Des humains dans le noir total, cellulaires fermés, écrans absents. Une pause d’images et de leur bombardement constant qui fait qu’on n’arrive plus à distinguer ce qui a du sens de ce qui n’en a pas.
Des mots, de la musique et du son qui torchent. Deux artistes et un public dans une intimité presque gênante. Les textes anonymes rassemblés dans Fuck toute, glanés en particulier sur la blogosphère, ne s’attaquent pas aux « problèmes » de notre société, mais à sa triste absurdité. Ils s’en gaussent jusqu’à la moelle. Que faire avec le manque de sens? D’autres sens.
Ils font ressortir l’état de nos communautés qui se liquéfient dans l’atomisation des individus et dans l’obsession du travail. Leur message récurrent, sis dans un univers de mensonges, est criant de poésie : «S’attacher à ce que l’on éprouve comme vrai. Partir de là.»
Ce n’est pas une écriture pour les enfants. Il y a de la colère et du mépris à l’encontre de ces gamblers qui soumettent ciel et terre à leur maladie mentale. Alors que les appels à la poésie pullulent devant cette force mécanique qui écrase tout au nom du profit, Dorion et Campagna ont déniché les paroles les plus défoulantes, les plus bandantes, celles qui ajoutent un sexe à cette poésie. Ce sexe, c’est la colère cousue de tendresse qui se réveille en nous. C’est elle, ici, aujourd’hui, qui fait tenir nos rêves debout.
Textes Blogues Fuck le monde (Simon-Pierre Beaudet), Catherine Dorion, Comité invisible, le Blog Flegmatique d'Anne Archet, Mathieu Campagna et Pensées pour jours ouvrables
Adapation, mise en scène, conception et interprétation Catherine Dorion et Mathieu Campagna
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Andrée-Anne Garneau
Décor Elen Ewing
Costumes Marc Senécal
Éclairages André Rioux
Musique Mykalle Bielinski
Du mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h
Sera aussi présenté du 29 novembre au 9 décembre 2017 à Premier Acte (Québec)
ENTRÉE LIBRE
Contribution volontaire
Une production Catherine Dorion et Mathieu Campagna
critique publiée en 2016
Jusqu’au 4 décembre 2016, incluant les supplémentaires annoncées, Premier Acte nous offre la chance d’assister à la création Fuck toute, des concepteurs et interprètes Catherine Dorion et Mathieu Campagna, d’abord présentée en laboratoire à la Maison de la culture il y a quelques mois.
Ce qui distingue Fuck toute, ce qui fait sa force et son intérêt, mais aussi ce qui entrave le plaisir complet du spectateur, c’est sa forme éclatée et irrévérencieuse. Les concepteurs ont dit « fuck toute » à la forme traditionnelle et accueillent le spectateur à travers un labyrinthe de petites œuvres et de collage. L’idée est excellente et permettrait de plonger le spectateur d’entrée de jeu dans un état d’esprit réceptif, mais la taille des lieux à Premier Acte le force à revenir sur ses pas et l’amène davantage à s’interroger sur ce qu’il doit faire et où il doit aller plutôt que de se concentrer sur le contenu de ce qu’on lui présente.
Pour profiter pleinement de l’expérience, quelques conseils précieux : tout d’abord, s’habiller confortablement, car on doit prendre place sur des coussins éparpillés au sol, ou dans des chaises-hamac qui se bercent doucement. Ensuite, s’habiller légèrement : lors de la première, la chaleur dans la salle était si élevée que la concentration pouvait être difficile.
Le spectateur est ensuite invité à se départir de son cellulaire — on comprend tout de suite l’intention de dénoncer l’univers de connectivité constante dans lequel nous vivons, mais l’exercice est sans but puisqu’il n’ajoute rien de plus à l’expérience. La performance débute ensuite, dans une obscurité presque totale pour la majeure partie du spectacle, au cours de laquelle des extraits de blogues et de narration s’enchaînent, entremêlés de séquences musicales et d’extraits sonores.
Et c’est là que le contenu de Fuck toute dessert sa forme par moments. Plongé dans le noir, en tête-à-tête avec lui-même, le spectateur est entraîné dans une longue tirade contre la société de consommation excessive, contre le monde virtuel qui s’impose de plus en plus dans notre quotidien, nous coupant parfois de la réalité et de ce qui importe vraiment. Or, les moments de narration imposent un jugement au spectateur et le dirigent étroitement, impitoyablement. On juge le jugement, sans possibilité de discussion, en faisant obstruction à la démagogie par la démagogie.
Cela s’inscrit en total contraste aux moments où le spectateur est laissé libre de voguer et de construire sa pensée pendant les séquences sonores et musicales, des moments impressionnistes particulièrement réussis. Pendant ces trop rares moments, on suggère, sans rien imposer; on fait ressentir, on fait vivre. On aurait aimé que les concepteurs disent « fuck toute » jusqu’au bout, et assument entièrement la forme éclatée de leur œuvre en éliminant ou réduisant les extraits narrés, en faisant confiance à l’intelligence du spectateur.
Il ne faut pas conclure que Fuck toute est sans intérêt. Toute révolution commence par un « Fuck toute ». Ce qui est intéressant toutefois, c’est ce sur quoi cette création atypique débouche. Et celle de Mathieu Campagna et de Catherine Dorion est suffisamment dérangeante pour nous interpeller, nous faire réfléchir et nous donner envie d’aller plus loin dans une réflexion constructive.
Dates antérieures (entre autres)
Du 24 novembre au 3 décembre 2016, supplémentaires 3 décembre et 4 décembre - Premier Acte
Du 14 au 16 septembre 2017 - Aux Écuries
Du 29 novembre au 9 décembre 2017 - Premier Acte