Une île, balayée par le vent. Dans ce paysage de solitude erre Wendy, étreinte par la terreur de l’abandon. Ici, le doux Pays imaginaire de Peter Pan devient l’île-tombeau d’Utoya où 69 jeunes Norvégiens furent condamnés à ne jamais vieillir. Un sort parfait, peut-être, pour cette Wendy désaimée, hantée par l’inexorable dépérissement de la chair. Convoquant un orchestre, des crocodiles, de vieux danseurs chinois et une prise de parole corrosive, Tout le ciel au-dessus de la terre est un conte halluciné, ensorcelant, qui, de Neverland à Shanghai, plonge dans la saleté et la violence du monde pour en extirper de lumineux éclats de poésie.
Enfin à Montréal, l’incandescente auteure et metteure en scène espagnole Angélica Liddell est une figure majeure du théâtre contemporain. Avec ce spectacle sismique, qui oscille entre la rage et l’inconsolation, cette artiste radicale livre une performance époustouflante où se dévoilent la monstruosité de l’âme humaine comme son insoutenable beauté.
L’auteure, actrice, metteure en scène et interprète espagnole Angélica Liddell est une figure majeure des arts vivants en Europe. Avec sa compagnie Atra Bilis, fondée à Madrid en 1993, elle élabore des œuvres scéniques farouchement atypiques, se dérobant à toute tentative de classification. À travers la dissolution des frontières se rencontrent chez elle, avec fougue, les univers de la danse, du théâtre, de la performance, de la musique et de la vidéo. Descendante de toute une lignée d’artistes espagnols qui font du corps l’épicentre de l’œuvre, cette impétueuse créatrice fait de la chair un discours douloureux, tout aussi puissant que le torrent de mots qu’elle déverse sur la scène. D’un spectacle à l’autre, entourée d’un essaim hétérogène de collaborateurs, elle s’immerge au cœur de la souillure du monde pour en extirper de lumineux éclats de poésie. Dans le croisement de l’intime et du social, oscillant entre la rage et l’affliction, ses pièces s’érigent dans un perpétuel entredeux, dévoilant la monstruosité de l’âme humaine comme son insoutenable beauté.
Acclamée dans plusieurs festivals européens, notamment au Festival d’Avignon avec La maison de la force (2010), cette artiste intransigeante s’attache aussi à explorer l’altérité et le choc des différences. À la suite des pièces Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme (2011) et Ping Pang Qiu (2013), nourries, en partie, par l’imaginaire de la Chine, Tout le ciel au-dessus de la terre (Le syndrome de Wendy) s’inscrit dans une Shanghai à la fois réelle et magistralement fantasmée. Avec la présentation au FTA de cette œuvre hors norme, l’incandescente Angélica Liddell noue une première rencontre avec le public québécois.
Section vidéo
une vidéo disponible
Musique Cho Young Wuk interprétée par Ensemble Musical Phace
Pipa chinois Xue Ying Dong Wu
Lumières Carlos Marquerie
Son Antonio Navarro
Photo Nurith Wagner-Strauss
Rédaction Catherine Cyr
Création au Wiener Festwochen, Vienne, le 9 mai 2013
Durée : 2h20
Tarif régulier : 58 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 48 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 28 mai
Coproduction Wiener Festwochen + Festival d’Avignon + Odéon - Théâtre de l’Europe + Festival d’Automne (Paris) + deSingel Internationale Kunstcampus + Le Parvis - Scène nationale de Tarbes Pyrénées en collaboration avec Iaquinandi S.L. avec l’aide de Teatros del Canal (Madrid) + Tanzquartier (Vienne) et le soutien de Comunidad de Madrid + Ministerio de Educación, Cultura y Deporte - INAEM
Présentation en collaboration avec Monument-National
Salle Ludger-Duvernay du Monument-National
1182, boul. Saint-Laurent
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Pascale St-Onge
Au moment de recevoir la programmation du FTA, nos yeux cherchent instinctivement ce spectacle qui nous ébranlera plus que les autres, qui dérangera notre perception du monde actuel et aussi celle des arts de la scène. Pour ma part, Todo el cielo sobre la tierra fut ce spectacle, tout comme l’a été Conte d’amour l’an dernier, mais à une tout autre échelle. L’artiste Angelica Liddell, de passage pour la toute première fois à Montréal, ne fait aucune concession et nous offre un accès intime et illimité à sa vision particulière de l’amour, de la beauté, de la souffrance et de la jeunesse.
Entre Neverland, l’Île d’Utøya (en Norvège) où un massacre de dizaines de jeunes a eu lieu en 2011, et Shanghai, Wendy (oui, expressément celle de Peter Pan) cherche à ne pas vieillir pour rester belle et aimée de tous les hommes. La première partie du spectacle prend la forme d’une fable réarrangée au goût du jour. Sur scène, avec une esthétique plutôt kitch, défilent acteurs espagnols, norvégiens et chinois, un couple de danseurs chinois de 72 et 73 ans, un orchestre et Angelica Liddell elle-même. À partir du conte original de Peter Pan et en utilisant la répétition et la variation minimale, l’artiste commence à tisser sa toile et nous présente sa vision des choses. La deuxième partie, où la performeuse est seule en scène, pousse plus loin et déploie son système de pensée, sa logique et son message avec précision, mais aussi avec redondance et ténacité.
Si la première partie peut même, par moments, nous apparaître légère, sa performance solo, elle, dérange. Liddell y traite de maternité, de sa haine de la mère et des conséquences graves ainsi que de la perte de la jeunesse qui est fatale pour la femme. Elle aborde cette souffrance qu’elle porte au quotidien et cet « amour », ce seul sentiment qu’elle vit et qui lui fait tant de mal, n’étant jamais aimé en retour, ou du moins jamais autant. Cette logique très personnelle, elle nous la livre avec verve, rage et passion. Sans problème, la femme prend tout l’espace de la scène du Monument National et demeure fascinante à regarder. Il vaut même la peine de détourner son regard des surtitres pour l’observer : sa gestuelle étant à elle seule tout un spectacle. Le tout sur l’air de House of the Rising Sun, qui joue à répétition.
Angelica Liddell est plus grande que nature. Sa façon de considérer de grandes idées de notre monde ne fera pas l’unanimité, ses propos ne sont pas faciles à accepter. Elle dit ressentir plus que la moyenne des gens et que c’est à partir de cela, de cette souffrance, qu’elle fait éclore la poésie, et même la beauté. L’une des missions, à mon avis, du Festival TransAmériques est de nous proposer ce genre de confrontation, de nous sortir du confort auquel nos saisons théâtrales nous habituent parfois et nous permettre de faire face à ce genre d’expérience dérangeante pour en sortir ébranlés, et même grandis, que nous ayons aimé ou détesté.