1884. Nous sommes à l’apogée de l’Empire britannique. John Merrick est atteint du syndrome de Protée, ce qui le rend difforme et lui cause de vives douleurs.
Pour survivre, il doit s’humilier en s’exposant au regard des curieux qui payent pour s’épouvanter devant ce « monstre ». Frederick Treves est quant à lui un brillant chirurgien et devient, à 31 ans, professeur d’anatomie à l’hôpital de Londres. Lorsqu’il aperçoit Merrick pour la première fois, il désire absolument étudier ce cas si étrange et le rescape de la pauvreté pour l’installer à l’hôpital. Sous sa protection, Merrick se voit enfin offrir la chance de vivre une vie normale. Témoignant d’un esprit d’une grande finesse, il étonne et devient la coqueluche de la haute société qui le visite.
C’est en lisant les mémoires du docteur Frederick Treves sur le cas du vrai Merrick que l’auteur Bernard Pomerance a décidé d’écrire la pièce L’Homme éléphant en 1979. L’œuvre a été un énorme succès dans le monde et a remporté de nombreux prix. Le rôle de Merrick offre un formidable défi à l’acteur Benoît McGinnis qui s’est déjà attaqué aux grands personnages du répertoire dont Néron, Hamlet et Caligula. Jean Leclerc, qui avait mis en scène Anna sous les tropiques au Rideau Vert, nous revient avec ce saisissant drame historique et psychologique.
Texte Bernard Pomerance
Mise en scène Jean Leclerc
Interprétation Benoît McGinnis, Annick Bergeron, David Boutin, Sylvie Drapeau, Chantal Dumoulin, Germain Houde, Roger La Rue, Hubert Proulx
Crédits supplémentaires et autres informations
Accessoires Alain Jenkins
Costumes Suzarre Harel
Décor Olivier Landreville
Éclairages Claude Accolas
Maquillages et coiffure Amélie Bruneau-Longpré
Musique Guillaume St-Laurent
Photo de l'affiche Julien Faugère
Les mardis et mercredis 19h30, jeudis et vendredi 20h, samedis 16h - samedis 3 et 17 février 16h et 20h30
Une production Théâtre du Rideau vert
Ces dernières années, diverses adaptations ou transpositions de films ont foulé les planches de la métropole, dont une relecture du Déclin de l’empire américain à la sauce des années 2010, ou encore une énième version de Vol au-dessus d’un nid de coucou au printemps 2017 au Rideau Vert. Au même endroit, c’est au tour de L’homme éléphant de vouloir imprégner sa marque auprès du public. Pourtant, son exécution scénique ne convainc pas tout à fait.
Si de nombreux cinéphiles ont été fortement marqués par le long-métrage en noir et blanc réalisé par David Lynch en 1980, la pièce, portant le même titre et écrite par le dramaturge né à Brooklyn Bernard Pomerance, demeure toutefois une œuvre autonome qui fut présentée pour la première fois en 1977. Des célébrités ont incarné sur scène le personnage complexe de l'homme «monstrueux» dont David Bowie, Mark Hamill et Bradley Cooper.
Pendant une heure et demie sans entracte et sans temps mort, nous suivons une histoire qui s’inspire du cas véridique de John Merrick (1862-1890), un Britannique ayant vécu à l’époque victorienne qui est devenu célèbre en raison de ses difformités corporelles (le syndrome de Protée), d’où son surnom de l’homme éléphant. Pour survivre en 1884, le protagoniste (Benoit McGinnis) doit «s’exposer» devant des passantes et passants qui payent pour voir en chair et en os «le monstre». Brillant chirurgien et professeur d’anatomie, Frederick Treves (David Boutin) désire étudier «ce cas» dès qu’il le voit. Il lui offre même une chambre à l’hôpital pour le sortir de la pauvreté et de l’ostracisme qu’il subit quotidiennement. Or, John Merrick connaîtra-t-il une existence paisible ou deviendra-t-il une curiosité pour la haute société londonienne comme il l’a été toute sa vie pour les classes populaires?
Sous la direction de Jean Leclerc (qui avait monté précédemment au Rideau Vert la saga familiale Anna sous les tropiques de Nilo Cruz), le spectacle se démarque par le traitement sobre du sujet (qui aurait pu tomber facilement dans le spectaculaire en raison de la monstruosité physique de l’individu). Le décor de Pierre-Étienne Locas s’inscrit dans ce même esprit de dépouillement. Lorsque Treves explique à ses étudiants le cas de Merrick, il montre des illustrations de l’homme avec ses particularités «anormales» (dont une tête énorme l'empêchant de dormir couché et des bosses dans le dos). Tout de suite après, un rideau blanc s’ouvre pour nous faire découvrir cet être supposément effrayant. L’acteur s’avance torse nu, alors qu’aucune trace de difformité ne se trouve sur son corps. Tout se joue donc à un niveau métaphorique (rappelons que dans le film de Lynch, l’interprète de Merrick, John Hurt, devait subir une dizaine d’heures de maquillage et de transformation tous les jours de tournage).
Or, cette volonté de s’en tenir à une simplicité dans le traitement empêche le récit d’explorer toute la substance horrifique qu’elle peut contenir, surtout de manière implicite. Ce choix laisse planer certains doutes. Par exemple, lorsque l’infirmière (Annick Bergeron) voit l’homme pour la première fois, il est difficile de croire à son cri de frayeur. Car ici, John Merrick ressemble davantage à un être souffrant de nombreux handicaps à la fois physique et intellectuel, avec son débit lent et sa posture courbée d’un côté. Sa rencontre avec la renommée actrice Madge Kendall (Sylvie Drapeau) ne donne pas non plus la tension voulue, entre amusement et étrangeté.
Le résultat tend donc davantage vers une approche mélodramatique (accentuée par la musique douce et mélancolique de Guillaume St-Laurent) que vers une exploration des zones sombres qui sévissent à l’intérieur des individus. Par contre, il s’inscrit dans un courant très actuel de la valorisation de la différence et des êtres plus marginaux. Par ailleurs, le personnage inspire davantage de compassion et de tendresse que de répulsion.
L’intérêt de la production vient en très grande partie de la distribution, quant à elle, irréprochable. Si les critiques mentionnent, avec raison, le talent de Benoit McGinnis dans les divers rôles qu’il a incarnés (Hamlet, Caligula, le Normand déficient intellectuel d’Avec Norm de Serge Boucher), force est de reconnaître aussi l’humilité nécessaire pour jouer une figure aussi complexe. Face à lui, David Boutin démontre une sensibilité palpable en médecin compatissant. Sylvie Drapeau s’impose par sa prestance raffinée et son élégance en comédienne bourgeoise. Lors de ses quelques apparitions (nous aurions aimé la voir davantage), Annick Bergeron s’avère aussi excellente qu’à son habitude. Leurs partenaires de jeu sont tout aussi justes dans des prestations plus sporadiques.
Par contre, la finale déçoit. Sans en dévoiler l’issue, soulignons que le metteur en scène a préféré l’illustration à l’évocation. La tragédie perd soudainement de sa force douloureuse. Autrement, cet Homme éléphant navigue dans eaux psychologiques parfois touchantes, mais qui auraient mérité des frissons plus saisissants.
05-02-2018