Syrie, 2011. Par milliers, armés de leur caméra ou de leur téléphone portable, des manifestants fébriles, opposés au régime asphyxiant de Bachar Al-Assad, déferlent dans les rues. Dans le chaos, à la volée, ils enregistrent l’événement même qu’ils sont en train de créer. L’instant d’un clic, ces images haletantes apparaissent sur Internet, puis se répandent massivement, révélant au monde entier les tumultes d’une résistance politique tout autant que numérique. Puis, la situation s’envenime, la violence se déploie, décuple, et les images se font insoutenables. Dans la mire des snipers, tombent les hommes qui, jusqu’au dernier instant, filment leur propre mort.
Seul devant nous, oscillant entre la gravité et l’étonnamment ludique, l’intranquille créateur libanais Rabih Mroué décortique et interroge les images troubles de la révolution syrienne et la mécanique de leur fabrication. Une captivante conférence-performance qui plonge au cœur d’une actualité houleuse, toujours en train de s’écrire.
Né à Beyrouth en 1967, Rabih Mroué a développé une pratique artistique polyvalente où il endosse, souvent tout à la fois, les fonctions d’acteur, de metteur en scène et d’auteur dramatique. Depuis 1990, il développe, en solo ou en tandem avec sa complice artistique, Lina Saneh, de singulières œuvres performatives qui brouillent les frontières disciplinaires et font se rencontrer poétiquement les champs du théâtre, de l’installation, de la performance et de la vidéo. En prise directe sur les réalités sociales et politiques du Liban, il cherche à rendre compte des questionnements et des contradictions qui agitent la société. Dans le croisement inattendu du documentaire et de la fiction, par le biais notamment d’inclassables conférences-performances telles que Make Me Stop Smoking (2006) ou The Inhabitants of Images (2008), il témoigne du réel.
Artiste iconoclaste, dont les œuvres n’ont de cesse d’explorer les limites de la représentation, Rabih Mroué place l’humain au cœur de sa pratique. Entrelaçant l’intime et le politique, ses pièces, troublantes, dérangeantes, ont été applaudies dans plusieurs grands festivals européens, dont celui d’Avignon. En 2005, il présentait au FTA Looking for a Missing Employee, minutieuse enquête théâtrale autour du phénomène, répandu à Beyrouth, des personnes disparues dont on ne retrouve jamais la trace. Il offrait également, avec Lina Saneh, Biokhraphia, une autofiction à la fois féroce et ludique. Cette année, le duo présente aussi au FTA 33 tours et quelques secondes, une performance théâtrale radicale, sans acteur, qui rend compte des incertitudes de la société libanaise au lendemain du Printemps arabe.
Section vidéo
une vidéo disponible
Traduction Ziad Nawfal
Photo site web FTA
Rédaction Catherine Cyr
Création au Performing Space 122, New York, le 9 janvier 2011
Durée : 1h
Tarif régulier :
28 $
30 ans et moins /
65 ans et plus :
23 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 6 juin
Coproduction Berlin Documentary Forum - HKW + dOCUMENTA 13 (Kassel) + 2010 Spalding gray Award incluant Performing Space 122 (New York) + The Andy Warhol Museum (Pittsburg) + On the Boards (Seattle) + Walker art Center (Minneapolis)
Cet événement s’inscrit dans le Printemps numérique 2014 de Montréal.
Musée McCord, Théâtre J. Armand Bombardier
650, rue Sherbrooke Ouest
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Sara Fauteux
À travers son œuvre, Rabih Mroué se fait témoin des réalités politiques du Liban et des agitations de sa société. Au croisement du théâtre, du documentaire et de la performance, de l’intime et du politique, son travail s'interroge autant sur la représentation que le statut de l’artiste et la place du spectateur. Créée en 2011 et reprise depuis en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis et au Liban, Pixalated Revolution se présente sous la forme d’une « conférence non académique ».
Rabih Mroué se penche sur les vidéos des manifestants durant la révolution syrienne en 2011. Dans ces images qui ont traversé le monde, les protestataires brandissent des bannières, scandent des slogans, subissent des agressions, déguerpissent par centaines dans le dédale des rues et se trouvent parfois dans la lunette des carabines. Cette captation de la mort en direct et la position qui la rend possible, Rabih Mroué la questionne et l’analyse en s’appuyant sur des images méticuleusement sélectionnées.
Il note les différences entre les deux sources d’informations possibles durant la révolution : la télévision officielle et les vidéos des manifestants. Le trépied qu’utilisent les médias (ainsi que celui du tueur) devient la représentation de la stabilité de la position officielle. Dans les vidéos anonymes, Mroué démontre comment la caméra et le téléphone cellulaire deviennent l’extension de l’œil du caméraman. Il établit de fascinants rapports entre la position du manifestant, l’œil de la caméra et celui de l’arme du tueur.
En cherchant à cerner les critères qui définissent ces films qui documentent aujourd’hui les soulèvements populaires à travers le monde, Mroué établit un lien entre les images anonymes, fébriles et brutes de la révolution syrienne et celles revendiquées par le mouvement cinématographique Dogme 95. Les principes du Dogme 95, développés par les réalisateurs Lars von Trier et Thomas Vinterberg en réaction aux superproductions américaines et à la surutilisation d’effets spéciaux, définissent une esthétique cinématographique jugée « plus apte à exprimer les enjeux artistiques contemporains »... La dramaturgie déconstruite de ces vidéos qui captent un état de survie est-elle donc à l’image du monde ?
Par son oeuvre, Mroué interroge autant le statut de l’artiste que celui du spectateur. L’artiste est-il, à l’instar de la figure universitaire qu’il emprunte ici, le détenteur du savoir? Le porteur d’un message politique? Et le spectateur est-il réduit dans ce contexte à sa position abrutissante de « public » devant les images de l’horreur et l’agitation du monde? La forme de la conférence non académique de Pixalated Revolution semble en fait résoudre d’emblée la plupart de ces problèmes. En effet, bien qu’il utilise le décorum de l’universitaire, la méthodologie tout intuitive de Mroué indique l’aspect personnel de sa réflexion. La simplicité de sa présentation rend l’expérience inclusive pour le public qui n’est pas dans la position du voyeur, mais partage plutôt celle de l’artiste et devient témoin à son tour.
À la fin, cependant, le spectateur fait de nouveau face à son impuissance : les images sont-elles suffisantes pour remporter le combat ? Et alors, quelle est leur portée réelle ?