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Carrefour international de théâtre - 24 mai 2016, 20h, 25 et 26 mai 2016, 19h
Cendrillon
Bruxelles
Tous publics à partir de 8 ans
Texte et mise en scène Joël Pommerat
Interprètes Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Marcella Carrara, Julien Desmet, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Nicolas Nore, Deborah Rouach

Qui ne connaît pas Cendrillon? Conte populaire inscrit dans notre mémoire collective, dont les versions les plus répandues sont celles de Charles Perrault et des frères Grimm, il a donné naissance à d’innombrables adaptations plus ou moins heureuses, récits, ballets, opéras, comédies musicales, sans oublier, bien sûr, le long métrage d’animation des studios Walt Disney, et plus récemment, le film de Kenneth Branagh.

Joël Pommerat, un des plus grands auteurs et metteurs en scène du théâtre contemporain, réinvente le mythe avec une fidélité, une sensibilité et une liberté sidérantes. Tout en préservant le souffle profond de l’histoire et ses éléments clés, il la réécrit de fond en comble, la débarrassant de son côté mièvre pour en faire un puissant récit tout à fait actuel, brillant, férocement drôle, à la fois tendre et cruel, sombre et lumineux.

Porté par une prodigieuse distribution d’acteurs belges, le spectacle a été présenté près de 400 fois depuis sa création à Bruxelles en 2011, devant des publics unanimement ravis, récoltant partout les éloges enthousiastes de la critique. « Un enchantement », « Une merveille », « Un chef-d’œuvre », « Un miracle ». Il se pose enfin à Québec… pour trois soirs seulement!


Scénographie et lumières Eric Soyer
Assistant mise en scène Pierre-Yves Le Borgne, Philippe Carbonneaux (en tournée)
Assistant lumières Gwendal Malard
Costumes Isabelle Deffin
Son François Leymarie
Vidéo Renaud Rubiano
Musique originale Antonin Leymarie
Habilleuse Nathalie Willems
Décor et costumes Ateliers du Théâtre National
Construction Dominique Pierre, Pierre Jardon, Laurent Notte, Yves Philippaerts
Costumes Nicole Moris, Isabelle Airaud, Muazzez Aydemir, Nalan Kosar, Gwendoline Rose, Catherine Somers et
Nathalie Willems (stagiaire)
Perruques Laura Lamouchi
Décoration Stéphanie Denoiseux
Photo Cici Olsson

Durée 1h40

En marge des spectacles :
Entretien avec les artistes, mercredi 25 mai

Achat à l'unité : 48$
* Taxes et frais de service inclus

Cendrillon est publié aux Éditions actes Sud-Babel et actes Sud-Heyoka Jeunesse, illustrations Roxane Lumeret

ACTIVITÉS SATELLITES

Les contes de fées : inspiration pour le théâtre

Table ronde Jeudi 5 Mai  |  19h Librairie Laliberté

Réflexion sur les personnages de Cendrillon, Le Petit Chaperon rouge (Peepshow) et Alice au pays des merveilles (Murmures des murs).

Avec, entre autres, Angèle Delaunois, éditrice, et Marcel Gaumond, psychanalyste
Animation Isabelle Carpentier, adjointe à la programmation du Carrefour
En collaboration avec la Librairie Laliberté

Production Théâtre National de la Communauté Française de Belgique
Coproduction La Monnaie/De Munt.
Collaboration Compagnie Louis Brouillard


CarrefourThéâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne

 
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Critique

C’est un spectacle hautement attendu et espéré depuis quelques années, autant par le public que par la direction du festival, qui ouvre les festivités de la 17e édition du Carrefour international de théâtre de Québec. Cendrillon, troisième transposition théâtrale pour jeune public d’un conte traditionnel signée Joël Pommerat, après Le petit Chaperon rouge et Pinocchio, a dépassé à ce jour les 400 représentations depuis sa création en 2011. Partout où elle passe, la pièce récolte les éloges, et ce, avec raison. Tout aussi fidèle que libre et audacieuse, cette adaptation d’une superbe modernité étonne, émeut, charme et fait frémir tout à la fois.


Crédit photo : Cici Olsson

Pour ses créations destinées aux adultes (pensons à Les marchands [2009] ou La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce [2011]), l’homme de théâtre (qui a raflé, d’ailleurs, quatre prix Molière lors de la plus récente Nuit des récompenses du théâtre privé et public français) invente des fictions en subvertissant le réel. Pour ses pièces jeune public, il conserve plutôt une simplicité dans la narration, mais s’amuse à triturer et à manipuler le côté fabuleux du récit pour aborder des thèmes qui touchent tous les spectateurs, du plus petit au plus grand. Il dit d’ailleurs faire une distinction nette entre « les histoires d’enfants » et « les histoires pour les enfants ». Avec Le petit Chaperon rouge, Pinocchio et Cendrillon, il n’imite pas, n’abaisse pas faussement le niveau de langage ou de compréhension pour le public moins âgé : il raconte la vie telle qu’elle se présente, aussi belle que cruelle.

