Quatre individus sur une scène vide au moment zéro de la création. Que faire quand on a tout à inventer ? D’abord, décrire les choses, les classer, puis pas à pas, prendre de l’assurance, inventer le langage, la musique et le vivre ensemble, se lancer dans la métaphysique, et pourquoi pas, expliquer la mécanique quantique, pour finalement mettre en place toute une société et démonter la mécanique de la création théâtrale à travers une épopée philosophique aussi déjantée que jubilatoire.
Antoine Defoort et Halory Goerger, sur un ton aussi solennel que dérisoire, démontent notre techno-société pour ouvrir les chemins de nouvelles utopies. Lumineusement absurde.
Section vidéo
Conception technique Maël Teillant
Direction technique + régie générale et plateau Frédérick Borrotzu Et Colin Plancher
Lumières, vidéo Sébastien Bausseron, Alice Dussart
Son Robin Mignot, Régis Estreich
Chargé de production et regard extérieur Julien Fournet
Assistante de production Mathilde Maillard
Administration Sarah Calvez, Kevin Deffrennes
Secrétariat général et diffusion Anne Rogeaux
Logistique Pauline Foury
Constructeurs Christian Allamano, Cédric Ravier, Danny Vandeput (Kunstenfestivaldesarts)
Consultante lumière Annie Leuridan
Régulier 40$ / aîné 38$ / étudiant 34$
Une production Production L’Amicale De Production (Belgique)
Dates antérieures (entre autres)
29 et 30 mai 2014, 20h, 31 mai et 1er juin, 16h - FTA 2014
Au tout début, il y a le noir, puis la lumière, d’abord diffuse et fragile, et de plus en plus intense et éblouissante. Une lumière qui révèle les contours, les formes, puis les individus, le groupe, l’espace limité par des murs et un sol. La lumière stabilisée, la pensée surgit, comme un interrupteur qu’on actionne, et mène au concept d’abstraction et au dialogue.
Après avoir fait le bonheur des festivaliers en 2014 lors du FTA, le Germinal franco-belge de Halory Goerger et Antoine Defoort, qui n’a rien à voir avec l’œuvre de Zola (qu’on se le dise), revient jusqu’au 6 février à l’Usine C. Le spectacle, qui avait connu un succès considérable à Avignon en 2013, séduit partout où il passe.
Ils sont quatre sur une scène vide : Arnaud (Arnaud Boulogne), Ondine (Ondine Cloez), Antoine (Antoine Defoort) et Sébastien (Sébastien Vial). Ils n’ont rien, mais ont tout à découvrir, depuis le noir jusqu’à la conscience d’une finitude, avant de parvenir à la création d’une succession d’événements répondant à des critères de cohésion spatiale et temporelle. Après avoir appréhendé les notions de langage, d’individualité et de collectivité, ils devront collaborer pour élaborer un système de classement des choses, entre ce qui fait « poc poc » et ce qui ne fait « pas poc poc ». Ils comprendront vite que rien n’est aussi tranché.
Germinal est à la fois limpide et brillant. Il le faut pour parvenir à traiter de physique quantique et de principes de thermodynamique tout en demeurant à la fois pertinent et drôle. Malgré la thématique aride, le charme de la production opère : on ressent avec les quatre individus la même fascination pour un nouveau son, une nouvelle option ou une nouvelle émotion tout en étant curieux de voir de quelle manière cela modifiera leur monde et la perception qu’ils en ont.
Dans ce micro-univers limité aux murs de scène et aux pendillons, les découvertes des quatre comédiens tracent habilement l’histoire du théâtre, depuis la pantomime de ses débuts à la création du personnage, en passant par l’exploration des dialogues, la projection de la voix, le chœur, le chant, la catharsis et le drame ; la technologie elle-même s’invite sur scène par écran interposé. À l’instar de ces quatre explorateurs du vide, les auteurs, les metteurs en scène et les comédiens partent de zéro pour construire un monde sous nos yeux.
