Après trois triomphes au FTA, dont le bouleversant Gardenia en 2011, les ballets C de la B reviennent avec tauberbach. Distordant les corps et le réel pour en extraire la substantifique sensibilité et l’intrinsèque beauté, le génial Platel y livre une saisissante métaphore d’une société schizophrène à sauver du désastre.
Cinq tonnes de vêtements éparpillés où grouille une intrigante faune, une femme qui converse avec l’univers, un enregistrement de Bach chanté par des sourds. Un monde de pulsions et de désirs que le metteur en scène et chorégraphe Alain Platel orchestre magistralement pour exalter la formidable capacité des humains à survivre dans des conditions extrêmes. Estamira, passionaria d’une marginalité revendiquée, oscille entre folie rageuse et besoin viscéral de paix. Fragiles, hallucinées, allègrement désinhibées, des créatures animent follement ce dépotoir où elle vit. Quête partagée de tendresse, de transformation, d’élévation. Espaces conquis d’harmonie et de recueillement. La situation semble désespérée, mais tout n’est pas perdu.
Les pieds dans la marge
Quand, en 1984, il fonde les ballets C de la B avec un groupe d’amis et de parents, le Flamand Alain Platel transpose dans le monde des arts de la scène l’humanité et l’intérêt pour la différence qu’il a d’abord manifestés comme orthopédagogue. Créateur autodidacte libre de tout formatage, il ouvre son collectif à toutes les disciplines artistiques et y accueille des chorégraphes de la nouvelle vague belge. Réunissant sur scène une diversité d’acteurs, de danseurs et de musiciens, professionnels et non-professionnels, il dérange et émeut avec les univers décalés d’œuvres extravagantes comme Bonjour Madame…, au programme du FIND en 1995, et Moeder en Kind aux Coups de théâtre en 1996, Bernadetje, avec ses adolescents et ses autos tamponneuses, Wolf et ses 14 chiens ou Allemaal Indiaan (FTA, 2001), avec ses conflits familiaux dans un petit immeuble.
Situant ses créations dans un contexte social précis, le metteur en scène-chorégraphe valorise les exclus de toutes sortes, s’inspirant du handicap physique et de la maladie mentale pour exprimer, par le corps, des sentiments et des états d’âme trop forts pour les mots, comme la peur, la douleur et la compassion. En 2006, vsprs marque un virage vers une plus grande introspection et la construction de mondes souvent plus archaïques où certaines forces dépassent l’individu. Suivront, notamment, Out of Context – For Pina et C(H)ŒURS, qui creusent le travail du spasme et du son, patent dans tauberbach. Cette dernière œuvre s’inspire, comme Gardenia (FTA, 2011), d’une histoire vraie. Pareillement à Iets op Bach (FTA, 1999), elle met à l’honneur JS Bach, le compositeur préféré de Platel, en exaltant cette fois une beauté là où l’on ne l’attend pas.
Section vidéo
Dramaturgie Hildegard De Vuyst, Koen Tachelet
Conception musicale et sonore et musique additionnelle Steven Prengels
Lumières Carlo Bourguignon
Son Bartold Uyttersprot
Scénographie Alain Platel, les ballets C de la B
Costumes Teresa Vergho
Rédaction Fabienne Cabado
Création au Münchner Kammerspiele, Munich, le 17 janvier 2014
Durée : 1h25
Tarif régulier :
60$ / 50$
30 ans et moins :
50$ / 40$
65 ans et plus : 53$ / 43$
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Entretien avec Alain Platel (voir site FTA)
Coproduction en étroite collaboration avec NTGent et avec Théâtre National de Chaillot (Paris) + Opéra de Lille + KVS (Bruxelles) + Torinobanza + La Bâtie - Festival de Genève
Une présentation avec le soutien d'Hydro-Québec en collaboration avec le Carrefour international de théâtre (Québec)
Salle Ludger-Duvernay du Monument-National
1182, boul. Saint-Laurent
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Pascale St-Onge
vous pouvez aussi lire la critique de David Lefebvre, en cliquant ici
Une immense pile de vêtements, à l’image d’un dépotoir d’Amérique du Sud où vit une femme : Estamira. Les danseurs et la comédienne se tiennent debout dans ce paysage saisissant ; première image du spectacle Tauberbach, signé Alain Platel. Le chorégraphe belge, en collaboration avec la comédienne Elsie de Brauw, s’inspire d’airs de Bach chantés par des personnes sourdes, mais aussi du documentaire biographique de Marcos Prados autour de cette femme prise entre le désir de quitter ce dépotoir et celui d’y rester.
Une multitude de courts tableaux se succèdent dans ce décor simple, mais grandiose. Cette femme de caractère dialogue avec une voix anonyme qui la provoque et l'insulte. Devant nous, par la présence indispensable des autres interprètes, la vie défile, transposée dans un dépotoir où la déchéance et la désolation devraient surplomber le reste, mais il n’en est rien. Tour à tour, le public assiste à des relations de pouvoir, à de la séduction, à des jeux. Il y a la guerre, la destruction, mais aussi la renaissance. Nous observons un groupe d’indésirables dans tout ce qu’ils ont de plus beau à offrir au monde ; les propositions sont si multiples que le spectateur manque d’yeux pour tout voir.
Cet univers dur et toute sa violence n’auront jamais été dépeints avec autant de délicatesse et d’élégance, et c’est là le grand talent de Platel. Si les tableaux sont inégaux et que, parfois, la trame de l’ensemble n’est pas aussi claire qu’elle le devrait, c’est un concert d’images d’une grande beauté. Pourtant, la laideur et la maladresse des hommes ne sont pas reniées. Elles répondent à ce qui ressort de la trame musicale : ces voix de gens sourds qui tentent de chanter l’un des plus grands compositeurs de l’histoire, laissant à nos oreilles un grand trouble. Tellement, que le spectacle ramène une grande question sur la table : « L’art se doit-il d’être beau ? » Visiblement, selon Platel, cette laideur chez les gens est inspirante et devient source de lumière dans son travail. Tauberbach se termine malgré tout sur une note d’espoir presque naïve, nous laissant rêveurs à la sortie de la salle.