Grâce aux personnages et à l’histoire de Cendrillon, rendue célèbre grâce à Perreault, aux frères Grimm ou même à Disney, Pommerat aborde de front des thèmes durs : la mort, le déni et le poids du deuil, le vide causé par la perte d’un être cher, l’importance factice des apparences, les (fausses) illusions et le pouvoir des mots, qui peuvent être « aussi utiles que dangereux, voire catastrophiques ». Mais « les erreurs ne sont pas toujours inintéressantes » et peuvent engendrer des histoires dignes d’être racontées.

Pommerat s’amuse à confondre les codes du conte et ses éléments de base archiconnus en les modernisant, les mélangeant, les opposant, les comparant entre elles : la narration s’éloigne de la voix réconfortante et habituelle, épousant les notes d’un accent étranger ; le narrateur, silencieux sur scène, « signe » de tout son corps et transforme les mots en gestes. La mémoire de la narratrice flétrit, se perd, venant à l’encontre de la nature même du conte qui défiait le temps, légué de bouche à oreille, de génération en génération. Le décès de la mère n’est plus simplement que l’élément perturbateur du récit : il en est le moteur, puis la source d’une certaine délivrance. Les mots mal interprétés par la jeune fille, murmurés par la mère lors de son dernier souffle, hantent Cendrillon, l’emprisonnant dans une mémoire contraignante. Comprenant – à tort – qu’elle doit toujours penser à sa mère pour qu’elle reste en vie, la jeune fille, au détriment de sa propre vie, de sa propre condition, s’oblige à avoir son image en tête, peu importe l’heure du jour ou de la nuit, aidée par sa montre qui sonne sans cesse. Elle (Sandra, Cendriller, puis Cendrillon) subit tout, mais accepte tout châtiment et tous les travaux de la maison, sans broncher, se faisant croire que « ça lui fera du bien » et que, de toute façon, elle ne mérite pas mieux. La belle-mère devient alors son contraire : elle « agit », ne se sent pas considérée à sa juste valeur, met la faute sur tout et chacun. La rencontre entre le prince – qui voit son mythe complètement et joyeusement déboulonné – et la jeune fille ne se fait pas lors d’une valse, mais au cours d’une chanson (Father and Son, de Cats Stevens), superbement interprétée par le prince lors de son anniversaire. La Fée Marraine fume et tente quelques tours de magie appris dans les livres, plutôt que d’user de ses pouvoirs « parce qu’au moins ça rate de temps en temps ». Ou encore, le soulier en vair - ou de verre, selon les versions - prend la forme du cuir, alors que c’est le prince qui laisse sa chaussure à la jeune fille, en souvenir de leur rencontre.

Une boîte à rêves où l’implacable réalité sévit


Crédit photo : Cici Olsson

Les personnages évoluent toujours dans une certaine obscurité, à l’intérieur d’une immense boîte noire souvent vide de tout accessoire ; une boîte à rêves où l’implacable réalité sévit. Projetées sur toute la surface des murs, des images réelles ou abstraites, animées ou statiques, donnent à l’environnement visuel une esthétique cinématographique surréelle, alors que la pénombre, lors de certaines scènes, crée une sensation de claustrophobie, de fermeture, autour des personnages. La trame sonore, inventive, emprunte allègrement à plusieurs styles et différentes époques. Le violoncelle se fait inquiétant, alors que les instruments à vent sont plus légers ; la mélodie enfantine rappelle le conte, alors que l’électro, qui se fait entendre lors des bals du roi, nous ramène à la réalité du 21e siècle.

Le langage peut être direct, cru, violent – la marâtre, cinglante, ne mâche pas ses mots envers son futur mari et la fille de celui-ci. Certaines scènes, terriblement réussies, sont horrifiantes, alors que d’autres font réellement éclater de rire. Avec sa voix enfantine, son côté frêle, mais déterminé, Deborah Rouach nous fait croire à cette gamine et nous la présente sous un tout autre jour. Catherine Mestoussis interprète avec une touche d'humanité cette belle-mère sévère, cruelle, acariâtre : ses réactions intenses et maladroites sont celles d’une femme face à sa propre terreur de vieillir.

Il y aurait tant de choses à dire, à analyser, sur le théâtre de Pommerat... Sa relecture de Cendrillon est une expérience saisissante, surprenante ; la barre est bien haute pour la suite de la programmation du festival.

25-05-2016