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Du 4 au 22 février 2014, du mardi au vendredi 20h, samedi 16h
LignedebusLignedebus
Texte et mise en scène Marilyn Perreault
Avec Victoria Diamond, Nora Guerch, Hubert Lemire, Annie Ranger, Hugues Sarra-Bournet et Victor Andrès Trelles Turgeon

Un autobus de ville avec, à son bord, une quarantaine de vies. Des existences qui se croisent, se mélangent, s’entassent et s’entrelacent. Plusieurs vies, un seul point en commun : ils étaient là. À ce moment-là.

Théâtre de mots, d’images, théâtre acrobatique où Marilyn Perreault, auteure, metteure en scène et cofondatrice du Théâtre I.N.K., crée une tragédie chorégraphiée de nos rapports quotidiens dans les transports en commun et révèle la fragilité de ces moments vécus plus souvent qu’autrement en somnambules.

Avec Lignedebus, le Théâtre I.N.K. aborde les phénomènes de société visibles dans les transports en commun de manière poétique grâce à une histoire continue où se côtoient personnages, mouvement et vidéo. Parmi les thèmes: la civilité toujours fragile, la peur du terrorisme, l’excentricité de certains voyageurs, l’itinérance, le stress lié au temps. Un théâtre hors-norme aussi physique, multidisciplinaire que littéraire.


Scénographie Patrice Charbonneau-Brunelle
Costumes Elen Ewing
Éclairages Martin Gagné
Musique Michael Leon
Oeil extérieur Éric Jean
Crédit photo Théâtre I.N.K., en répétition

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 4 au 8 février
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$
30 ans et moins 22 $

Une production Théâtre I.N.K.


Aux Écuries
7285, rue Chabot
Billetterie : 514 328-7437

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Eugène Holtz

D'abord, il y a Tom, jeune universitaire à la situation familiale difficule qui voit sa vie chamboulée par une crise aigüe de schizophrénie de son frère ainsi que le départ de sa copine, Daniela, une infirmière séduite par Jimmy, un jeune musulman étudiant les relations internationales. Il y a Rachel, une serveuse amoureuse d'Henry, un chauffeur d'autobus tiré à quatre épingles, qu’elle cherche les week-ends, empruntant toutes les lignes possibles de la ville. Puis il y a Sandy, une collégienne morte il y a cinq ans, hantant l'autobus qui réunit tout ce beau monde lors d’un moment fatidique, une explosion fauchant plusieurs vies innocentes. Mais qu'est-il arrivé exactement ? Pourquoi est-ce arrivé ? C'est ce qu'une coroner tente d'élucider, dans Lignedebus.

Inspirée par des notes prises lors de voyages en autobus, captant ici et là des bribes de conversations, ainsi que par une quinzaine de rencontres avec différents immigrants, Marilyn Perreault voulait d’abord parler des transports, des grands comme des petits, des machines comme des émotions. À l'instar de ces précédents textes coup-de-poing (Les apatrides, Roche, papier, couteau et Britannicus Now), elle explore dans ce tout nouveau texte l’amour-passion, la haine, la vengeance, l’obsession. Elle s’intéresse aussi, indirectement, aux maladies mentales et à ses répercussions, et, plus précisément, aux opinions fallacieuses et insolentes qu’un immigrant doit subir dans la société qui l’accueille alors que lui-même se cherche ; aux relations humaines – froides, anecdotiques, surprenantes – dans les transports en commun et au phénomène de l’hypermédiatisation, qui fait en sorte que le citoyen ordinaire porte des jugements de plus en plus prématurés et trop souvent erronés sans avoir accès à toutes les informations.


Crédit photo : Eugène Holtz

Alors que l’auteure, qui signe ici sa première mise en scène, aurait pu perdre le fil de son propre texte et sombrer dans la surenchère, elle réussit pourtant, et avec brio, à transposer sur scène l’univers singulier de son Lignedebus, utilisant l’acrobatie, la danse contemporaine et le multimédia pour rendre les propos de son texte encore plus percutants et poétiques. La carcasse de l'autobus, éventré et carbonisé par l'explosion, qui sied sur la scène des Écuries, devient le canevas métaphorique des réflexions de la coroner/auteure, qui décortique ses personnages, les faisant parler et les extirpant d'un anonymat plus ou moins confortable pour les amener vers une reconnaissance publique, qu'ils auraient voulue bien différente. Tour à tour, les cadavres numérotés deviennent des personnes répondant à des prénoms, dévoilant peu à peu leur vie, leurs secrets, quitte à les ramener sur le droit chemin s'ils se permettent des entorses à leur histoire, ne collant plus aux faits que la coroner a pu glaner lors de son enquête.

Adepte du théâtre physique – rappelons les récents Britannicus Now et L'effet du temps sur Matèvina dans lesquelles elle a jouées – Marilyn Perreault n’hésite pas à transformer l'autobus en un terrain de jeu circassien, où les poutres métalliques et les sangles permettent aux comédiens plusieurs acrobaties et des chorégraphies souvent impressionnantes, sur des airs connus de Moriarty, Radiohead et David Bowie. Certaines scènes sont chorégraphiées d'une main de maître, comme celle où Jimmy et Daniela font enfin connaissance, irrésistible danse de leur amour naissant, au gré de la route qu'emprunte l'autobus, tentant d'aider l'autre avec sa chemise alors que les deux vêtements se séparent de leur corps respectif ou se boutonnent l'un à l'autre.


Crédit photo : Eugène Holtz

Les projections au mur, en arrière-scène, et sur le flanc du véhicule viennent habiller la scène ou appuyer l'enquêteuse dans sa démarche ; elle repasse ainsi en boucle les images qu'une passagère a pu capter avec son cellulaire avant la déflagration, ainsi que celles de la caméra de surveillance de l'autobus, en plus d’afficher de façon fort judicieuse les textos échangés entre les personnages et leur entourage.

Le casting multiculturel n'est pas fortuit, bien au contraire. Il est superbe de voir les Victoria Diamond (Sandy), Nora Guerch (Daniela), Hubert Lemire (Tom), Annie Ranger (Rachel), Hugues Sarra-Bournet (Henry) et Victor Andrès Trelles Turgeon (Jimmy) jouer ensemble, avec cohésion et plaisir, dépeignant une image plutôt réaliste de la faune urbaine. Si le jeu manquait encore de naturel lors de la première médiatique, il saura trouver un ton juste et équilibré au fil des représentations.

Si l'on devait reprocher une chose à Lignedebus, c'est de se terminer sur une note trop précise, élucidant en bonne partie le mystère qui aura réuni dans la mort ces quelques personnages qui voulaient tant exister. Pourtant, ceux-ci, alors qu’ils s'adressaient au public au tout début de la représentation, l’invitaient à se faire sa propre opinion sur l’événement à partir des fragments de vies qui allaient lui être révélés. Le suspense prend alors une tournure définitive ; si certains peuvent en sortir satisfaits, d'autres auraient sûrement préféré continuer de réfléchir et établir des hypothèses sur les véritables causes du funeste épisode. Cela dit, Lignedebus est une pièce solide, souvent charmante, à la mise en scène fougueuse, éloquente et d’une grande efficacité ; jamais morbide, malgré le sujet initial, elle se teinte agréablement d’une poésie corporelle prônant l’amour et la vie dans ce qu’elle a de passionnel et de rythmé, désamorçant toute la violence et la cruelle réalité qu’imposent la mort et la disparition.

07-02-2014