infini.

Le doublé Ionesco du Rideau Vert donne ainsi un résultat très inégal. Alors que cette Cantatrice chauve séduit par son rythme et son climat d’horreur latente, La Leçon s’oublie rapidement sur le chemin du retour.

04-02-2017