Réfugié.e.s dans une "salle de prof" aussi temporaire qu'inappropriée, quatre enseignant.e.s tentent de prévenir les multiples turbulences qui secouent leur milieu où pullulent opinions et sensibilités en tout genre. À chaque instant, tout peut s'enflammer. Seul réconfort : la photocopieuse est toujours là et elle fonctionne... pour l'instant.

Intégrer le remplaçant.
Chercher la cohésion. 
Tenter la collaboration. 
Redéfinir le noyau. 
Donner un gros coup de pied au photocopieur. 
Refuser l’aide non sollicitée. 
Mettre la contemplation à l'index. 
Foncer dans le tas. Bref, se mettre en mouvement. 
Faire réparer le photocopieur. 
Avoir des opinions divergentes. 
Partager néanmoins le ventilateur. 
Organiser un party de bureau. 
Vouloir faire à sa tête. 
Avoir besoin de faire à sa tête. 
Se mettre les doigts dans le ventilateur question d’équilibrer avec le coup de pied au photocopieur.

Peu importe le milieu de travail.

Y'aura toujours quelqu'un pour t'emmerder
Pour t'exercer le « politiquement correct »
Surtout quand jour après jour tu te démènes à former des humains en devenir.

Texte Rébecca Déraspe
Mise en scène Annie Ranger
Avec Solo Fugère, Xavier Malo, Marilyn Perreault et Klervi Thienpont

Quand une école devient un terrain miné où on prie pour qu'aucun élève ne lève la main, risquant par une question apparemment anodine de déclencher un tsunami de rébellion. Quand un gymnase transformé en une salle de profs devient un refuge temporaire pour ces soldats du savoir plus désireux de transmettre leurs connaissances en toute sécurité que d'écouter leurs élèves. À quoi sert vraiment la leçon, dans tout ce qu'elle a d'absurdement déconnectée de la réalité? Pieds et poings liés, muselés par la peur d'une plainte, d'une perte de contrôle, d'une accusation, les professeurs n'ont plus l'espace pour tendre l'oreille à la souffrance, aux espoirs et aux désillusions de la jeune génération.

Crédit photos : Eugène Holtz

Faire la leçon, la nouvelle production du Théâtre I.N.K., parle avec humour d'écoanxiété, d'angoisses de performance, de rectitude, de dépression aussi bien chez les élèves que chez les enseignants. Mais dans cette salle de profs devenue abri fragile, il est surtout question de ce que traversent au quotidien quatre hommes et femmes, dans leur vie personnelle ou professionnelle, et doivent dissimuler aux yeux des autres par crainte de tout ce que ça pourrait entraîner.

On pourrait croire le sujet déjà mainte fois traité, mais Faire la leçon se démarque grâce à l'écriture brillante de Rébecca Déraspe.

On pourrait croire le sujet déjà mainte fois traité, mais Faire la leçon se démarque grâce à l'écriture brillante de Rébecca Déraspe. L'auteure, de son propre aveu, avançait en territoire inconnu avec l'écriture scénique très physique de I.N.K. et de la metteure en scène Annie Ranger. Le mariage est heureux puisqu'il donne naissance à quatre personnages forts, proches du stéréotype sans l'être totalement. Leur énergie unique, qui transpose en geste leurs émotions, transmet bien au public leurs angoisses, leurs incertitudes et leur passion (qui n'est pas toujours celle de l'enseignement...).

La pièce soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses, mais il est intéressant de voir pour une fois les professeurs au centre de l'attention face à une jeunesse évoquée, jamais montrée. La pièce évite aussi habilement de verser dans la critique des écoles publiques, de leur vétusté et de leur manque de moyens pour mieux parler de l'être humain.

Qu'ils soient prof d'éthique armé de nombreuses formations générales, prof de français cachant son alcoolisme, prof d'anglais venu d'une lointaine région ou prof de science déterminé à faire comprendre l'importance du consentement, ils sont tous dans la même galère. Leurs interprètes, Klervi Thienpont, Marilyn Perreault, Solo Fugère et Xavier Malo, jonglent avec aisance entre moments plus humoristiques autour d'un ventilateur ou d'une photocopieuse qui fonctionnent encore (pour l'instant) et confidences sensibles. Celles-ci sont d'autant plus touchantes qu'elles sont soulignées par des corps en mouvement qui disent les choses que les paroles se refusent à avouer, qui parlent de fragilité, mais aussi de conviction.

Le spectacle propose un microportrait d'une société frileuse qui craint la prise de parole et l'indignation ou ne sait comment l'exprimer. Une société qui craint sa jeunesse comme un ennemi intérieur, tout en la traitant de molle, d'indisciplinée, de désintéressée. Cette jeunesse que les professeurs de Faire la leçon fuient d'abord finit pourtant par les inspirer à prendre position, à s'engager et à assouplir leur devoir de réserve dont ils se servaient comme d'un bouclier. C'est une invitation à repenser l'école en termes d'ouverture et d'acceptation.