Qui n’accumule pas dans ses carnets, dans ses cartons et dans sa tête une multitude d’idées, d’esquisses et d’intentions attrayantes pourtant abandonnées dans leur essor ? Collection de projets inaboutis mêlant le théâtre au réel, l’autobiographique à la fiction, Non Finito parle de tous les rêves jamais réalisés qui continuent de nous hanter. Comment peut-on se délivrer de leur poids alors qu’ils encombrent nos esprits et nourrissent en nous une sournoise culpabilité ?

Entourée de son équipe d’artistes, professionnels ou non, Claudine Robillard se commet et passe aux aveux. Armée d’une attachante sincérité et de beaucoup d’autodérision, elle détaille d’abord la liste des désirs inassouvis et des plans laissés en jachère qu’elle emmagasine depuis son enfance. Puis, elle déploie toutes sortes de stratégies visant à vaincre sa propension à butiner d’une entreprise à l’autre sans les mener à terme. Dans un espace scénique en perpétuelle transformation, allégorie de son cheminement, elle en découd avec ses obstacles intérieurs et avec la démesure paralysante de ses ambitions. Mais si la valeur des idées résidait finalement plus dans les chemins qu’elles labourent que dans leur aboutissement ?

Dans une société qui valorise la productivité à outrance et où le résultat final est l’ultime symbole de la réussite, Non Finito évoque les chimères de l’accomplissement et célèbre la beauté de l’inachèvement. Au service de la vie, de ses ratés et de ses possibles, le spectacle résonne en chacun de nous et devient une sorte de rituel de libération collectif qui s’avère joyeusement salutaire.

Texte collectif
Idéation et direction artistique Anne-Marie Guilmaine et Claudine Robillard
Mise en scène Anne-Marie Guilmaine
Avec Evangelos Desborough, Abolfazl Habibi, Niloufar Khalooesmaeili, Jonathan Morier, Claudine Robillard et Richard Touchette

lire la critique publiée lors de la création en avril 2017 Aux Écuries

La comédienne Claudine Robillard a déjà voulu faire un herbier. Avec sa cousine, elle a minutieusement ramassé feuilles et fleurs, mais n’a finalement jamais réalisé l’herbier en question. Il en va de même pour son désir de devenir pianiste, gymnaste ou, encore, de reconquérir son amour de jeunesse. Elle est habitée par tous ces projets qu’elle n’a pas encore accomplis, qui sont parfois toujours dans sa banque à idées, ou parfois devenus désuets avec le temps. Non Finito, c’est à la fois le parachèvement et la réconciliation avec tous ces projets inachevés.

Crédit photos : Jonathan Lorange

La pièce débute avec la comédienne qui nous raconte des souvenirs dans une ambiance intime. Sans lourdeur ou apitoiement, elle raconte toutes ces choses qu’elle a entreprises sans jamais les mener à terme. Puis, un rideau s’ouvre sur une performance entamée plusieurs années auparavant, mettant en scène Jonathan Morier. Celui-ci entreprend les cinq premières minutes d’une performance prometteuse, prisonnier d’une sorte d’aquarium géant, avant de s’interrompre et de réclamer la suite à Robillard. Juste au moment où l’on commence à ressentir cette oppression que l’on peut parfois s’infliger nous-mêmes lorsque nos projets semblent prendre des détours incongrus, d’autres rideaux s’ouvrent, telle une bouffée d’air frais, transformant toute la perspective de la salle et, même, du spectacle en tant que tel. À Claudine Robillard, se joignent alors Fazl Habibi et Niloufar Khalooesmaeili, puis Evangelos Desborough, suivit de Richard Touchette, quatre non-acteurs d’une grande générosité, qui ont eu le courage d’affronter les planches afin de raconter leurs propres histoires de rêves du futur et de projets avortés. Cette déception individuelle de ne pas avoir mené à terme un projet important devient donc universelle avec l’arrivée de ces quatre personnes, et c’est ensemble qu’ils pourront affronter leurs démons et aller au bout des choses.

Malgré un rythme plutôt monocorde et quelques longueurs dans les transitions, certaines scènes, véritables petits joyaux, viennent compenser ; que ce soit la simplicité avec laquelle la comédienne se livre au début du spectacle, le sentiment que permet de ressentir la deuxième ouverture de rideaux, ou cette scène, absolument touchante, où un homme du public vient montrer  au jeune Desborough, qui a peu connu son père, comment se raser. La scénographie de Julie Vallée-Légerest épurée. Une chaise et un écran dans la première partie, l’aquarium géant dans la deuxième, symbole de cette lutte que mène Robillard avec elle-même qui l’empêche d’aller au bout des choses, et une table avec cinq chaises dans la troisième partie. L’espace est véritablement laissé aux protagonistes afin qu’ils puissent s’accomplir sur scène. La conception des éclairages, de Marie-Aube St-Amant-Duplessis, donne vie aux différents projets ; elle octroie une touche magique à la maison idéale imaginée par Habibi et Khalooesmaeili ou installe une atmosphère rock pour le rêve de Touchette.

Non Finito est une œuvre charmante et sincère qui, malgré un petit manque de constance, saura réconcilier le spectateur avec ses propres démons de projets inachevés.