Jeux de pouvoir
Dans un face-à-face incandescent, deux acteurs s’affrontent. Impitoyablement. Ils sont le père et l’enfant, le dissident et le dirigeant, le chien aboyant rageusement envers son maître. Too Late! (antigone) contest #2 se révèle tout autant une troublante allégorie des bouleversements politiques actuels, un plaidoyer pour la justice et l’humanité qu’un extraordinaire laboratoire théâtral. Un terrible huis clos, où l’auditoire, au même niveau que la scène et l’encerclant, fait inexorablement partie de ce qui s’y déroule.
Il y a Antigone, guerrière pacifique, symbole de révolte, d’une poignante éthique de fraternité et qu’aucune menace ne saurait ébranler. Et Créon. Et son fils Hémon. Ces personnages revus par Brecht inspirent la compagnie italienne Motus, ces francs-tireurs poétiques qui présentent également Alexis. Una tragedia greca, explorant des thèmes similaires à ceux de Too Late! (antigone) contest #2, dont cette question essentielle, véhémente et viscérale : est-il trop tard pour se cabrer et changer le cours des choses ?
Enrico Casagrande et Daniela Nicolò
Artistes sans frontières
Pour la compagnie italienne Motus, il n’existe pas de frontières. Ni entre les pays, ni entre les époques, ni entre les disciplines, ni entre l’art et l’engagement social. Libres penseurs ayant parcouru les scènes du monde, la dramaturge Daniela Nicolò et le metteur en scène Enrico Casagrande, entité bicéphale à qui l’on doit la création de Motus en 1991, associent la vidéo, les installations, la poésie et la danse à leur théâtre. Ils intègrent les œuvres de leurs maîtres à penser (Splendid’s, de Jean Genet ; Théorème, de Pier Paolo Pasolini ; Preparadise Sorry Now, de Rainer Werner Fassbinder) à des productions où l’innovation artistique et la prise de position politique ne font qu’un. L’indomptable originalité et l’incontestable qualité du travail de Motus lui ont valu plusieurs distinctions, dont le convoité Prix spécial Ubu en 2002 pour le projet Rooms. L’actrice italienne Silvia Calderoni, actrice-protagoniste des spectacles de Motus depuis 2006, a aussi reçu le Prix Ubu 2009 de la meilleure actrice de moins de 30 ans.
En 2002 et en 2005, la compagnie présente respectivement CRAC et Twin Rooms à Montréal. Le FTA propose cette fois Too Late! (antigone) contest #2 ainsi qu’Alexis. Una tragedia greca, deux des quatre spectacles qui constituent le projet Syrma Antigónes, avec Let the Sunshine In (antigone) contest #1 et Iovadovia (antigone) contest #3. Élaborée entre 2008 et 2010, cette série de trois « contests » (duos entre la confrontation et le dialogue d’acteurs) et une finale consiste à cerner l’esprit d’Antigone qui subsiste parmi nos contemporains.
Section vidéo
une vidéo disponible
Dramaturgie Daniela Nicolò
Ambiance sonore Enrico Casagrande
Son Andrea Comandini
Rédaction Sophie Pouliot
Photo Elena Zannoni
Création au Festival Prospettiva, Turin, le 20 octobre 2009
Durée : 55 minutes
Tarif régulier : 30 $
30 ans et - / 65 ans et + : 25 $
Forfaits en vente 15% à 40% de réduction
En parallèle
- Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 31 mai
- 4 juin 12h30 - Théâtre et révolte - Rencontre avec DANIELA NICOLÒ + ENRICO CASAGRANDE (Too Late (antigone), contest #2 + Alexis. Una tragedia greca, Rimini).
Animation : Jessie Mills
Entrée libre - Quartier général
En collaboration avec Fondazione del Teatro Stabile di Torino, Festival delle Colline Torinesi, Institut Culturel de Marseille
Avec le soutien de Magna Grecia Festival 08, L’Arboreto - Teatro Dimora di Mondaino, Progetto G.E.CO - Regione Emilia-Romagna, Ministero della Gioventù
Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Daphné Bathalon
Plus que jamais, la scène théâtrale vibre avec la rue. Tandis que le « festival des casseroles » bat son plein tous les soirs dans les rues de Montréal en ce printemps 2012, sur les scènes de la métropole, les spectacles invités par le Festival TransAmérique nous parlent du monde actuel, tout autant qu’ils nous parlent de nous. À Espace libre, la compagnie italienne Motus, pour qui il apparaît crucial de prendre position politiquement et socialement, s’intéresse aux personnages créés par Sophocle il y a plus de 2000 ans. Et la parole de cet auteur est toujours d’actualité.
Too late! (Antigone) contest #2 sert sur un long plateau les rencontres de Créon et d’Antigone/Hémon. Leurs dialogues mettent en lumière la confrontation de valeurs et d’idéologies. D’un côté, la volonté des dirigeants, de l’autre, le désir d’une population à décider pour elle-même. Et en toile de fond, la détermination à renverser l’ordre établi, que l’on considère comme illégitime. Antigone est le symbole par excellence de cette contestation populaire.
Le spectacle se présente sous la forme d’un laboratoire : la scène est dénudée, les accessoires et décors strictement réduits à l’essentiel, les spectateurs placés de part et d’autre de la scène, comme des clans se faisant face. Le spectacle se coule dans la salle d’Espace libre comme s’il avait été créé là. Les comédiens s’approprient l’espace scénique, occupant cette longue scène comme les gradins ; ils échangent même à l’occasion quelques regards avec les spectateurs. Ils jouent pour nous les affrontements entre la force au pouvoir et la force de la jeunesse convaincue. Le physique de la comédienne Silvia Calderoni colle d’ailleurs parfaitement à l’idée que l’on se fait d’une jeunesse révoltée.
Les dialogues entre les personnages dramatiques sont fréquemment interrompus par les réflexions personnelles des acteurs, que les créateurs ont choisi d’intégrer à leur spectacle. Dans ces intermèdes, en aparté de l’action, les acteurs réfléchissent aux relations entre leurs personnages, mais aussi à la portée de leurs paroles. Ainsi, Silvia Calderoni avoue avoir du mal à incarner Antigone au moment où celle-ci exprime tout son attachement pour sa terre et sa nation. Comment porter cette parole quand on a soi-même honte de son pays?
Il faut bien connaître le mythe d’Antigone pour apprécier toutes les subtilités de la pièce, sinon il y a risque de se perdre dans les références et de décrocher rapidement. Une connaissance de la situation politique et sociale actuelle en Italie n’est pas de trop non plus, bien que la pièce se fasse facilement l’écho d’une situation politique universelle. Les parallèles que l’on peut établir entre les dialogues de la pièce et les clameurs de la rue québécoise parasitent même à l’occasion l’écoute de la pièce. Dans les circonstances, Too late vient de toute évidence enrichir le débat public en cours.
La courte heure que dure Too late laisse l’impression d’avoir goûté à une seule bouchée d’une pointe de tarte délicieuse, à tel point que les applaudissements résonnent finalement comme un appel à en obtenir plus, à voir la suite de ces échanges, de ce début de réflexion.