Il faut entendre le silence concentré qui règne dans la salle tandis que les comédiens passent de la pensée à la parole ou quand ils explorent le menu de leur manuel d’utilisateur censé répondre à leurs questions. L’absurde, parfois poussé à l'extrême, mais toujours dans une logique incontestable, séduit dès les premiers coups de pioche, de même que le jeu tout en sobriété des interprètes.
Le spectacle célèbre dans le plaisir de la découverte la capacité de l’être humain à continuer de progresser et d’apprendre, malgré sa conscience d’une finitude. Et c’est un spectacle d’une redoutable intelligence qu’il faut découvrir en ne sachant rien de ce qu’il contient, pour expérimenter pleinement le bonheur de la découverte.
par David Lefebvre critique publiée en 2014
D’abord il y a le noir. Le néant. Puis, une mince lame de lumière, comme un horizon, brise l’obscurité. Les lumières s’affolent, passent en mode test : quatre individus, consoles en main, s’amusent avec les boutons. L’un de ces boutons ne semble pas fonctionner : du coup, l’homme découvre, en le manoeuvrant, que ses pensées apparaissent sur les panneaux de surtitres. La communication naît.
Voilà la prémisse de Germinal, l’un des plus récents spectacles de l’Amicale de production, qui avait enchanté critiques et public lors du FTA 2012 avec &&&&& & &&&. Les créateurs extraordinaires Antoine Defoort et Halory Goerger s’amusent encore une fois à chambouler les codes et à tout recréer, et ici, rien de moins que l’univers - du moins, celui, métaphoriquement, du comédien.
Les quatre comparses tentent de conceptualiser leur monde, de structurer un système social, en commençant par leur corps, leurs pensées, puis leurs voix. La découverte d’un microphone, qu’on déterre littéralement de la scène à coup de pioche, leur permet de s’exprimer verbalement. Mais rapidement, ils se rendent compte qu’ils peuvent le faire par eux-mêmes, sans passer par les panneaux de surtitres, le micro ou même un communicateur délégué, recevant de façon télépathique les pensées de chacun pour les retransmettre verbalement. Le concept de l’acteur prend brièvement forme dans ce jeu d’interprétation des mots des autres.
On note tout ce que l’on voit sur le mur du fond qui se remplit de mots. On catégorise, avec imagination, les objets et les notions, dans deux groupes : « ce qui fait poc poc » (comme quand on tape sur la membrane d'un microphone) et ce qui ne le fait pas. Musique, chant, découverte de l’émotion et de la catharsis, contact avec l’extérieur, refus des diktats monétaires et déistes, menu informatique, arbre conceptuel ; Germinal est un délice et un délire philosophique créé par de candides clowns à la logique tout aussi simple, loufoque que profonde.
Arnaud Boulogne, Antoine Defoort, Halory Goerger et Beatriz Setien forment un quatuor absolument sensationnel. À l’intérieur de ce landernau, ils déconstruisent la théâtralité pour mieux la comprendre, la cerner, sous les airs d’une création du monde totalement déjantée. Désopilant, Germinal l’est. Intelligent, il l’est encore plus. Car derrière la destruction en règle du plancher du décor, les nombreuses répliques souvent anodines et la gestuelle qui provoquent le rire, il y a une pensée rigoureuse de début des temps, une véritable recherche qui creuse la mécanique de l’humanité et un désir de plonger dans la genèse du monde et de tout réinventer, ou presque. N’est-ce pas ce que font, à priori, les metteurs en scène au théâtre ?
Pari réussi pour le duo Defoort et Goerger qui frappe un autre grand coup avec cette création totalement hors-norme, d’une inventivité et d’une intelligence indéniable, à la logique et aux cohérences en trompe-l’œil – ou trompe-l’esprit – et d’un humour flirtant entre le clownesque et l’absurde, réussissant sans cesse à étonner un auditoire conquit - ou médusé! - dès les premières minutes.