C’est l’histoire d’un village du Nord, d’une région dont le gouvernement a un beau jour décidé de signer l’arrêt de mort. Ses habitants, son ours et ses outardes décident de kidnapper le ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Occupation du territoire pour le planter dans un champ de navets à dix-sept heures de la Capitale, dans l’espoir que le premier ministre écoutera enfin ce qu’ils ont à dire. Une réflexion sur les choix politiques à faire pour préserver le sens du mot «pays», racontée dans une langue boréale.
Assistance à la mise en scène Anne-Sara Gendron
Scénographie et costumes Érika Schmitz
Éclairages Lyne Rioux
Conception sonore Ludovic Bonnier
Photo Christian Leduc
Plein tarif : 27 $
30 ans et moins, membre de l’AQAD ou de la FADOQ, détenteur d’une carte Accès Montréal : 24 $
65 ans et plus : 23 $
Travailleur culturel, abonné à JEU, Liberté et TicArtToc : 22 $
Étudiant : 19 $
Groupe (15 personnes et plus) : 19 $
12 ans et moins : 17 $
Une production Théâtre Les Porteuses d'aromates et Théâtre du Tandem
Ce n’est une nouvelle pour personne : en dehors des grands centres et de leurs banlieues étendues, la survie de petites communautés en région éloignée ne tient souvent qu’à un fil. Elle-même native d’Abitibi-Témiscamingue, l’auteure et cofondatrice du Théâtre Aux Écuries, Marcelle Dubois, propose ces jours-ci son texte Habiter les terres, dans une mise en scène de Jacques Laroche. Présentée au Festival du Jamais Lu en 2015, cette « utopie d’une révolte rurale » s’intéresse, par le biais du sort du village de Guyenne, à toute la question de l’isolement des régions.
Dans un Nord de roches et de forêts, d’ours et d’outardes, de tomates délicieuses et de navets aussi coriaces que ceux qui les font pousser, c’est toute une communauté qui voit son existence compromise par une décision prise par un ministre, à 17 heures de route de cette terre où il n’a jamais mis les pieds. Pour alerter la population sur sa situation et forcer le premier ministre à s’intéresser à eux, Guyenne toute entière décide de kidnapper le ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Occupation du territoire.
La coproduction du Théâtre Les Porteuses d’aromates et du Théâtre Tandem, à Rouyn-Noranda (où l’auteure a fait une résidence de création) a toutes les allures et le ton de la fable. Guyenne, racontée par ses habitants, aussi bien humains qu’animaux, parle un langage encré de poésie, de sapinage, de navets et d’aurores boréales. La belle plume de Marcelle Dubois, qui avait déjà charmé le public du Jamais Lu l’été dernier, trouve ici son nid dans une scénographie dépouillée qui évoque à merveille les grands espaces du Nord, mais aussi ses paysages impressionnants. Les éclairages de Lyne Rioux, qui habillent la scène, se parent des couleurs douces des aurores boréales, de nuits étoilées sur fond de ciel immense, et des lumières changeantes du jour sur les champs de navets de Guyenne. Et de belles marionnettes ajoutent au charme de l’ensemble. Un véritable enchantement pour les yeux.
Pas facile toutefois d’adhérer complètement à la proposition de Dubois tant les ruptures de ton se font nettes, entre dialogues du terroir, revendications politiques (dont un manifeste rappelant de façon habile celui d’octobre 1970) et envolées lyriques ou carrément mystiques. La mise en scène de Jacques Laroche n’adoucit malheureusement pas ces ruptures, qui font par moments décrocher, surtout lors des chœurs. L’ensemble est pourtant porté par un souffle évocateur puissant, où la beauté peut se révéler tout autant dans la démarche chaloupé d’un ours incarné par tous les comédiens en même temps (une réalisation visuellement impeccable) que dans le sous-sol de Guyenne, aux racines à l’air et acheté pour quelques dollars par le prospecteur du village.
La plus grande force de la production réside toutefois dans les échanges relevés entre le ministre (Félix Beaulieu-Duchesneau), les deux pieds littéralement plantés dans un champ de navets, et son kidnappeur, Labelle (Jean-François Nadeau). Les deux comédiens se démarquent particulièrement et incarnent avec ces personnages deux conceptions opposées du monde. Le ministre ne voit dans ce Nord trop grand et éloigné qu’une colonne de dépenses et la désertion des jeunes, l’autre y voit le garde-manger du Québec, le legs d’un père et l’identité d’un pays qu’on saigne à grands coups d’indifférence. Économie contre utopie, deux visions irréconciliables? Non, semble vouloir clamer l’auteure dans une dernière envolée revendicatrice.
Habiter les terres plante admirablement le décor d’un arrière-pays dont on oublie trop souvent la force et la richesse. Si la production ne convainc pas tout à fait, elle pointe néanmoins une lumière éclatante sur des âmes inspirantes, celles des habitants de Guyenne, et sur leur juste lutte.