Marc-Antoine est un obèse dans la trentaine qui vit seul et travaille comme concepteur de jeux vidéos. Son histoire est racontée par petits fragments, à travers divers soupers ; au restaurant, avec sa mère, sa sœur ou une collègue de travail ; chez lui, avec son chat.
Ce « polar de la vie quotidienne », joué tout autour des spectateurs dans le petit Outremont transformé en restaurant, porte un regard caustique sur les difficiles relations humaines dans un monde saturé de communication « intelligente ».
Section vidéo
Assistance à la mise en scène et régie Alexandra Sutto
Scénographie Julie Measroch
Costumes Suzanne Harel
Éclairages et direction de production Frédéric Martin
Conception sonore Michel F. Côté
1h10 sans entracte
En tournée à Montréal, voir les dates ici
Une production de Simoniaques Théâtre
Dates antérieures (entre autres)
Théâtre d'Aujourd'hui - Du 13 novembre au 1er décembre 2012
L'Anglicane de Lévis - 19 janvier 2013
Salle Pauline-Julien - 25 janvier 2013, 20h
par Olivier Dumas
Après le succès remarqué de Sauce brune l’an dernier, Simon Boudreault confirme encore une fois son acuité dans le paysage théâtral québécois. Soupers,la nouvelle pièce de sa compagnie Simoniaques Théâtre, constitue une nouvelle offrande bien appétissante. Portant ici le chapeau d’auteur et metteur en scène, le polyvalent artiste (également improvisateur, marionnettiste et comédien au théâtre comme à la télévision dans Dieu merci) nous dévoile un morceau cocasse et grinçant qui sait provoquer la réflexion.
La nourriture joue souvent le rôle de paravent, face aux conflits personnels, ou d’alibi exemplaire pour se vautrer dans des propos superficiels vides de sens. Durant les soixante-quinze minutes de la représentation, les spectateurs se retrouvent dans un décor de restaurant, assis autour de tables rondes, voyeurs et témoins malgré eux des intrigues. Entre quatre repas répartis dans une salle Jean-Claude Germain transformée pour l’occasion, nous suivons les joies et surtout les peines de Marc-Antoine (Alexandre Daneau), un triste trentenaire obèse, concepteur de jeux vidéo, qui vit seul avec son chat Guy. Entre une mère possessive (Sophie Clément) toujours prompte aux commentaires acidulés, une aimable sœur compulsive et mère monoparentale débordée (Caroline Lavigne), une serveuse (Catherine Ruel) pour laquelle il a eu un béguin non réciproque et un vieux matou sur le point de rendre l’âme, il peine à tirer les ficelles de sa propre existence. Même les illusions du monde virtuel ne parviennent à camoufler ce profond mal de vivre.
Comédie de mœurs sur l’incommunicabilité et sur l’ambigüité de l’individu moderne coincé entre la plate réalité et le monde fictionnel, la pièce Soupers possède le don de mettre le doigt sur les travers de la société. Évoquant des dramaturges contemporains de la scène théâtrale québécoise comme Fanny Britt, l’écriture de Simon Boudreault témoigne d’une grande justesse dans la description des événements les plus anodins en apparence, mais grondant de tension sous-jacente. Son sens du détail se traduit également par une habileté dans les vives réparties de ses personnages. Certaines répliques frappent fort, notamment celles autour de la relation très conflictuelle entre la mère et la sœur, pathétiques par moment, mais surtout très justes dans le ton.
Les quatre interprètes prennent plaisir à goûter ces phrases trempées dans un réalisme plus noir que son impression de bonheur tranquille laisse présager. Le Marc-Antoine d’Alexandre Daneau émeut suffisamment pour entraîner une empathie éloignée de toute trace de pathétisme. La mère protectrice prête à lancer ses pointes empoissonnées dévoile l’immense talent de Sophie Clément, une actrice d’une grande intensité. Respectivement dans les rôles de l’ancienne flamme et sœur débordée, Catherine Ruel et Caroline Lavigne se révèlent allumées et divertissantes.
L’auteur et metteur en scène s’est amusé à fragmenter habilement les quatre récits, sans négliger la cohérence. La présence de véritable nourriture sur scène (générique pour plus de précision) apporte une touche «d’hyperréalisme» intéressante.
La seule petite réserve n’entache en rien le plaisir contagieux du spectacle. À plusieurs reprises, les comédiens montrent des cartons où l’on peut lire le contenu de leurs assiettes. Pour ces brefs intermèdes, la musique de Michel F. Côté rappelle l’esprit des premiers spectacles du Cirque du Soleil dans les années 1980. Ce procédé plutôt anecdotique, que certains qualifieraient de brechtien ou de distanciation, n’apporte pas grand-chose à l’histoire, en plus de distraire inutilement. Heureusement, tout le reste se regarde et s’écoute avec bonheur.
Soupers confirme le talent et la sensibilité de Simon Boudreault à disséquer les travers de ses contemporains. L’une des fonctions de l’art n’est-elle pas de tendre un miroir sur les tares de sa propre société?