Sur le plateau, au milieu de trois tonnes de vêtements au rebut, cinq splendides danseurs à l’énergie animale et à la gestuelle disloquée entourent l’actrice Elsie de Brauw qui incarne avec une grande charge émotionnelle une héroïne à la fois abîmée et toute-puissante. Et ce que ses mots peinent parfois à exprimer, les corps le disent de façon sidérante.
« Rien de ce qui est humain ne lui est étranger. » On le dit de Bach, ici chanté par des sourds, on pourrait le dire d’Estamira, femme vivant dans un dépotoir à Rio de Janeiro, figure centrale d’un documentaire éponyme de Marcos Prado; ce sont les deux œuvres qui ont servi de matériau de base à la création du spectacle. On pourrait le dire aussi d’Alain Platel : ceux qui ont vu Iets op Bach, Allemaal Indiaan ou Gardenia savent à quel point le chorégraphe a le génie de débusquer, au cœur de ce qui est qualifié de laid, déviant ou discordant, la beauté, la vitalité et la plus touchante humanité.
Section vidéo
Dramaturgie Hildegard De Vuyst, Koen Tachelet
Conception musicale et sonore et musique additionnelle Steven Prengels
Lumières Carlo Bourguignon
Son Bartold Uyttersprot
Scénographie Alain Platel, les ballets C de la B
Costumes Teresa Vergho
Durée : 1h25
En marge des spectacles - Entretien avec l'équipe de Tauberbach - 3 juin
Classe de maître
Mercredi 3 juin, 11h
École de danse de QuébecÀ l’occasion de la présentation du spectacle tauberbach, mis en scène par le chorégraphe Alain Platel, la compagnie Les ballets C de la B tient une classe de maître pour les interprètes professionnels en danse contemporaine ainsi que les comédiens et les artistes de cirque.
Pour s’inscrire, communiquez avec
L’Artère au 418 649-9088 ou à l’adresse
direction@larteredanse.ca.Quelques mots de Lisi Estaras, animatrice de l’atelier :
« De quoi sommes-nous faits? Inspirés par tauberbach, nous explorerons différents comportements et différentes conditions physiques qui constituent notre manière personnelle de répondre à cette question. »
Coût : 15 $ pour les membres de l’Artère
20 $ pour les non-membresDe 11 h à 13 h, École de danse de Québec
En collaboration avec l’Artère, développement et perfectionnement en danse contemporaine
Un spectacle de Münchner Kammerspiele, Les Ballets C de la B
Coproduction NTGent, Théâtre National de Chaillot (Paris), Opéra de Lille, KVS (Brussel), Torinodanza, La Bâtie – Festival de Genève
Le spectacle est présenté en collaboration avec le Festival TransAmériques (FTA).
Grand Théâtre de Québec, Salle Louis-Fréchette
269, boul. René-Lévesque Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par David Lefebvre
vous pouvez aussi lire la critique de Pascale St-Onge, en cliquant ici
Pour un soir seulement, après quelques représentations au FTA à Montréal, le Münchner Kammerspiele et les Ballets C de la B ont offert aux festivaliers du Carrefour leur plus récent projet, tauberbach. Né du désir de collaboration entre la comédienne Elsie de Brauw et Alain Platel, tauberbach s’inspire du documentaire Estamira de Macros Prado, sorti il y a une dizaine d’années, qui se penche sur le cas exceptionnel de cette femme schizophrène vivant dans un dépotoir près de Rio de Janeiro qu’elle ne veut pas quitter. S’ajoute au récit la musique du compositeur Artur Zmijewski, une trame sonore qui donne son nom à la pièce, soit tauberbach, qui signifie « Bach chanté par les sourds ». Ces deux points de départ permettent à de Brauw et Platel d’explorer le monde de la schizophrénie, vu de l’intérieur et de l’extérieur.
La maladie mentale est au cœur de la création, dans sa forme et son fond, dans les moindres gestes des danseurs et les mots de la comédienne. Estamira, interprétée par de Brauw, de sa voix rauque et caverneuse, dialogue avec une voix hors-champs, basse - sa conscience, son double ou une figure divine -, qui l’invective, la berce de mots tendres (auxquels elle répond farouchement « my ear is not a toilet ») ou répète ses dernières paroles. Autour d’elle, la végétation s’active doucement (sur le classique Suite pour orchestre no 3 "Air"), cherchant à atteindre le soleil ; les animaux se faufilent dans la tonne – littéralement – de vêtements qui jonchent tout le sol et les enfants viennent aussi faire leur tour. La langue d’Estamira passe de l’anglais à une langue totalement inventée, mais véritable, que la comédienne a appris par cœur à partir du documentaire.
La chorégraphie de Platel, organique, se veut tout aussi ludique que contrastée : résultat de nombreuses heures d’improvisation, elle touche au primal, au juvénile, à l’imperfection, à la laideur, à l’émotion. Les dichotomies sont nombreuses, explorant entre autres la douleur et l’affection. L’une des scènes les plus significatives du spectacle oppose Estamira et les créatures (fictives ou réelles) autour d’elle, qui se touchent, se battent, s’entremêlent, alors qu’elle clame qu’elle est parfaite comme elle est et qu’elle n’est pas en accord avec la vie (I do not agree with life). Elle tombe ensuite dans un état de décompensation : on assiste à la psychose du personnage, alors que son corps, par l’entremise des danseurs, se démembre, se compartimente. Elle hallucine le son d’une mouche devenir la voix d’un encanteur, ses membres se liquéfier, elle sombre dans une baise féroce qui l’éloigne autant qu’elle l’approche de son compagnon. Puis, elle fout le feu à « tout ceci », son corps, la décharge, l’univers, et se purge d’elle-même pour reprendre le contrôle, pour survivre.
La musique de Bach vient bercer et propulser les danseurs et les émotions ressenties par Estamira. Certains moments musicaux sont d’ailleurs d’une beauté et d’une pureté inouïe, entre autres lorsque que le groupe interprète ensemble, a capella, des chants de type liturgique ou chorale, comme Es ist genug ou Jesu der du meine Seele. Les extraits du Tauber Bach Choir viennent solidifier ce sentiment de contraste omniprésent, représentant ici le mariage de l’horrible et de la splendeur.
Les danseurs Bérangère Bodin, Elie Tass, Lisi Estaras. Romeu Runa et Ross McCormack sont simplement sensationnels, en solo comme en groupe. Mention spéciale à Runa, totalement en possession de son corps qu’il manipule comme une marionnette grotesque.
tauberbach transcende la laideur, la folie, la violence, le self-control pour parler d’humanité, de liberté et de ses limites. Et de nous aussi : les détritus qui sont en fait des vêtements ne sont-ils pas une critique de notre monde de consommation effréné?