Dans un style oscillant entre le conte de fée déjanté, le cours d’histoire naturelle et le paranormal de série B, Mathias, 16 ans, nous présente son affreuse belle-mère Adèle, une femme qui n’a pas d’enfants et qui préfère s’approprier ceux des autres.
En s’appuyant sur les témoignages de deux autres jeunes de trois et onze ans (le Petit et la Grande), Mathias démontre que cette femme a une propension certaine à s’introduire dans les familles, à voler des pères et à traumatiser de nombreux enfants avec ses comportements particulièrement étranges.
Mais plus Mathias expose au public les raisons que les jeunes ont de craindre et de rejeter Adèle, plus celle-ci devient attachante. Pour raconter cette histoire dans laquelle les préjugés sont tenaces, les apparences monstrueuses sont parfois trompeuses et les photos de famille sont malmenées, modifiées et recomposées, le Théâtre I.N.K. a créé un véritable terrain de jeu physique et scénographique avec une multitude de cadres suspendus dans l’espace où les interprètes s’en donnent à cœur joie.
Section vidéo
Scénographie, création costumes et accessoires Elen Ewing
Assistance à la mise en scène Joëlle Tougas
Création lumière André Rioux
Création musique Laurier Rajotte
Direction artistique Annie Ranger et Marilyn Perreault
Photo Eugène Holtz
Durée 65 minutes
Production Théâtre I.N.K. (Québec)
L'Arène - Aux Écuries
7285, rue Chabot
Billetterie :
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Il y a trop de contes pour enfants, décrète d’entrée de jeu Mathias, 16 ans, et pas assez pour les adolescents. Pourtant, il y a matière à histoire, et il entend bien en faire la démonstration en nous brossant le portrait de son affreuse belle-mère, Adèle, qui n’a pas d’enfant et cherche à enjôler ceux des autres. Mathias n’est que le dernier d’une longue liste d’enfants tombés, victimes de la marâtre. Mathias le sait, il a vu leurs portraits chez sa belle-mère.
La production du théâtre I.N.K Jusqu’au sang ou presque manie à merveille le ton inquiétant, parfois même sanglant, du conte d’horreur. Dans la peau de l’adolescent, le jeune Xavier Malo (qui a le physique de l’emploi) déploie une énergie contagieuse, un concentré de détresse, de colère et de révolte. Il joue d’abord les guides zoologiques, présentant l’espèce « belle-mère » comme le ferait le narrateur d’un documentaire animalier : habitat, techniques de chasse… Mathias ne ménage pas ses efforts pour noircir le portrait d’Adèle (dans une incarnation très physique de l’auteure et comédienne Annie Ranger), nous mettant en garde contre ses manières et ses tactiques. Il la tient captive, finit-on par comprendre, la forçant à jouer dans l’histoire qu’il veut raconter.
La metteure en scène Marylin Perreault entraîne ses deux interprètes dans un ballet où les rapports de force basculent et où la violence n’est jamais bien loin. La tension sous-jacente dans les dialogues se glisse dans le moindre geste des personnages, rendant le récit captivant. La construction inhabituelle du spectacle déroute néanmoins le public, le premier quart d’heure paraissant particulièrement confus. Et il faut plusieurs minutes avant que la situation initiale se clarifie et qu’on commence à distinguer l’étrange relation entre les deux personnages. Heureusement, le conte et ses deux conteurs se révèlent suffisamment intrigants pour garder toute notre attention jusqu’au dénouement, très touchant.
L’écriture d’Annie Ranger, si elle pêche par moments en abusant de belles tournures rimées (que Malo n’a pas encore parfaitement faites siennes), use habilement de la question de la manipulation, joue de notre fascination pour l’horreur et titille notre curiosité. Qu’a fait la belle-mère de si terrible? Jusqu’où ira l’adolescent dans son jeu? Qu’est-il advenu des enfants dont les portraits forment, dans notre imagination, une galerie sinistre?
Ce petit conte cruel fait maison provoque quelques délicieux frissons, surtout en deuxième partie, lorsque l’étau se resserre autour des deux adversaires. Qui est vraiment le méchant de l’histoire? Qui est la victime? L’histoire repose sur plus d’un point de vue, laissant poindre tour à tour les peurs de l’un et de l’autre personnage. En dépit d’une mise en scène qui manque parfois de clarté et d’une écriture par moments trop bavarde, Jusqu’au sang ou presque charme par son habileté à déjouer les perceptions tout en abordant de front la question des familles éclatées puis reconstituées.