Préoccupé par les codes invisibles nés d’un refoulement du passé ou de la culture de masse, lesquels conditionnent le social, le politique et l’intime, l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière s’applique dans ses œuvres à détourner des formes familières afin de révéler au spectateur les filtres qui l’empêchent d’avoir accès à lui-même et à la réalité dans laquelle il évolue. Empruntant aussi bien aux lieux communs historico-politiques (Autodafé, 1999 ; Mommy, 2013), aux films de genre (Agromorphobia, 2001), aux visites audioguidées (Bienvenue à – (une ville dont vous êtes le touriste), 2005), aux jeux en ligne (Nom de domaine, 2012), au culte des célébrités (Félicité, 2007) ou encore auxconcerts de musique populaire (Chante avec moi, 2010), il travaille essentiellement à déstabiliser l’horizon d’attente du public pour recadrer ses perceptions du réel. Ce travail relève souvent d’une attitude transgressive par rapport à l’acte théâtral lui-même comme dans Projet blanc (2011), un commentaire (très) critique transmis clandestinement pendant une représentation de L’école des femmes au Théâtre du Nouveau Monde. Récemment, on a vu au Théâtre d’Aujourd’hui sa pièce Ennemi public et, sous sa direction, 26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens.En 2014, il remporte le prix Siminovitch, la plus haute récompense en théâtre au Canada.
Section vidéo
Décor, costumes et accessoires Elen Ewing
Lumières et vidéo Gonzalo Soldi
Conception sonore Éric Forget
Assistance à la mise en scène Camille Gascon
Photo Jean-Claude Coulbois
Création au Festival TransAmériques, Montréal, le 31 mai 2015
Durée : 1h45
Une coproduction de L'ACTIVITÉ et du Festival TransAmériques
Dates antérieures
Présenté lors du Festival TransAmériques 2015
Gens du pays ?
Après avoir remporté un vif succès lors de l’édition 2015 du Festival TransAmériques, le spectacle Polyglotte, mis en scène par Olivier Choinière et Alexia Bürger, reprend l’affiche aux Écuries à Montréal.
Le théâtre de Choinière adopte toujours des formes éclatées pour poser un regard critique sur la situation sociale et politique du Québec. Profitant du multiculturalisme qui caractérise le quartier Villeray/St-Michel où est situé le théâtre, les metteurs en scène sont entrés en contact avec des immigrants installés depuis peu à Montréal pour savoir comment ils percevaient leur pays d’accueil.
Neuf personnes provenant de pays aussi variés que la France, Haïti, le Mexique ou l’Inde ont accepté de se prêter au jeu et de raconter une partie de leur histoire. C’est à partir de ces récits personnels que le spectacle a trouvé sa forme, rappelant d’ailleurs le rôle social premier du théâtre. On y retrouve notamment des extraits de discours politiques, des images d’archives et des extraits d’entrevues avec les artistes.
À partir de disques de conversation bilingues datant des années 1960 et 1970, enregistrés par Henri Bergeron à l’intention des immigrants qui voulaient en connaître davantage sur le Canada, Choinière et Bürger mettent en scène un examen de citoyenneté aux allures de cérémonie orchestrée par un Big Brother invisible. Sans adopter un ton moralisateur, Polyglotte donne une bonne leçon de conscience aux Québécois « de souche » dans la salle.
Impossible de ne pas se sentir concernés quand une femme haïtienne raconte qu’au lendemain de la mort de Jean-Claude Duvalier, des gens l’invitaient à retourner dans son pays, puisque « la menace était maintenant terminée ». Enjoués lorsqu’ils devaient identifier à voix haute les politiciens dont le visage était projeté sur des pancartes, les spectateurs étaient beaucoup plus réservés lorsqu’est venu le temps de chanter le « Ô Canada » ou encore de prêter allégeance à la reine Elizabeth II. Olivier Choinière poursuit ici un exercice sur la docilité et l’endoctrinement qu’il avait amorcé avec Chante avec moi, alors qu’une cinquantaine de comédiens récitaient inlassablement la même chanson pendant plus d’une heure. Jusqu’où les spectateurs sont-ils prêts à aller pour ignorer leurs valeurs, sous prétexte qu’ils doivent entrer dans le jeu qui leur est proposé?
Polyglotte donne lieu à beaucoup de moments aux allures humoristiques, mais qui renferment tous un second degré qui provoque un rire jaune : la leçon de récitation de sacres à partir de phrases tirées de l’actualité de la grève étudiante et des discussions sur la charte des valeurs ; la pratique de lancers frappés au hockey à laquelle les filles ne sont pas conviées ; le doublage d’une scène de la série Unité 9 transformée en récitation des provinces et des territoires canadiens ; la projection du visage de Philippe Couillard prononçant un discours sur l’immigration sur la tête de la comédienne Mireille Tawfik déguisée en reine d’Angleterre ; le test de compréhension où les aspirants canadiens devaient résumer des textes racontant des épisodes embarrassants de l’histoire. Ce qui frappe toutefois, c’est l’enthousiasme des immigrants, qui détonne avec le désenchantement que l’on vit comme Québécois face à l’american dream qu’on leur laisse miroiter.
Mention spéciale à la fin du spectacle, alors que sur l’air de la berceuse « Ferme tes jolis yeux », interprétée par Chantal Pary, le public est invité à sortir de la salle et à admirer une reconstitution de la rencontre entre Jacques Cartier et les Amérindiens par les neuf nouveaux arrivants. Immanquablement, on ressort du théâtre avec un goût amer en bouche…