Petite Sorcière doit aller vivre chez l’ogre. Mais comment cohabiter avec un monstre qui rêve de vous dévorer? Et comment s’en débarrasser sans devenir soi-même un monstre? Dans cette fable, le duo Bélanger-Brullemans s’amuse à tordre les codes du conte pour raconter avec un brin d’humour et quelques frissons une grande histoire de résilience et de courage.
Nini Bélanger a réussi à créer une œuvre aux multiples couches de sens et d’interprétation, une pièce complexe et complète susceptible de toucher différents publics. Sans rien nommer explicitement, la metteure en scène sème plusieurs graines que les spectateurs pourront décoder selon leur degré de maturité. Elle a relevé le pari fou de proposer deux expériences basées sur la même histoire : une fable auditive intimiste pour les spectateurs à partir de 6 ans et un thriller fantastique porté par une formidable équipe de comédiens, qui s’adresse aux spectateurs de 10 ans et plus.
Le texte de Pascal Brullemans aborde les thèmes délicats de la négligence parentale et de la responsabilité des adultes envers les plus jeunes. La forme du conte — choisie pour son fort pouvoir évocateur — et la narration à la troisième personne lui ont permis de plonger dans le vif du sujet tout en travaillant sur différents niveaux de lecture. L’environnement sonore conçu par Mathieu Doyon contribue à créer une atmosphère enveloppante et suggestive, décuplant la force des mots et éveillant l’imagination des spectateurs de tous âges. Une expérience à vivre seul ou en famille, une ou plusieurs fois!
Texte Pascal Brullemans
Mise en scène Nini Bélanger
Avec Catherine Allard, Dany Boudreault, Emmanuelle Lussier-Martinez et Gaétan Nadeau
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Chloé Ekker
Scénographie Patrice Charbonneau-Brunelle
Costumes Marilène Bastien
Conception des éclairages David-Alexandre Chabot
Conception sonore Mathieu Doyon
Conception vidéo Antonin Gougeon
Direction technique Jérémi Guilbault-Asselin
Direction de production Maude St-Pierre
Photo Jérémie Battaglia
Régulier : 27 $
Réduit* : 24 $
Étudiant et voisin** : 21 $
16 ans et moins : 15 $
Vendredi-dis-ton-prix
PETITE FORME : 15 $
PETITE FORME 14 nov. à 19 h, 18 et 25 nov. à 14 h
GRANDE FORME 14 nov. à 20 h 30,
17 et 24 nov. à 19 h, 18 nov. à 16 h
Représentations scolaires
16 et 21 nov. à 10 h (petite forme)
13 h 30 (grande forme)
Réservations scolaires à billetterie@auxecuries.com.
Rencontre-débat après la représentation du 17 nov. :
PORTRAIT DE FAMILLE : DU CONTE À LA RÉALITÉ.
Une production PROJET MÛ
Entrevue
Par Olivier Dumas
Dans deux formes distinctes Aux Écuries, Petite sorcière conjugue une dure réalité contemporaine à la magie du conte.
Sur l’affiche de la production Petite sorcière du Projet Mû, nous voyons en arrière-plan une rivière de fourrure. Sur celle-ci est posée une assiette blanche, avec de minuscules feuilles peintes en bleu pâle et en vert, dans laquelle un chat inquiet nous regarde droit dans les yeux. Juste à côté de l’assiette, trône à gauche un couteau bien aiguisé. L’image exprime le sentiment de frayeur voulu par les deux instigateurs de la création, partenaires autant dans la vie que dans le métier : Pascal Brullemans, l’auteur, et Nini Bélanger, la metteure en scène, tous les deux volubiles au Café Touski, un après-midi nuageux.
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Hansel et Gretel, presque mangés par une méchante sorcière, Rapunzel enfermée dans une tour, le Petit Chaperon Rouge avalé tout rond par un loup… L’univers du conte n’est pas tendre pour les enfants. Et le conte moderne et fantaisiste proposé ces jours-ci par Projet Mû Aux Écuries nous le rappelle de bien jolie manière.
Petite Sorcière et sa mère emménagent dans une cabane humide au fond des bois pour trouver la fleur magique qui guérira Grande Sorcière de sa très grande fatigue. Mais cette fleur n’existe pas, découvriront-elles, et Grande Sorcière un jour s’endort pour ne plus jamais se réveiller. Alors, sa fille est contrainte d’aller vivre chez un ogre, où chaque nuit, elle doit s’enfermer dans sa chambre pour éviter d’être dévorée.
Le conte écrit par Pascal Brullemans et mis en scène par Nini Bélanger prend racine dans des questionnements sur l’identité et l’autodétermination, mais aussi dans une enfance trahie par la négligence ou la cruauté des adultes. Inspiré d’un véritable fait divers, le conte se présente sous deux formes, d’abord une courte pour les plus jeunes, où le conte est essentiellement oral, et une seconde, plus longue et pour les plus vieux, où le récit devient théâtral. Bien que le texte demeure sensiblement identique, les deux formes s’avèrent bien différentes, l’une nettement plus porteuse que l’autre.
La jeune Emmanuelle Lussier-Martinez, qui incarne une Petite Sorcière résiliente et touchante, déploie de véritables talents de conteuse. Elle porte ce texte avec une sensibilité et une force débordante, dans la courte forme en particulier. Son récit y est aussi passionnant pour les petits que les grands tout en étant délicieusement effrayant. Avec quelques changements de voix et à l’aide d’un micro, elle donne vie à Grande Sorcière, sa mère, à l’ogre et au petit garçon, transforme l’espace en forêt, en château sinistre ou en refuge rassurant. La couette où elle se tient lui sert de nid douillet, de rempart temporaire contre les ombres, la frayeur et même la peur. Le public est là avec elle.
C’est avec la même intensité, mais un peu moins d’efficacité, qu’elle reprend le rôle dans la seconde forme. Cette fois, l’incarnation physique des autres personnages par des acteurs semble amoindrir la portée du récit, comme si les personnages évoqués par la narration de Petite Sorcière étaient plus attachants ou plus menaçants dans notre imagination. Il faut dire que Petite Sorcière paraît tellement vraie, tellement candide, et farouche, et authentique que l’interprétation plus appuyée du reste de la distribution nous paraît artificielle.
De même, le paysage que déploie sous nos yeux le récit de la jeune sorcière dans la courte forme, en devenant décor se fait soudain plus concret et nous impose un contexte. La silhouette sinistre du sapin de la courte forme devient un banal sapin de Noël ayant connu de meilleurs jours, le château de l’ogre se transforme en bungalow stérile. Le chat de Petite Sorcière, simple boule de poils en petite forme, perd quant à lui chaleur et ronrons en se transposant sur écran numérique. Ce que le récit laissait libre à notre imagination était bien plus imposant et terrifiant.
La grande forme ne démérite pas, néanmoins, avec des éclairages tranchants et une ambiance sonore qui prolongent la féérie inquiétante de la petite forme, et une mise en scène précise qui superpose habilement les couches, mais elle souffre de la comparaison avec la fable auditive qui la précède. En mettant bien à plat les thèmes, elle perd son pouvoir d’évocation et ne laisse plus place à l’interprétation des enjeux tragiques qui sous-tendent le texte.