Texte de Boris Vian
Collage et mise en scène de Carl Béchard
Avec Marie-Ève Beaulieu, Carol Bergeron, Emmanuel Bilodeau, Pierre Chagnon, Bénédicte Décary, Sylvie Drapeau, Allan Laforest, Marc Béland (en remplacement de Pierre Lebeau), Pascale Montpetit, Corinne René, Alain Zouvi
Rire jaune, rire noir, franc rire. Le général James Audubon Wilson de la Pétardière-Frenouilloux est un grand militaire. Un homme si bien : il habite encore chez sa maman. En prime : imaginez Pierre Lebeau dans cet ahurissant personnage! Et comme la paix, quoique confortable, c’est un rien ennuyant, il invite chez lui, pour se divertir, d’autres généraux. Mais rapplique sans qu’on l’ait convié le premier ministre : une guerre, pour lui, ce serait si pratique pour le bien de l’économie, la prospérité de l’industrie, l’avenir du pays… Mais quelques autres bombes aussi intelligentes qu’imprévues viennent interrompre l’heure du thé : chansons féroces, poèmes déglingués, couplets louches. L’inénarrable succède à l’invraisemblable? Bienvenue chez Boris Vian!
Mort à trente-huit ans d’un cœur trop grand, trop mince et qui battait trop fort, Boris Vian aura illuminé les nuits du Paris d’après-guerre comme le bref passage d’une comète : ingénieur, romancier, poète, chansonnier, trompettiste de jazz, polémiste, inventeur, magicien de la vie et des mots, il a laissé une œuvre inclassable où la satire la plus tranchante et l’émerveillement le plus rêveur s’allient pour combattre la bêtise et le désenchantement du monde.
Carl Béchard, à qui l’on doit au cours des récentes saisons les époustouflants Malade imaginaire et Imprésario de Smyrne, fréquente depuis longtemps Vian et les autres pataphysiciens de son espèce. Il a rassemblé sa prestigieuse bande de complices (non, mais, vous avez vu sa distribution?) pour saluer le cinquantenaire de la mort de l’auteur de L’Écume des jours et nous gratifier d’une énergique et salutaire séance d’hygiène politique et poétique. Et Vian!
Rédaction Paul Lefebvre
Source : www.tnm.qc.ca
Les concepteurs : Michel Beaulieu, Carol Bergeron, Normand Blais, Geneviève Lagacé, Geneviève Lizotte, Louise Lussier, Jacques-Lee Pelletier, Marc Senécal
Une production du TNM
par Daphné Bathalon
Boris Vian maîtrisait l’art de l’absurde à une époque où la réalité elle-même nageait dans une certaine absurdité, soit celle de la guerre. À travers ses textes, chansons, pièces de théâtre et romans, Vian peignait des histoires sur la complexité de l’homme - et ses complexes. Il parlait de la vie, celle qu’il faut vous arracher quand elle vous fait trop mal.
Depuis le 27 avril, le rideau du TNM s’ouvre sur des tréteaux de bois qui rappellent un peu le pont d’un vieux navire. Étendues là, neuf formes enveloppées dans des sacs de toile – on devine des cadavres – et qui, soudain, se dressent et se mettent à chanter, puis à danser. Ça y est, le spectateur bascule dans l’univers absurde mais tout à fait lucide de l’auteur. Dans Le goûter des généraux, pièce qui sert de base au spectacle, le général Audubon reçoit la visite du premier ministre qui lui annonce que le pays est au bord de la crise… de surproduction. Le seul remède : faire la guerre! Mais il y a un détail important à régler : à qui la déclarer?
Tout comme il l’avait fait en montant Le malade imaginaire de Molière au TNM il y a deux ans, Carl Béchard s’est attelé à mettre en scène le monde typique de l’auteur, intercalant les scènes de la pièce Le goûter des généraux de chansons et émaillant le tout d’une musique jouée sur scène (une proposition de Carol Bergeron). Choix étonnant, Béchard a accordé la plus grande place à des textes moins connus de Vian comme Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale, Lettre sur les truqueurs de guerre, Les fourmis. Alors, pari audacieux, pari réussi?
À n’en pas douter, Boris Vian est partout dans cette création, autant dans les textes que dans l’inspiration musicale et le ton... Néanmoins, son esprit semble trop peu présent. Cette ambiance de boîte de nuit un peu enfumée sur St-Germain des Prés, que Béchard souhaite nous présenter, justement, n’est pas au rendez-vous. Il n’y a pas suffisamment de jazz, pas suffisamment de la note de folie, allumée et affirmée, que sème l’auteur de L’écume des jours dans ses œuvres. Est-ce parce que les textes choisis nous mènent dans une portion plus sombre de sa littérature? Pourtant, malgré son thème sérieux, ce collage dénonce avec humour la guerre et les dirigeants qui la déclarent. Si bien que l’on passe sans mal du poème à la chanson, de la citation solo aux chœurs (qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’Oulipo show).
Ces entrelacs forment un collage « très très collage », pour reprendre les mots du metteur en scène. La chanson d’amour interprétée par Bénédicte Décary est ainsi constamment interrompue par une musique soudain plus forte ou chassée de l’espace de jeu par une nouvelle scène du Goûter. L’amour n’a pas sa place dans cette bataille de mots. Toutefois, ce qui aurait pu rythmer le spectacle ironiquement nuit aux transitions entre les tableaux.
Si, lors du soir de la première, le texte manquait de fluidité dans la bouche de certains comédiens, on peut penser que ces accros au rythme s’aplaniront au fil des représentations. Marc Béland, qui enfilait à trois semaines de préavis les chaussures de Pierre Lebeau, livre une bonne prestation, n’ayant recours à son texte que pour la deuxième moitié du spectacle. En un instant, le général Audubon se transforme en grand enfant terrifié par sa mère, une véritable marâtre. Autour de lui, dix comédiens viennent peupler Et Vian! dans la gueule. Pascale Montpetit, toujours éclatante, Emmanuel Bilodeau (boudeur à souhait dans la peau du général Dupont D’Isigny) et Sylvie Drapeau dont l’interprétation de Léone Plantin est particulièrement savoureuse, se démarquent du lot. Dommage que les numéros chantés ne soient pas du même calibre, laissant parfois entendre des fausses notes, sans compter les micros mal ajustés qui rendent inaudibles le texte et même la voix à quelques reprises.
Nouvelle mouture d’un collage que Béchard avait monté alors qu’il faisait partie du Groupe Audubon (qui conteste d’ailleurs la paternité du spectacle, voir l’article d’Alexandre Vigneault - le TNM a d’ailleurs répondu au Groupe dans une lettre, voir ici), Et Vian! dans la gueule propose une incursion rapide dans l’univers du célèbre auteur français. Une visite intéressante pour ceux qui aimeraient découvrir Vian, mais qui ne dépoussière pas son œuvre pour ceux qui l’ont déjà lue ou entendue.