Le sol est jonché d’objets en attente du geste qui leur donnera vie. Le temps est suspendu comme dans un rêve. Images d’un théâtre intérieur dont les acteurs feraient relâche. Espace fantasmatique où une jeune femme retrace le parcours de sa vie, entre mise à nu, vérités trafiquées et souvenirs du futur. Portrait kaléidoscopique d’une hallucination surgie des brumes de l’intime, où le rose et le gris font souvent bon ménage. Son visage diaphane et sa voix délicate se transforment. Elle change de peau, n’a plus d’âge. Avec trois fois rien, elle captive. L’histoire qu’elle raconte pourrait être la nôtre. Touchés, coulés.
Après la cinglante gifle de Mygale au FTA en 2012, Nicolas Cantin nous revient avec la caresse de la nostalgie qu’il évoquait l’an dernier dans l’émouvant solo CHEESE. Installé en périphérie du plateau, il tire à vue les ficelles de Klumzy, nouvel objet scénique déroutant et formidablement efficace. Du grand art.
Formé au travail du clown et du masque, Nicolas Cantin se situe à la frontière des genres, « bricolant » des œuvres qu’il épure jusqu’à l’os pour n’en livrer que la substantifique moelle. Tel un laborantin curieux de son sujet, il capte le vivant dans sa simplicité et le dissèque en étirant le temps jusqu’à la lisière de l’ennui. Chaque fois, c’est d’intimité qu’il nous parle. Dans ce qu’elle a de plus secret. Qu’il transporte ou qu’il rebute, son discours fait mouche. Avec la sombre et radicale Mygale (FTA, 2012), il jouait dans les zones les plus troubles du handicap émotionnel, mis en scène précédemment dans Belle manière et Grand singe. Par cette trilogie regroupée sous le titre de Trois romances, ce Français d’origine a fait sa marque à Montréal. En 2005, il y a joué dans Jachère, solo de Christiane Bourget qui lui a valu un prix Paula Citron à Toronto. Il a fait de brèves apparitions sur scène avec Glass House et Falaise avant de danser pour Frédérick Gravel (Tout se pète la gueule, chérie, FTA, 2010). Il a aussi cosigné le solo circassien Patinoire des 7 doigts de la main et dirigé les étudiants de l’École nationale de cirque de Montréal et de l’École nationale de théâtre. Concepteur sonore de ses créations, il est actuellement artiste en résidence à L'L (Bruxelles), à Montevideo (Marseille) et à l'Usine C, où il a commencé l’an dernier avec CHEESE le travail sur la mémoire qu’il développe dans Klumzy.
Lumières Karine Gauthier
Photo Alexandra B Lefebvre
Rédaction Fabienne Cabado
Résidence de création Usine C + L'L (Bruxelles) + Montévidéo création contemporaine (Marseille)
Création mondiale au Festival TransAmériques, le 3 juin 2014
Durée : 50 minutes
Tarif régulier : 33 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 28 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 4 juin
Coproduction Festival TransAmériques + Usine C
Présentation en collaboration avec Usine C
Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Sara Fauteux
Nicolas Cantin construit ses pièces à partir de phrases qui lui plaisent, d’intuitions, de chansons, d’images, de leitmotivs. Des « matières orphelines » qu’il met en scène dans un long processus d’écoutes et de silences. Le corps est le révélateur d’une dramaturgie finement tissée entre le souvenir, l’être et le présent de la représentation. D’orphelines, ces matières deviennent tributaires d’un filon de sens qui émerge de l’univers scénique.
Après avoir exploré dans ses Trois romances des zones plus brutales et une intimité plus crue, parfois peut-être dans une recherche de malaise un peu plaquée, Cantin se situe aujourd’hui dans un rapport de proximité et de simplicité avec un sujet unique. En effet, dans CHEESE et Klumzy, en travaillant à partir de la rencontre avec une personne qu’il interroge sur sa vie, son travail semble s’être encore affiné pour ne capter que les plus ténus et vibrants sursauts de l’être et de sa représentation. Ici, Ashlea Watkin se prête au jeu avec un désarmement fascinant.
Jouant des effets de présence avec différents filtres (masques, enregistrements, fumée, musique), il crée des tableaux dépouillés dans lesquels flotte un condensé d’humanité. L’intensité de l’attention déployée à la présence sur scène, Cantin s’en sert en créant une tension entre la cérémonie et le jeu. À la fois semblable à un rituel solennel et à un match d’impro (ralenti et silencieux) avec ses masques, ses déguisements et ses objets légèrement décalés, Klumzy semble se jouer doucement du spectateur pris au piège entre le sacré et le dérisoire.
Souhaitant « faire sentir la présence de celui qui tire les ficelles », le metteur en scène occupe cette fois-ci le plateau aux côtés de son interprète, Ashlea Watkin. Grand maitre de l’effacement, Nicolas Cantin a beau ponctuer le spectacle de heavy métal, sa présence est empreinte de la délicatesse du témoin. Cette conscience d’une fine et empathique orchestration, le spectateur la percevait néanmoins déjà dans CHEESE sans que Cantin soit présent sur scène.
C’est qu’en s’adoucissant et en s’éloignant encore plus du spectaculaire, son travail a gagné en écoute et en authenticité. En ce sens, il y a dans Klumzy la promesse d’une finesse dans l’exploration d’univers complexes.