Une femme. Seule, face à elle-même, à ce qu'elle tente d'être. Comment gérer cette vie dont elle est maladroitement maître? Une zone-test pour essayer d'exister : se créer une vie, des histoires, des interlocuteurs, un monde sur mesure où elle a tous les droits. Même celui de dépasser les limites. Un solo coup-de-poing, un regard sur notre besoin de conformité qui trouve écho dans cette recherche de soi à outrance.
Théâtre de création alliant théâtre gestuel, danse et manipulation, Rage explore cette détresse humaine qui nous habite à travers la perception de soi et le besoin des autres; à travers l'immense doute qui nous anime et l'intensité dont nous sommes capables, parfois au-delà même de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être. Tentons d'être. Rage est lauréat du prix du Cirque du Soleil du festival Vue sur la relève, édition 2010.
Section vidéo
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Accessoires : Stéphan Bernier
Son : Stéphane Boulianne
Costumes : Louise Boudreault
Scénographie : Vicky Côté
Lumières : Jessyka Maltais-Jean
Cartes Prem1ères
Régulier 25$
30 ans et moins/ 65 ans et plus 20$
Groupe de 15 personnes et plus 18$
Carte CAMPUS 18$
Carte Prem1ères 12,50$
Production Théâtre À bout portant
Dates antérieures
Festival Vue sur la relève en 2010
ManiganSes, festival international des arts de
la marionnette de Jonquière
Festival Scènes ouvertes à l’insolite à Paris
(2012)
Théâtre des Marronniers de Lyon (avril 2012)
Théâtre Aux Écuries (mai 2012)
par Daphné Bathalon
Ça commence dès le hall d’entrée, quand, sous nos pieds, retentissent les pétarades de dizaines de bulles de plastique éclatant. L’étonnement d’abord, puis le plaisir de faire exploser le papier bulle (pêché coupable de bien des gens), de crever l’abcès, de laisser parler sa petite dose de colère quotidienne. C’est tout le propos de Rage, une création du Théâtre à bout portant, reprise jusqu’au 1er juin aux Écuries. La rage précède le spectateur jusque dans la salle, mais lors de la première, elle a aussi précédé l’entrée en scène de la comédienne et conceptrice Vicky Côté, puisque les directeurs artistiques ont fait tinter en cœur leurs casseroles indignées, celles qui résonnent ces jours-ci au Québec, à l’heure dite, 20 h.
Rage est l’expression d’un vide immense, pour ne pas dire abyssal, qui pousse un être dans les excès, jusqu’au bord de la folie. La pièce explore la détresse profonde d’une femme dont le besoin des autres et la crainte de leur jugement ont créé en elle un grand trou. Le sentiment de manque est si fort qu’elle ne contrôle plus l’intensité de sa colère. D’emblée, la haine que cette femme a pour son propre corps saute au visage : elle s’observe sous tous les angles, se jugeant sévèrement. Elle tente, à grand renfort de papier collant, de gommer toutes ses formes, de faire disparaître la chair flasque… Sa transformation en « top-modèle » fait naître bien des images de chirurgies esthétiques extrêmes et de corps aseptisés, ceux vendus comme parangon de beauté par le monde de la mode. Ce corps martyrisé et déformé par le papier collant se révèle une image ô combien saisissante.
Vicky Côté, qui s’est notamment perfectionnée auprès d’Omnibus, livre une prestation sensible et très physique. Théâtre de gestes bien plus que de paroles, Rage n’impose pas une vision précise de l’histoire, laissant toute la place à l’interprétation du public. La rareté des paroles n’entraîne pas pour autant un silence pesant, c’est plutôt un silence combattif, rempli de gestes porteurs de sens. En scène, un personnage lutte pour limiter ses éclats de colère et garder le contrôle sur sa vie. On pourrait craindre le silence au théâtre, lieu de prise de paroles; au contraire, ici, ce sont les mots qui, par moments, nous font légèrement sortir de la bulle dans laquelle on s’est plongé avec plaisir, attentifs à la tempête émotive du personnage. La lutte engagée exerce sur nous une étonnante fascination.
La mise en scène de Vicky Côté et de Sara Moisan concentre habilement toute l’attention sur le corps de l’actrice. Rage met en lumière la recherche d’un point d’équilibre de cette femme et sa mobilité de plus en plus entravée par les bulles, tant ceux qui l’encerclent que ceux qu’elle enfile en guise de vêtements, couche protectrice après couche protectrice. La danse vient également souligner, en quelques chutes, toute la fragilité du personnage. Et lorsque la rage se tourne à nouveau contre elle-même, c’est en pure perte, car les couches derrière lesquelles elle a trouvé refuge l’empêchent de sentir la douleur des aiguilles à tricoter qui la transpercent. Celles-ci restent fichées dans les bulles…
Omniprésent, le blanc recouvre d’abord le plancher, puis s’étale tranquillement en voilure au mur d’arrière-scène, puis côté jardin et côté cour, jusqu’à enfermer le personnage dans une boîte immaculée, faite de papier bulle. Sous les pieds de la comédienne, quelques bulles éclatent. À l’intérieur de cet enclos matelassé, le personnage joue à être une autre, étouffant tantôt ses émotions, les laissant tantôt l’envahir. Deux marionnettes d’être humain, grandeur nature, apparaissent en cours de spectacle, eux aussi faits de papier bulle. Vicky Côté les manipule avec dextérité, leur donnant à l’occasion un semblant de vie ou s’en servant comme de punching-bag.
Rage, comme l’émotion que sous-tend ce mot, se passe fort bien de mots pour exprimer toute l’étendue des excès auxquels nous pousse notre colère. Avec peu de moyens, mais des images évocatrices, Rage remue les émotions à fleur de peau autant que celles que l’on préférerait refouler. Profondément.