Elle a galvanisé le Festival de sa présence sulfureuse dans (M)imosa en 2012. Elle se déchaîne ici dans la peau d’une déesse machiavélique. Flamboyant maestro en habit de torero, elle mène à la baguette un quatuor de créatures hallucinées, soumises et désirantes. Magicien-oiseau aux mains bleues, taureau-harmoniciste avec des yeux dans le cou, roi-clown à la langue noire ou bouffon-gentilhomme au visage déformé, ils forment le fabuleux bestiaire d’une mythologie nouvelle, célébrée sur l’autel de l’imaginaire débridé. Anges échappés des enfers, exaltés par de tonitruantes orgues, des rythmes africains et des airs de pop-rock.
Révélation de la scène chorégraphique actuelle, Marlene Monteiro Freitas en est aussi une enfant terrible, fascinante par sa vitalité libidinale, ses audacieuses métamorphoses, son esthétique baroque et son imagerie surréaliste. Dans Paradis - collection privée, elle décape le mythe de la création et nous ouvre les portes d’un paradis où il est interdit d’interdire. Une œuvre libérée, libératrice.
Née à Mindelo, capitale culturelle du Cap-Vert, Marlene Monteiro Freitas y a cofondé une compagnie de danse avant d’intégrer P.A.R.T.S., la célèbre institution bruxelloise d’Anne Teresa De Keersmaeker, et de parfaire sa formation à Lisbonne où elle est désormais basée. Dès ses premiers projets, elle s’affranchit des écoles et des conventions. Les aventures dans lesquelles elle s’embarque comme danseuse — notamment avec Emmanuelle Huynn, Loic Touzé, Boris Charmatz et Tânia Carvalho (From me I can’t escape, have patience!, FTA 2010) — bousculent déjà allègrement les frontières de l’art chorégraphique. Elle les fait littéralement exploser quand elle endosse le rôle de chorégraphe, faisant du corps un instrument de subversion artistique dans des œuvres caractérisées par un déploiement énergétique hors du commun et des tableaux peuplés d’êtres hybrides en constante métamorphose. Elle a marqué les esprits du FTA en 2012 avec sa percutante imitation de Prince dans (M)imosa, créée en collaboration avec Trajal Harrell, également de retour cette année, François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Pour ses projets personnels, elle a choisi le collectif Bomba Suicida, dont le nom suggère que les artistes doivent se comporter comme des terroristes pour survivre. Elle y a déjà créé une demi-douzaine d’œuvres, dont le solo Guintche et le trio A Seriedade do Animal, inspiré d’une pièce de Brecht. Paradis – collection privée est sa première œuvre de groupe.
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Musique Marlene Monteiro Freitas avec le soutien de Tiago Cerqueira + Nosfell
Lumières et son Yannick Fouassier
Photo Margarida Ribeiro
Rédaction Fabienne Cabado
Création au Vila do Conde, Festival Circular, le 21 septembre 2012
Durée : 1h05
Tarif régulier :
38 $
30 ans et moins /
65 ans et plus :
33 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 5 juin
Coproduction Les Spectacles Vivants - Centre Pompidou (Paris) + L'échangeur - CDC Picardie Centre Chorégraphique National de Tours + Centre Chorégraphique National de Rillieux-La-Pape + Ballet National de Marseille - Centre Chorégraphique National + CDC Uzès Danse + Bomba Suicida - Associação de Promoção Cultural (Lisbonne) + Festival Circular (Vila do Conde) + Maria Matos Teatro Municipal (Lisbonne)
Avec le soutien de Départs - Programme Culture de l'Union européenne + Fundação Calouste Gulbenkian (Lisbonne) + ALKANTARA (Lisbonne) + Atelier Re.al (Lisbonne) + Centre national de danse contemporaine (Angers)
Présentation en collaboration avec Agora de la danseAgora de la danse
840, rue Cherrier
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par David Lefebvre
Paraíso - colecção privada (Paradis, collection privée) : exploration postmoderne du genre? Visite au coeur d’un paradis à l’image déformée de l’homme? Spectacle autodérisoire? L’étrange proposition de la capverdienne Marlene Monteiro Freitas, chorégraphe et danseuse que le public montréalais avait pu découvrir en 2012 grâce à (M)imosa, se veut un amalgame de tout cela, et davantage.
Cette première œuvre de groupe de Monteiro Freitas, après une demi-douzaine de solos et duos, met en scène d’étranges créatures. Car c’est une véritable bergerie grotesque que la chorégraphe dirige, telle une Circé contemporaine, mi-arachnéenne, mi-poule. Les quatre hommes bêtes, sous son joug, se meuvent avec énergie et se métamorphosent, empruntant à la faune animale des gestes et des sons distinctifs. Ils sont de véritables poupées organiques, à la physicalité à la fois puissante et fragile, souvent (et volontairement) asynchrones, hybrides, métaphoriques, jouant aux limites de l’animalité et de la conscience humaine.
Certaines sources d’inspiration ont laissé des marques indélébiles : par exemple, on perçoit le Jardin des délices de Jérôme Bosch, mais après que la nuit soit tombée sur le tableau et que Francis Bacon décide d’y mettre ses propres cauchemars. Les mélodies à l’orgue du compositeur Olivier Messiaen apportent un côté solennel au mouvement qui n’est finalement jamais pris au sérieux, alors que la musique plus techno libère une frénésie tout de même retenue. Le hit des Talking Heads, Psycho Killer, s’immisce, faisant chanter l’un des danseurs, micro en main ; un des moments forts de ce court voyage au cœur de ce paradis terrestre imaginaire. La trame sonore se veut donc hétéroclite et hachurée, souvent interrompue de façon drastique d’un mouvement de bras improvisé de la chorégraphe chef d’orchestre, ou allant d’un air à un autre sans réel souci esthétique.
Paraíso est un délire baroque, au sens de l’humour particulier et déluré, frôlant le pastiche du spectacle de danse contemporaine. Les couches sont nombreuses ; les mouvements de danse, du classique au « voging » (clins d’œil à des œuvres passées de Monteiro Freitas), sont disparates, appelant au désordre contrôlé et à la désarticulation, pouvant mener à quelques tableaux parfois fascinants à regarder. L’un en particulier, en début de parcours, marque davantage, alors que les quatre danseurs, Yair Barelli, Lorenzo de Angelis, Luís Guerra et Andreas Merk, sont côte à côte et exécutent une chorégraphie tout aussi éclectique que minimaliste, rappelant vaguement un vidéoclip de Madonna. Après une pause octroyée par la chorégraphe, offrant quelques mouvements un peu plus lascifs et libres de la part des danseurs sur l’air de Aman Aman du groupe rock turc Duman, on reprend, sifflets au cou, avec une finale au son de cuivres orchestraux, bouches grandes ouvertes, oreilles bouchées, gestuelles cinglées, jusqu’à l’explosion d’une musique carnavalesque, rappelant les origines de la Capverdienne.
Insipide, surprenant, dérangeant, comique ; Paraíso - colecção privada ne fait certes pas consensus, encore moins l’unanimité, à la sortie de la salle. Et c’est fort possiblement ce que la chorégraphe recherche : provoquer un sentiment différent chez chaque spectateur, qui voit la pièce au travers ses propres émotions et y puise ce qu’il désire, quitte à détester ou à encenser la proposition.