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CARREFOUR 2018
Québec
Création / Théâtre participatif
28 et 29 mai, 4 et 5 juin 2018, 19h30
En français

Fusionnant la salle à la scène, Nombre est un spectacle participatif qui détourne le rôle traditionnel du public pour en faire à la fois le témoin et le protagoniste de l’expérience qui lui est proposée.

En pénétrant dans l’espace, les spectateurs reçoivent une enveloppe qui contient des consignes. Le déroulement du spectacle repose sur leur engagement à les suivre. Sans artifices, à l’écart des filtres technologiques qui teintent maintenant les rapports sociaux, ils s’approprient peu à peu l’environnement qui les entoure et apprivoisent la communauté dont ils font désormais partie. Dans un esprit ludique et sous l’oeil bienveillant des créatrices Marie-Renée Bourget Harvey, Krystel Descary, Claudiane Ruelland et Alexandrine Warren, les participants sont amenés à prendre part collectivement à la construction d’un monde qui sera fait de l’étoffe de ce qu’ils sont. Se trame alors en temps réel une dramaturgie unique et spontanée qui se réinvente à chaque séance, une fiction éphémère et émouvante faite d’une part de chacun d’eux. Tous semblent soudain unis par une multitude de connections et de liens intangibles qui s’entrelacent et forment une immense toile invisible.

On se prête aisément à ce jeu aussi simple à exécuter que captivant. En jaillit un théâtre de la vie, de l’ici et maintenant, sensible et lumineux, une expérience humaine intime et universelle qui rend hommage à la rencontre et à l’exaltante force du nombre. La représentation théâtrale s’en trouve complètement transfigurée.

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Mise en scène et dramaturgie Krystel Descary, Claudiane Ruelland et Alexandrine Warren

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Qui suis-je ? Je suis moi. Je suis spectateur. Quel est mon rôle ? En ai-je un, une fois entré à l’intérieur d’une salle de spectacle ? En quoi la présence – de corps comme de l’esprit – du spectateur est importante lors d’une représentation théâtrale ? Évidemment, sans public, point de théâtre. Mais quelle est sa fonction intrinsèque ? Et si le spectateur devenait non pas seulement l’un des acteurs de la pièce, mais fournissait en quelque sorte la matière première de la représentation en cours ?

Les créatrices Krystel Descary, Claudiane Ruelland et Alexandrine Warren, qui avouent dans le programme de la soirée avoir été totalement fascinées par Reality, des Italiens Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, oeuvre présentée au Carrefour édition 2016 qui s’interrogeait sur la perception de la réalité, ont eu le désir de monter un spectacle qui mettrait « les connexions humaines au premier plan ». Est ainsi né Nombre, jeu à saveur sociétale qui place le spectateur au cœur de l’expérience théâtrale.

Un numéro est attribué à chaque participant ; celui-ci, à l’entrée de la salle, prend une chaise et doit trouver l’espace associé à son chiffre pour y placer son fauteuil. La recherche et le tâtonnement font naître les exclamations et les discussions : rapidement, chacun passe d’un être défini par un chiffre à une personne à part entière. Une fois bien assis, les règles qui s’avèrent relativement simples sont lues à voix haute : un carnet sera remis à chacun, il faudra simplement exécuter l’action qui est écrite sur les cartons au moment opportun.

La représentation démarre. Les conceptrices, grâce aux consignes qu’elles assignent aux participants, abordent plusieurs sujets, parfois factuels, parfois plus intimes : nom, âge, numéros de téléphone, adresses, souvenirs d’enfance. Le nombre de voyageurs dans une année qui prennent l’avion. Puis, on se décrit en 10, 20, 30 secondes. Par écrit sur un grand miroir ou par terre, ou à voix haute, on avoue certains moments que l’on aimerait revivre, ce dont on ne pourrait se passer pour vivre. De fil en aiguille, de carton en carton, on perçoit ce qui nous définit, comme personne, au milieu de ce groupe d'étrangers.

Nombre aborde le passé, le présent et l’avenir, autant en rapport à l'individu qu'à la collectivité. Plusieurs questions demandent de réfléchir vite, provoquant quelques perles en guise de réponse. En groupe, on nous demande de choisir entre oui et non ; des sous-groupes se forment et se déforment au fil des affirmations (« je parle deux langues », « j’ai la foi », « je crois au destin »). On se compare, on se console. Certains moments rappellent brièvement de récents spectacles participatifs, vus aussi au Carrefour, dont Foreign Radical, ou même Game of You.

Si, durant la représentation, l’objectif du jeu peut sembler nébuleux, on devine tout de même que chaque directive, chaque réponse émise au cours de la soirée nourrit d’une manière ou d’une autre la représentation, comme un fil d’Ariane qui se tresserait au fur et à mesure du trajet. La finale viendra corroborer ce sentiment, dans un joli moment poétique, narré par une voix hors champ, avec un très bel effet de lumière à travers le miroir sans tain (Marie-Renée Bourget Harvey).

Tout au long du spectacle, le ton reste plutôt sage ; aucune question ou consigne ne provoque le malaise ou la surprise. Ainsi, tout le monde accepte de s’exécuter, participant du coup au succès de l'entreprise. Il reste que les actions manquent peut-être un peu de mordant, de folie, de réels défis pour ceux et celles qui auraient aimé oser s’investir davantage. Mais le trio de conceptrices invisible lors de la représentation - comparativement au labo présenté il y a un an - use de très belle manière de la synergie de groupe : des rencontres, foncièrement humaines, se produisent sous nos yeux, et ce, très naturellement. Après quelques répliques, quelques réponses, un lien tangible se crée entre les membres du public, qui partagent verbalement ou non des expériences, des souvenirs, des mélodies, des opinions, des craintes ou des idées. Par contre, quelques interventions en voix off auraient bien pu être lues ou livrées en direct par les individus à qui l’on demandait de rester immobiles à l’intérieur d’un carré de lumière. Un moment moins agréable pour le participant qui reste passif, scruté par le public.

Sans être transcendant, Nombre propose un moment très agréable en compagnie d’hommes et de femmes dont nous n’aurions absolument rien su en sortant de la salle, dans d’autres circonstances, rappelant ainsi que le théâtre est d’abord et avant tout une expérience collective, humaine. Les trois jeunes femmes relèvent ainsi le défi, même si l’on devine aisément que la création n’est qu’au début de son évolution.

28-05-2018

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