En 2012, l’Usine C présentait la pièce Kolik montée par Hubert Colas. Le metteur en scène français revient cette saison avec Face au mur de Martin Crimp, dramaturge de la dérision à la plume acide. Sur le plateau, cinq interprètes en smoking évoluent dans une mer mouvante de ballons gonflables. Dans ce décor quasi céleste, tout paraît tranquille. Jusqu’à ce que les mots claquent et fissurent la quiétude ambiante. Le dramaturge britannique, armé d’humour pince-sans-rire, livre un texte glacé et dénonciateur de la violence gangrénant les individus et la société. Hubert Colas offre un écrin poétique à l’écriture de Crimp afin de mieux amplifier l’urgence et la contestation qui l’irriguent. Face au mur réussit le bel exploit de marier sur scène la candeur et la cruauté.
Hubert Colas célèbre l’écriture théâtrale dans toute sa diversité. Il a exploré les langues aussi variées que celles de Witold Gombrowicz (Mariage), Christine Angot (Nouvelle Vague et La fin de l’amour), Sarah Kane (Purifiés et 4.48 Psychose) ou encore Rainald Goetz (Jeff Koons et Kolik). En optant pour une approche frontale et sans ambiguïté, il oriente son travail de recherche vers cet échange à venir : la rencontre avec le public.
Lumières Encaustic
Vidéo Patrick Laffont
Univers sonore Zidane Boussouf
Crédit photo Patrick Laffont
Régulier 35$ / Ainés 32$ / Réduit 28$
Durée 80 min
Production Diphtong Cie, le Théâtre du Gymnase de Marseille, le Festival d’Avignon et le Festival PERSPECTIVES, Sarrebruck
Avec le soutien de Montévidéo, centre de création contemporaine Présentation Usine C
Avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, de l’Institut Français et du Service de Coopération et d’Action Culturelle du Consulat Général de France à Québec
par Ariane Cloutier
En première nord-américaine à l’Usine C, la compagnie française Diphtong Cie de Hubert Colas présente la pièce percutante Face au mur, adaptée de trois textes de Martin Crimp (Whole blue sky, Face to the wall, Fewer Emergencies). Une symbiose s’opère entre la mise en scène et les mots de l’auteur britannique contemporain bien connu pour s’être émancipé de son propre mouvement littéraire, le mouvement « In-Yer-Face », auquel on associe Mark O’Rowe (Howie the Rockie) et Irvine Welsh (Blasted - la nouvelle à l’origine de Trainspotting).
Du texte, à la fois déroutant et drôle, se dégagent principalement une envie de hurler (depuis trop longtemps retenue) et un anticonformisme latent. Il évoque le quotidien emprisonnant, le manque de liberté, la castration de l’expression. Il aborde aussi l’idéal du bonheur, la projection du bonheur, la fabrication du bonheur.
La mise en scène est elle-même assez déroutante. Au début de chacune des trois scènes, le présentateur appelle le nombre de comédiens, leur genre si nécessaire et détermine le temps ainsi que le lieu : toujours neutres. L’interprétation est fractionnée, le texte brisé, divisé entre les personnages par des répétitions, des erreurs reprises, des questions/réponses, des chants. L’histoire donne ainsi l’impression d’être esquissée à mesure, comme si les comédiens l’inventaient ensemble, à l’image d’un cadavre exquis.
Dans le fond, est-ce que les choses s’améliorent ou s’habitue-t-on à faire semblant qu’on est heureux, à accepter les contraintes et les imperfections de la vie?
Les livres d’étudiante disparus du personnage féminin évoquent l’effacement progressif de l’identité personnelle pour le couple, puis la famille. La pièce parle également de la confrontation du passage entre l’enfant et l’adulte, ainsi qu’éventuellement l’acceptation du vieillissement par l’usure du quotidien. Le propos amène à un éclatement des normes sociales, à une révolution. On assiste aussi à une forme de déraillement mental corrélé au sentiment d’être habité par un autre, ou de s’être égaré soi-même.
Colas assure à la fois la mise en scène et la scénographie, ce qui leur confère une intertextualité peu commune. Une mer de ballon emplit la scène. Ces ballons blancs, bien placés en rang d’oignon au départ, sont foulés par les comédiens qui par leur déplacement dérangent l’ordre établi. Éventuellement, des éclatements aléatoires - comme des coups de feu - se feront entendre, interrompant la continuité du texte d’une manière imprévisible. Le ballon qui évoque d’abord l’univers enfantin représente aussi la fragilité de l’être, son confinement, un état toujours sur le point d’exploser. Des trouvailles d’éclairage et l’intervention de la vidéo très bien dosée (une simple bande lumineuse qui ballait la scène, une lampe suspendue en mouvement de pendule, etc.) contribuent à la richesse d’une scénographie simple.
Un autre lieu, cette fois imaginaire, mérite que l’on s’y attarde : c’est la garde-robe en bois précieux de l’enfant. Un endroit surréel qui contient des montagnes, des villes, des restaurants et surtout une clef qui permet de sortir de chez soi, c’est à dire de soi-même, à utiliser en cas d’urgence extrême seulement. À chacun son interprétation de ce lieu. Il peut préfigurer un monde d’évasion (la télévision par exemple) permettant de sortir de chez soi sans avoir besoin de sortir de chez soi ou encore un monde de possibilités qui s’offrent à un enfant à qui l’avenir appartient. Le lieu dans le lieu est très présent dans l’écriture de Crimp, le quartier s’établit comme un écrin de ouate, la maison familiale étant une première coquille, le garde-robe une deuxième, toutes protégeant l’intérieur de soi.
La pièce se termine sur une confrontation de l’enfant avec le monde extérieur. Ce moment semble représenter la percussion de l’univers inconnu sur le monde acquis de notre quotidien. La révolution frappe brutalement au mur d’une maison douillette et calme de banlieue. Dans la réalité, si cette confrontation de la guerre et des tueries n’est pas littéralement à la porte, elle vient cogner par des prises de conscience occasionnelles devant les nouvelles. Pendant ce temps, est-ce que les parents de l’enfant absent sont morts ou simplement partis, que signifie le voyage au bout du monde, où il y a plus de lumière, un monde meilleur?
L’œuvre remet en question, donc, l’absurdité de l’existence normalisée. Elle demande : « Quelles sont les choses qui valent d’être vécues : l’argent, la propriété, la famille? » Une pièce dirigée avec brio qui se termine sur Neighbourhood de Arcade Fire, redirigeant son propos en plein cœur de notre propre banlieue.