La rencontre artistique de Marc Beaupré et de François Blouin au sein de leur compagnie Terre des Hommes donne lieu à des relectures contemporaines et audacieuses de grands textes du répertoire théâtral classique. Pour leur troisième collaboration du genre – ont précédé Caligula_remix et Dom Juan_uncensored – ils plongent dans Hamlet de Shakespeare.
Dans cette adaptation très libre de la pièce, Hamlet, seul en scène, épouse un point de vue subjectif sur son propre récit et en devient le narrateur, le metteur en scène et le réalisateur. Comme dans la pièce originale, ne pouvant accepter que son oncle ait tué son père et séduit sa mère, il use de l’art pour révéler la vérité. Ici, il interprète tous les rôles, tentant inlassablement de s’expliquer l’insupportable catastrophe familiale. Assailli par le doute, talonné par la folie, il joue et rejoue autrement le déroulement de la tragédie, cherchant à la rendre plausible, à l’éclairer d’une lumière nouvelle, à y trouver un sens. Hamlet, ténébreux et mélancolique, dévoile peu à peu sa version, son montage, sa vision de l’histoire.
Dans une performance d’acteur exceptionnelle, Marc Beaupré marie prodigieusement un monologue colossal à une gestuelle méticuleuse, à mi-chemin entre les arts martiaux et la pantomime. Sur un tulle translucide séparant la scène de l’assistance, des silhouettes mouvantes se dessinent, s’animent, se répètent en boucle, s’entremêlant les unes aux autres. Ces spectres, ces apparitions, ces dualités intérieures hantent le personnage qui dialogue avec eux. Entre Hamlet, ses doubles et ses doutes, naît une danse belle et troublante qui met en exergue son immense désarroi, sa névrose, son insondable solitude.
Texte William Shakespeare
Traduction Jean Marc Dalpé
Mise en scène et adaptation Marc Beaupré et François Blouin
Avec Marc Beaupré
Crédits supplémentaires et autres informations
Conception vidéo / éclairages / scénographie François Bliuin
Programmation créative Hugo Laliberté et Jonathan Jeanson
Direction technique Eric Le Brec'h
Conception sonore Nicolas Letarte
Dramaturgie et assistance à la mise en scène Nicolas Guillemette
Photo Benoit Beaupré
Durée 55 minutes
Rencontre après la représentation du 1er juin
Production Terre des Hommes
critique publiée en 2017 lors de la création à La Chapelle
Après avoir orchestré deux relectures éclatées de grands classiques du théâtre avec Caligula_remix et Dom Juan_Uncensored, la compagnie Terre des hommes est de retour avec une nouvelle relecture d’un classique. Cette fois, c’est à la figure d’Hamlet, à sa folie (réelle, supposée ou feinte), mais surtout au doute, que s’attarde le toujours surprenant duo de créateurs formé du comédien et metteur en scène Marc Beaupré et de l’artiste multimédia François Blouin avec Hamlet_director’s cut.
Le thème du doute est omniprésent dans cette réinterprétation du personnage shakespearien. Seul en scène, le Hamlet très physique incarné par Beaupré se fait le narrateur du moment charnière où sa vie a basculé, soit l’assassinat de son père tel que le lui a décrit le spectre de celui-ci. Hamlet/Beaupré fait office de metteur en scène tout autant que de chef d’orchestre et de comédien, se glissant tour à tour dans la peau de tous les personnages de son récit. Dans la pièce, Hamlet a lui-même recours à la mise en abyme, en écrivant une scène pour une troupe de comédiens en visite dans le but de confondre son oncle et sa mère en les mettant devant leurs actes. Sur la scène nue, Hamlet manipule la scène pour la rendre plus plausible, l’examine, la décompose. Tout comme lui, le public en vient à douter de sa perception des événements et de la manière dont ils lui sont présentés.
Cette décomposition, tant du mouvement que de l’histoire, rend la production particulièrement intéressante. C’est par une succession de mouvements, proche de la pantomime, que Marc Beaupré rejoue l’instant funeste de l’assassinat de son père, puis les scènes marquantes menant à la tragédie finale. Grâce à une technique de capture de mouvement (motion capture) réalisée en direct, chaque geste se décompose en projections sur un fin voile à l’avant-scène. En répétant le procédé plusieurs fois, Beaupré recrée autour de lui les personnages de l’histoire pour en faire ses partenaires de jeu autant que ses marionnettes, chaque geste de l’un répondant en quasi-miroir aux gestes d’un autre. La superposition et la multiplication des images puis du texte animent la scène, et les personnages composés jouent le rôle que leur attribue Hamlet dans sa fièvre. Ces présences fantomatiques, qui reproduisent la scène en boucle, ont un effet hypnotique entraînant chez le spectateur une singulière torpeur, pas loin du songe et du monde d’illusions dont s’habille Hamlet.
Hamlet_director’s cut, qui n’avait pu être présenté il y a deux ans faute de financement, a beaucoup évolué depuis, confiaient les créateurs en entrevue. Le temps leur a permis de peaufiner la technique. Néanmoins, la forme de cette production, inévitablement fragmentaire puisqu’issue de la folie supposée d’Hamlet, fait défiler l’histoire à vive allure. Le spectateur, fasciné par le ballet de lumière, flotte lui-même au milieu de cet étrange songe, témoin passif plutôt que réflexif.
Réinterprétation moderne, à la fois simple par son dépouillement et complexe dans sa réalisation, Hamlet director’s cut propose un plongeon fascinant dans l’esprit troublé du plus célèbre personnage de Shakespeare. La production, à l’esthétique irréprochable, explore la notion de doute efficacement, mais nous laisse tout de même sur notre faim.
Dates antérieures (entre autres)
Du 3 au 14 avril 2017, La Chapelle (Montréal)