De l'esprit créatif de Clive Barker, The History of the Devil raconte l’histoire du procès du Diable dans les mains de la race humaine, avec qui il a partagé le monde pendant des millénaires. S’il peut prouver à l’humanité qu’elle est réellement coupable de ses crimes présumés, il pourra retourner au paradis pour l’éternité. Dans une éruption théâtrale de noirceur, de philosophie et d’humour, huit acteurs jouent trente-quatre personnages et voyagent à travers le temps pour raconter l’histoire du Diable. The History of the Devil présente Lucifer comme un ange déchu, tout comme nous. Est-ce que Satan mérite sa place au paradis? Et qu’en est-il de nous?
La jeune troupe de théâtre bourgeonnante, les Productions Title 66, a eu l'importante opportunité de remonter ce projet de 2012 et de le présenter à un public international en faisant partie du Festival international du film Fantasia. Elle a choisi une salle dans la prestigieuse Place des Arts et ses membres sont impatients de revisiter l'imagination sans limites de Clive Barker et de partager sa vision avec un nouveau public.
Directeur technique Stephen Schon
Régie Beata Groves
Costumes et décor Logan Williams
Éclairages Alexander Smith
Assistante costumes Roze Bell
Création des masques Danielle Fagen & Joshua Cape
Son Jeremy Michael Sega
Billets: 19,99$ + frais
Productions Festival international de films Fantasia et Title 66
par David Lefebvre
Après quelques expériences intéressantes de « théâtre de genre », dont Evil Dead the Musical et Nevermore, le Festival Fantasia se replonge dans le spectacle « live » et propose l'une des rares pièces du légendaire créateur d'horreur Clive Barker (Books of Blood, Hellraiser, Candyman), intitulée The History of the Devil. Pour la petite histoire, cette pièce fait partie d'une compilation de trois textes très différents, publiée dans les années 90 sous le titre Incarnations. D'une écriture étonnamment mature, drôle et profondément philosophique - rappelons que Barker a couché sur papier ce récit alors qu'il était dans la jeune vingtaine -, The History of the Devil voit celui aux nombreux sobriquets, plus machiavéliques les uns que les autres, mais répondant généralement au nom de Lucifer, se placer au coeur d'un procès qui lui permettrait, après des millénaires d'exil, de retourner auprès du Père, dans le royaume des cieux. Pour ce faire, il convoque un jeune avocat anglais, sans grand expérience, pour plaider sa cause ; si Lucifer et lui réussissent à prouver hors de tout doute qu'il n'est nullement responsable des atrocités dont l'humanité a souffert et dont on l’accable, il pourra regagner le ciel. Sont ainsi appelés à la barre différents témoins, retournant jusqu'à très loin dans le temps : de Pia Shim, celle qui le découvrit à son arrivée sur terre, à qui il apprend le langage et de qui il savoure, au creux des reins, l'extase, à l'architecte Nicholas Vidal, qui ne vit que pour et par le plaisir des sens ; de Dante, qui semble fou furieux, à Jésus Christ, rencontré en plein désert, qui lui demande son aide pour fomenter une extraordinaire sortie messianique, incluant une crucifixion spectaculaire ; de Isobel Nider, à l'âme noire, accusée de sorcellerie, au fameux boxeur Daniel Mendoza, contre qui Lucifer perdra un pari.
Présenté en première canadienne il y a plus d'un an au Théâtre Rouge du Conservatoire, The History of the Devil de la jeune compagnie anglophone Title 66 s'avère d'emblée éparpillée, mais assumée. Les nombreuses influences théâtrales se succèdent et s'entremêlent, sans pourtant s'imposer : ici, un ton très brechtien, là, un jeu de masques et une pantomime très commedia dell’arte ; ici, une déclamation très shakespearienne, costume aux allures victoriennes et crâne dans une main à l’appui ; là encore, des échanges courts, rappelant Tchekhov. Dans la première partie du spectacle, un sentiment académique se dégage de la mise en scène de Jeremy Michael Segal et du décor de Logan Williams, blanc presque immaculé, peuplé de multiples mannequins de plastique. Budget oblige, la scénographie se veut on ne peut plus simple : quelques accessoires que l’on déplace, surtout des boîtes blanches multifonctionnelles, et un gigantesque voile blanc recouvrant toute l'arrière-scène, qui permet, entre autres, une anonymisation des lieux visités et certains effets, dont des jeux d'ombres. Malheureusement, ceux-ci sont souvent peu convaincants, n'ajoutant rien à l'intrigue ou passant littéralement inaperçus. Par contre, plus le spectacle avance, plus il acquiert de l'assurance, grâce notamment aux éclairages d'Alexander Smith, qui viennent appuyer parfaitement les différents flashbacks. L'utilisation des masques pour illustrer le passé est judicieuse ; leur conception - Danielle Fagen & Joshua Cape - est simplement superbe. Il est dommage par contre que certains cachent totalement le visage, rendant parfois quelques bouts de dialogues presque inaudibles.
Le réel point fort de la pièce réside dans le jeu des comédiens, solide et sans faille, et ce, du début à la fin. Delphine DiTecco, James Harrington, Lily MacLean, Kyle McIlhone, Liana Montoro, Arielle Palik et Logan Williams incarnent à eux seuls pas moins d'une trentaine de personnages tous forts différents. Mentions particulières aux Jesus (Logan Williams, recevant lors de la dernière soirée une salve d'applaudissements bien méritée), Pia Shim et Isobel (Delphine DiTecco), les avocats Jane Beck (Arielle Palik), Catherine Lamb (Liana Montoro) et Samuel Kyle (Kyle Mcilhone), ou encore le juge Felix Popper (incarné par plusieurs acteurs, mais jamais aussi bien que par James Harrington). Le diable est magistralement interprété par Lucas Chartier-Dessert : dépassant d’une tête tous ses collègues, il impose une présence presque surnaturelle. Séducteur, puissant, mais aussi impatient et, d’une certaine manière, vulnérable, ce Lucifer est assurément le plus humain des anges déchus. N’est-ce pas là, justement, le message de Barker, au coeur de cette interprétation impeccable, soit celui de mettre un miroir à la face du monde et lui dire : regardez-vous bien, et voyez tout le mal que vous avez fait? Il n’y a pas de démon : il n’y a que l’homme qui projette sa propre part de responsabilité sur une entité - réelle ou non - qui ne cherche que la rédemption.
Une jolie surprise, tout de même, que fut cette histoire du diable : un texte inspiré, philosophiquement chargé et très accessible, qui aurait par contre mérité quelques coupures malgré un rythme très soutenu, et des comédiens passionnés et talentueux qui font de The History of the Devil une pièce très agréable, et de Title 66 une compagnie à surveiller de très près.